Propos recueillis par Mame Woury THIOUBOU – Ziggy Faye n’a pas la carrure du baroudeur. Ce n’est pas non plus un risque-tout. Sa conception du voyage intègre surtout confort et agrément. A la tête de «Travel with Ziggy», comprenez «Voyager avec Ziggy», l’ancien ingénieur des télécoms a réussi une reconversion magistrale vers sa passion du voyage. Sans détour, il raconte dans cet entretien le secret d’une réussite qui a remis au goût du jour, «le voyager à l’intérieur du Sénégal».Comment vous est venue l’idée de lancer Travel with Ziggy qui veut dire Voyager avec Ziggy ?
J’ai commencé dans le secteur du voyage en 2008. Mais au début, ce n’était qu’une passion parce que je travaillais comme ingénieur des télécoms. J’avais cette passion-là et je me demandais, en tant que Sénégalais, est-ce que je connaissais bien mon pays. Donc j’allais dans les villages faire des immersions. Et je rentrais de ces villages avec plein de photos et des textes où j’expliquais comment ça s’était passé. Je rencontrais les chefs de village qui me racontaient l’histoire de leurs localités, les premiers peuples, etc. Je partageais tout ça sur les réseaux sociaux quand je rentrais à Dakar. Les gens ont commencé à me dire : «Amènes-moi avec toi la prochaine fois.» En 2016, comme je travaillais pour une grande boîte, j’ai pris un congé et je suis parti en Asie. J’ai fait le tour, Kuala Lumpur en Malaisie, Guangzhou en Chine. Quand je suis rentré de ce voyage-là, tout me disait que le travail que j’étais en train de faire dans cette entreprise-là, n’est pas vraiment le travail qui me permettrait d’être épanoui. Donc j’ai décidé tout simplement de démissionner et de réfléchir sur comment monétiser cette passion du voyage que j’ai. D’où ce concept Travel with Ziggy.
C’était difficile, les débuts ?
Quand j’ai démissionné de mon travail, je rentrais d’un voyage où j’avais claqué toutes mes économies. Deuxièmement, il y avait ma mère à côté qui me disait : «Pourquoi tu décides de démissionner pour des caprices ? Tu dis que tu as un déclic. On t’a payé des études super chères pour que tu puisses avoir un bon boulot ! Tu es le plus jeune dans l’entreprise, pourquoi tu décides de démissionner pour faire autre chose ?» Donc c’était beaucoup de stress, beaucoup de pressions. Mais il fallait que je me batte, que je prouve à ma mère que ça pouvait être un bon projet. Et que ce projet me permettrait d’être épanoui, de faire ce que j’aime et de vivre pleinement de ça. Après, les problèmes ont été nombreux. On ne travaille pas seul, il y a des prestataires côté transport et côté hébergement d’hôtel. Et souvent, il y a des couacs avec les clients. Mais comme on dit en entreprenariat, des erreurs que tu fais, tu ne peux pas les répéter parce que tu apprends tous les jours. Aujourd’hui, ça fait plus de quatre ans, donc l’expérience est là et il y a plein d’erreurs qu’on faisait avant, on ne les répète plus. Tout se passe super bien pour le moment.
Vous avez commencé par organiser des séjours le week-end, avant de viser plus grand ? Comment ça s’est fait ?
Au départ, ce sont des choses que je faisais tout seul. Après j’ai essayé avec un groupe d’amis. On prenait la voiture du père ou de l’oncle. Et quand il a fallu lancer, il fallait créer le site internet, faire les papiers à la chambre de commerce pour être crédible. C’était étape par étape et c’est devenu ce que c’est devenu aujourd’hui. On arrive à vendre tous nos voyages avant même les deadline et les gens commencent à adopter le concept.
On a l’impression que les Sénégalais viennent tout juste de se rendre compte que le pays a des coins sympas…
C’était ça le combat de base. Parce que moi, j’avais remarqué que pour nous Sénégalais, les seuls voyages qu’on fait, c’est quand on prend nos passeports pour aller à l’aéroport. On ne prenait pas le temps de profiter de ce qu’on a ici. Dès qu’on prenait nos congés, on pensait aller à la Tour Eiffel, aux Usa, sans prendre vraiment le temps de voir les beaux endroits qu’on avait ici. Le challenge, c’était ça déjà et de créer cette envie chez le Sénégalais, de découvrir son pays et de dépenser son argent pour découvrir son pays. Et aussi booster tout ce qu’il y a comme économie locale. Et ce combat-là, aujourd’hui, on l’a presque réussi. Les groupes qu’on a dans nos excursions, ce sont souvent des sénégalais qui ont toujours vécu au Sénégal ou qui ont vécu en Europe et qui sont revenus chez eux, ou des Africains qui sont là pour le travail ou les études. Mais la jeunesse commence à comprendre que c’est bien de découvrir.
Et vous avez réussi à faire comprendre aux gens qu’aller aux îles du Saloum ou à Kédougou est aussi intéressant que d’aller ailleurs…
Au départ, ce n’était pas vraiment une stratégie qu’on avait mis en place pour les convaincre. Mais quand on fait les choses de façon naturelle et que ça vient du cœur, ça va rentrer dans le cœur des gens. C’est une passion que je voulais partager avec les gens et je l’ai fait avec le plus de naturel possible. Je partais dans ces coins, je vivais l’expérience et je partageais l’expérience comme je l’avais vécu sur les réseaux sociaux. Et les gens se sont intéressés à ça et ça a créé l’envie chez eux de venir. Ce sont des choses qu’on ne pouvait pas faire il y a 5 ans.
Quelles sont les destinations les plus prisées ?
On aime beaucoup le désert de Lompoul. C’est un endroit où les gens ne partaient pas forcément. Soit par paresse, soit parce qu’ils ne connaissent pas. Mais depuis qu’on a commencé à y aller, on a amené des milliers de personnes et aujourd’hui, les gens y vont même de leur propre initiative. On est aussi beaucoup présent en Côte d’Ivoire à Abidjan parce que culturellement, il y a beaucoup de similitudes avec le Sénégal. Il y a aussi le Cap-Vert qu’on fait chaque année pour le carnaval qui se passe avant le carême.
Sur toutes vos offres, il y a un moment de networking et de partage d’expériences. C’est pour inciter les jeunes à entreprendre ?
C’est très important pour nous. C’est bien beau de voyager, de découvrir mais on s’est dit pourquoi ne pas joindre l’utile à l’agréable et permettre à ces jeunes de se connecter de façon professionnelle avec d’autres gens. On rigole toute la journée et on fait des découvertes mais le soir, on se pose et ça va dans des présentations beaucoup plus profondes et ça va parler parcours professionnel et présenter des projets.
Côté financier, est-ce que toutes ces offres ne sont finalement accessibles que pour une certaine élite ?
Ce n’est peut-être pas accessible à tout le monde mais moi personnellement, j’essaie de tout faire pour baisser les coûts. J’arrive à négocier des rabais auprès des établissements hôteliers qui me permettent de proposer un prix beaucoup plus accessible. Après, on aurait souhaité que tout le monde puisse le faire mais on connait le Smic sénégalais. Peut-être que l’Etat aurait pu subventionner les résidents sénégalais comme cela se fait dans d’autres pays comme les Etats-Unis.
Comment vous avez vécu cette période Covid-19 dans vos activités ?
Je suis le genre de personne qui regarde toujours le verre à moitié plein. C’était très dur au départ. On est rentré d’un voyage au Cap-Vert et dès la semaine qui a suivi, les frontières ont été fermées et il y a eu un couvre-feu. Du mois de mars à juillet, on est resté sans activité mais on a profité de ces moments pour se reposer les bonnes questions, refaire le lead et voir ce qu’il y avait à améliorer par rapport aux services qu’on proposait. Et on a préparé la reprise avec beaucoup d’énergie et on s’est retrouvé à faire un chiffre d’affaires plus important que celui qu’on faisait avant Covid. Les gens ont compris aussi qu’il fallait voyager dans le Sénégal puisqu’il n’y a plus possibilité de sortir et que la seule possibilité de changer d’air, enlever le stress était de voyager à l’intérieur du pays.
Vous avez dû emmagasiner de nombreuses anecdotes de vos voyages …
J’aime raconter les choses naturellement et c’est ce qui fait l’originalité. Je ne suis pas le genre à poster que les belles choses. On parle aussi de nos mésaventures, quand on tombe en panne en plein désert. Quand une de nos clientes a eu un accident en conduisant un quad et qu’il fallait l’amener à l’hôpital à 3h du matin. Il y a plein de mésaventures qui arrivent mais c’est aussi ce qui donne du charme à tout ça. Le plus important, c’est que quand des choses de ce genre arrivent, qu’on puisse développer un réflexe qui permet de prendre le dessus et d’anticiper.
Des challenges pour le futur ?
Mes challenges prochains, comme on a des partenaires en Côte d’Ivoire, au Cap-Vert, à Dubaï, à Las Palmas et Zanzibar, c’est d’avoir des représentations partout dans le monde et permettre au Sénégalais qui a envie de voyager, de ne pas se prendre la tête, de nous contacter et on lui gère tout.
Aucun regret d’avoir lâché les télécoms ?
Du tout, du tout. (Rires). Là je suis un homme épanoui à 300%, j’adore ce que je fais et je souhaite à tout le monde de travailler dans sa passion. S’il y a une chose que j’aurais rectifié dans ma décision, c’est de démissionner alors que je n’avais plus d’économies. Les projets, au départ ça ne donne pas forcément d’argent, alors il faut avoir une certaine assise financière avant de se lancer, sinon ça peut être très dur.
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