Critique dans de nombreuses publications («Afrique-Asie», «Le Monde Diplomatique»), fondatrice de l’Association Racines qu’elle préside depuis 1984, Catherine Ruelle a réalisé festivals et manifestations consacrés aux cinématographies du monde noir – «Racines noires, rencontre des cinémas du monde noir», «Ciné-contes» avec Makéna Diop, et le Ciné-club Afrique à Paris, depuis janvier 2005. Journaliste et figure de proue du 7e art africain, elle est, reconnaît-on, une mémoire du cinéma. Pourtant, celle qui a fait ses études de sciences politiques et d’histoire à Paris avant de rejoindre Radio France en 1969, puis en 1971 la direction qui allait devenir Radio France international (Rfi), était loin de s’imaginer qu’elle allait finir par se spécialiser dans le cinéma en 1973, et en produisant «Dialogues, cinémas sans frontières» et «L’actualité du cinéma», devenir une référence dans le milieu. Nous l’avons rencontrée aux dernières Rencontres cinématographiques de Carthage pour un entretien à bâtons rompus.

On dit que vous êtes la mémoire du cinéma africain. Comment l’avez-vous découvert ?
(Sourire) Oui ! Je suis la mémoire du cinéma africain parce que je suis l’une des dernières journalistes à avoir connu ce cinéma-là. Je l’ai connu pratiquement à la naissance. J’avais 21 ans quand je commençais ce métier. Je faisais mes études en même temps. Et à 22ans, j’ai commencé à travailler pour Radio France internationale(Rfi) qui n’était pas encore ce qu’elle est aujourd’hui. J’ai commencé ensuite à aller voir les petits festivals de cinéma qu’il y avait en France à l’époque. C’est en parcourant ces festivals comme le Festival de l’Ensemble francophone que j’ai découvert Mous­tapha Alassane, Oumar Ou­gan­da, Ababacar Samb etc. Après, je suis allée à Ouagadougou au Fespaco, puis à Carthage où j’avais rencontré Sembène Ous­mane et autres pour la sortie de son film à Paris, c’était en 1971, Emitaï (Ndlr, Un film qui retrace l’histoire d’un village casamançais face à l’oppression coloniale). J’ai donc commencé à voir tous ces films et en tant que jeune journaliste française qui avait fait des études d’histoire, de la science politique, mais toujours centrée sur l’Amérique Latine, je découvre tout d’un coup une cinématographie hallucinante, des courts métrages, des longs métrages qui racontaient des histoires que je ne connaissais absolument pas. Ces films qui parlaient, comme dirait l’autre, du point de vue du lion et pas du point de vue du chasseur dans les histoires de chasse.

Et vous êtes tombée amou­reuse de ce cinéma ?
Absolument, je suis tombée amoureuse de ces cinémas. A l’époque, il y avait quelques grands critiques de cinéma qui, en plus, étaient mes parents comme Louis Marcorel au journal Le Monde, Jean Louis Borienne au Nouvel Observateur, etc. Ils étaient aussi dans cette découverte des cinémas d’ailleurs. Donc, j’ai suivi un peu leur mouvement, ils m’ont parrainée et on allait à Cannes tous ensemble. On a découvert plein de choses. On faisait venir les films aussi, moi j’ai présenté des films de Mahama Johnson Traoré (Ndlr, cinéaste Sénégalais, né en 1942 à Dakar et décédé le 8 mars 2010 à Paris. Il fut un membre fondateur du Fespaco) ou Safy Faye (Ndlr, réalisatrice de documentaires, anthropologue, ethnologue et féministe sénégalaise. Auteur du célèbre classique Mossane) à la Caserne des réalisateurs. On était à la fois journaliste, découvreur et aideur…

Et ainsi c’est devenu comme une passion ?
Oui, c’est devenu une passion qui ne m’a jamais quittée. On a grandi, et avec tous ces cinéastes. On était la jeune génération. On avait 10 ou 15 ans de moins qu’eux, mais on a toujours été en leur compagnie ; ce qui fait que maintenant quand je revois aujourd’hui par exemple des gens comme Jean-Pierre Dikon­gué Pipa (Ndlr, réalisateur camerounais. Il passait à l’instant où l’entretien se faisait), je les ai connus en 1974, c’est très émouvant. Quand on voit Wasis Diop parler de son frère Djibril qui est un ami que j’ai rencontré en 1971, ça fait très bizarre en même temps et ça fait chaud au cœur. C’est de grandes histoires de cinéma et d’amitié. Je pense qu’à notre époque c’était plus facile parce qu’il n’y avait pas beaucoup de cinéastes, ni de journalistes non plus. Donc, on nouait des liens à long terme. C’était plus qu’une histoire de profession et de métier. C’était une histoire de don de vie. On était tous des passionnés et on mettait notre vie au service du cinéma.

C’était qui le premier cinéaste africain que vous avez interviewé ?
Je crois que c’est Sembène. Et dans la même année, j’avais fait une interview avec Orson Wells (Ndlr, artiste américain, à la fois réalisateur, acteur, producteur et scénariste, mais également metteur en scène de théâtre, dessinateur, écrivain et prestidigitateur) qui était venu à Paris présenter ses films, Abel Gance (réalisateur français, scénariste et producteur de cinéma) et Sembène Ousmane. Il a été le premier cinéaste africain que j’ai interviewé. Après, on est devenu très ami, mais vraiment très ami. Jusqu’à la fin, on est resté très proche. A l’époque, il avait réalisé Emitaï (Ndlr, 1971), un film qui évoque un peu le passé des soldats français. Il parle de la grève des femmes qui refusent de donner de leur riz aux soldats de l’Armée française pendant la colonisation. Donc c’était un film un peu délicat, et il avait un problème de délicatesse avec son gouvernement etc. Et nous, on avait ouvert l’antenne pour parler de ce film-là. Et donc Sem­bène avait gardé de grands souvenirs de ça. Surtout qu’après avoir évoqué ce film à l’antenne, j’avais été mise à pied à Rfi. Hors antenne, j’avais été censurée à cause de cette interview avec Sembène Ousmane, mais aussi à cause d’une autre interview avec Medondo. Le film c’était un documentaire sur la circulation du néocolonialisme à travers le monde. Et donc Sembène s’en était un peu voulu, et on était devenu très ami à cause de ça. Et on a essayé à se voir plus souvent par la suite.

Pourquoi cette censure ?
Parce que à l’époque en France, il y avait la censure politique, et comme dans Emitaï, il parlait de «Pétain», c’est quand même dingue, il y avait eu des problèmes avec le film, et à l’époque (on était sous le régime de Valéry Giscard d’Estaing), les ambassadeurs de France avaient hurlé, ils avaient envoyé des lettres, des courriers, parce qu’on avait fait passer cette interview de Sembène sur nos antennes sans censure. Le pays était très à droite. Et donc comme c’est moi qui faisais l’émission, c’est moi qui avais été sanctionnée en fait. Sembène s’est toujours rappelé cela, et quand il était dans le jury du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouaga­dougou (Fespaco) en 1995, il m’a dit qu’il faut absolument que je vienne. Il prenait tout sur son aile. Il était très sympa et c’était vraiment une amitié à long terme.

Et donc cette première interview avec Sembène a été le déclic pour vous intéresser au cinéma africain ?
Oui ! C’était vraiment cette première interview, car du coup j’avais récupéré tous les films de Sembène. Puisqu’en 1971, il avait fait très peu de films encore, j’avais revu un peu ses films d’avant, La noire de…, Borom sarette. J’avais relu aussi tous ses bouquins et quand moi j’ai fait mon premier festival en 1970 à Paris, Ousmane Pompidou, le premier hommage que j’avais fait bien évidemment c’était à Sembène Ousmane. J’ai fait ce festival pendant 10 ans. Il s’appelait Racine (Rencontre des cinémas du monde noir). J’avais commencé à la cinémathèque en 1985 par une immense session de trois semaines avec d’ailleurs Ouatarou Lamien qui était le ministre de la Culture du Burkina Faso, c’est un hommage au Fespaco en 1985. Sembène était l’invité d’honneur.

Pour les jeunes qui n’ont pas eu la chance de vous suivre à la radio, dites-nous à quoi ressemblait votre émis­sion sur le cinéma à Rfi…
On peut encore l’écouter sur internet. On m’a récemment appelée de la radio pour me dire que mon émission remontait dans les chartes. Il paraît que sur internet il y a beaucoup de jeunes qui vont écouter mon émission, «Cinéma d’aujourd’hui, cinéma sans frontière». On peut l’écouter sur Rfi, on peut écouter au moins 10 ans d’émission. C’est vrai que j’ai arrêté il y a 4 ans maintenant, mais c’était une émission dédiée à tous les auteurs du monde entier. C’était des portraits et il y avait beaucoup de sons, beaucoup d’extraits des films etc. Et une partie de l’émission était carrément dans le film, on entendait toute la bande son, et le réalisateur était à l’intérieur pour nous raconter ce qu’on ne voyait pas dans les images sonores. C’était comme des contes en fait. Les gens écoutaient avec beaucoup de plaisir. Et je pense que c’est pour cela qu’ils continuent à écouter. Parce du coup, cela n’a pas vieilli. On peut suivre des portraits de cinéastes évidemment. Il y en a beaucoup malheureusement qui sont décédés depuis, mais leurs films en tout cas n’ont pas vieilli parce que c’est comme des contes. Donc on écoute l’émission comme on écoute les contes le soir à la veillée. Donc voilà, ça n’endort pas, ça réveille (rires).

A part Sembène Ousmane, vous étiez également très amie avec Djibril Diop Mambéty. Qu’est-ce que vous retenez de l’homme ?
Djibril Diop c’était un feu follet, une merveille d’homme. Il fallait seulement être ami avec lui parce que Djibril Diop était aussi un grand séducteur (rire). Moi je n’étais que son amie et c’était très bien comme ça. Parce ce qu’il faut dire qu’il se fâchait beaucoup aussi avec les femmes, parce que toutes les femmes étaient amoureuses de lui. Il était totalement beau. Djibril a été un grand ami, mais vraiment un grand ami. Quand il a été très malade à la fin, il était à Paris et on s’est beaucoup vu. Et quand il est mort malheureusement, j’animais encore mon festival de cinéma et donc on lui a fait un grand hommage en juillet 1998 à Paris. Il y avait tous les cinéastes, y compris Sembène qui était là. Et puis, 10 ans plus tard pour le 10e anniversaire de sa mort, avec Wasis Diop, son frère, et Maty Diop (fils de Wasis Diop) qui est sa nièce, on a fait un hommage à Djibril avec le ministre de la Culture sénégalais dans tous les quartiers tels que Colobane… Les écrans étaient dans les rues et les gens redécouvraient Touki bouki, Hyène etc. Ces films étaient projetés dans les rues et c’est ça qu’il aurait aimé, vraiment être populaire et être à la disposition des gens.

Vous aimez le cinéma et le cinéma vous a également fait rencontrer l’amour… ?
Oui ! J’ai été mariée avec un grand cinéaste algérien qui s’appelle Brahim Tsaki et qui a eu le grand prix (Etalon de Yennenga) à Ouagadougou en 1985. On s’est connu là d’ailleurs. Son film a pour titre L’histoire d’une rencontre. On a eu deux enfants ensemble dont l’un fait du cinéma aussi. Avec tous les autres, nous avons connu des histoires très mélangées, on était tous comme ça dans ces années pionnières, où la vie et le travail se mélangeaient. On n’avait pas de frontière, il n’y avait pas de frontière entre l’écran, ce qui est derrière l’écran, ce qui était autour de l’écran, et ce qui est devant l’écran. Tout cela était un seul monde. C’est pourquoi c’est vraiment de la chair et du sang, de la vie au quotidien et Djibril Diop Mambéty c’était aussi ça.

Vous avez vu beaucoup de films africains. Et de tous ces films, lequel vous a le plus marquée ?
Ça je ne saurai le dire parce qu’il y en a beaucoup qui me sont restés dans la mémoire. Touki bouki c’est sûr, il y a aussi Muna moto (Ndlr, Un long métrage, 1975 du Camerounais Jean-Pierre Dikongué Pipa qui l’a rendu célèbre). C’est pour cela que je tenais à le présenter ici (Ndlr, à Carthage) quand on m’a demandé de participer à l’hommage. Mohamed Challouf m’a demandé quel film j’ai envie de défendre, et j’ai dit Muna muto parce que j’avais encore depuis 1975 des images de ce film dans la tête. C’est ça un film, ça doit rester dans la tête. Plus récemment, il y a eu Ezra de Newton Aduaka qui est un film que j’aime beaucoup. Il y a les films de Alain Gomis qui sont magnifiques. Je peux en citer énormément. Il y en a tellement en 43 ans de cinéma. Ce ne serait pas juste de citer un film, je peux citer des films et des cinéastes. Et ce qui est génial, c’est qu’en fait les générations se renouvellent et il y a toujours des cinéastes à découvrir de tous les pays d’Afrique. C’est ça qui est extraordinaire et chacun a sa propre façon de raconter son histoire. Ils sont extrêmement doués, il y a beaucoup de gens de talent.

Pourtant, le cinéma africain peine à se faire une place…
Même si le cinéma africain est dans cette situation un peu précaire en ce moment, parce qu’il y a très peu de productions et pas beaucoup de distribution, il n’y a pas de salle, et tout cela, mais il faut reconnaître qu’il y a beaucoup de gens de grand talent. Et je vois naître des jeunes tous les jours, la petite Alice Diop, Angèle Diabang Brener… Abdoul Cissé. Au Sénégal, il y en a plein de jeunes en plus. Au Burkina, il y en a également qui sont ex­traor­dinaires et qui sont produits par Idrissa Ouédraogo. Lui aussi ce n’est pas bête ce qu’il fait, il produit pas mal de jeunes, des séries télés. Cela permet aux gens de faire leurs armes et tout. Il y aussi des jeunes en Afrique du Sud, au Kenya. Il y a un cinéaste que j’adore et qui s’appelle Wanuri Kahiu qui a fait un film remarquable qui s’appelle Poumzi. C’est un court métrage extraordinaire de science-fiction.

Lorsque vous jetez un regard sur le cinéma d’hier, des années 70, et celui d’aujourd’hui, quelle appréciation faites-vous ?
A l’époque, c’était diffèrent parce que les gens inventaient un langage cinématographique, Djibril, Medondo, Sembène Ousmane, Dikongué Pipa, tous ces gens-là ont inventé un langage cinématographique tout à fait particulier parce qu’il n’y avait pas d’images africaines. Ils ont été des créateurs de styles ; donc après derrière il y a eu comme des écoles où les gens s’inspirent de tel ou tel cinéaste. On ne peut pas dire qu’ils sont tous neufs puisque c’est comme les Français quand ils s’inspirent de leurs cinéastes du début du siècle. Donc eux, ils avaient l’avantage d’inventer un langage, de chercher un langage en plus d’être plus impliqués aussi au niveau politique et social. Alors après ça, cela n’a pas été forcément bien parce que du coup ils étaient dans le militantisme et cela a écarté de la route certains cinéastes, un peu comme Djibril Diop Mambéty. Ils étaient devenus des cinéastes politiques auxquels on ne laissait pas trop droit de cité. Maintenant, il y a plus de liberté. Il y a aussi la possibilité de tourner des comédies. Djingarey Maïga qui est venu au Festival de films de Carthage est un des premiers cinéastes populaires au Niger. Il a fait des comédies dans les années 70. Mais peut-être on ne voyait pas trop ces films-là, on ne leur donnait pas assez de valeur. Ce qu’il y a maintenant, c’est qu’il y a plus de liberté de ton, il y a plus de recherche encore à partir de cette forme qui a été initiée par les anciens. Il y a encore plus de recherches personnelles sous la forme et souvent les thèmes des films sont très larges. Aujour­d’hui, c’est beaucoup moins centré sur le militantisme, peut-être pas assez, du coup. Il faudrait que les gens reviennent un petit peu aussi à un cinéma un peu plus politique. Des films comme Ezra par exemple, c’est éminemment politique… Mais il y a cette formidable complicité de la façon de raconter des histoires et d’allier le politique et la poétique justement maintenant… Fran­chement, ils sont très doués.
Vous avez vu Bois d’ébène de Moussa Touré. Un mot sur ce film…
C’est très fort d’avoir fait un film comme ça. Bois d’ébène est un bon film. Il y a très peu de films sur l’esclavage. J’en ai déjà vu cependant quelques-uns comme ça, car moi je suis vieille (rire). Roger Mbala, l’Ivoirien avait fait Adanggama (2000) qui est un film sur l’esclavage à partir de l’Afrique qui a vendu. Donc, c’était tout sur le terrain africain. Il y avait un autre film qui avait été fait par un Français avec Sotigui Kouyaté dans le rôle du cavalier magique qui s’appelait Le courage des autres. C’est un film muet qui racontait aussi la caravane dans le désert. Bois d’ébène m’a fait un peu penser à ça. Mais il n’y a pas beaucoup de films sur ce sujet-là ; donc c’est très important. Il y a quelques films caribéens qui sont très importants à documenter encore et encore puisque c’est le fondement de notre société moderne à tous, l’esclavage. C’est là vraiment que la mondialisation s’est effectuée à partir de ce commerce triangulaire ; donc le monde convient aujourd’hui la dispersion du Peuple noir à travers le monde, même les fondements de la société industrielle européenne sont nés de là, de l’esclavage. Donc plus on fait de films là-dessus, plus on réfléchit, pas pour dire un tel est coupable, un tel n’est pas coupable ou un tel est innocent, mais pour regarder notre monde d’aujourd’hui et voir comment il s’est construit à partir de ce commerce triangulaire. Tout ce qui a été pris d’Afri­que, tout ce qui est force vive, tout ce qui est resté, comment les Africains ont pu quand même, malgré cette ponction des millions de gens, continuer à se développer etc. Il faut voir comment c’était symbolique, de tout ce qui va se passer après. Donc tant que tout cela n’est pas documenté, je pense qu’on peut continuer à faire des films formidables et celui de Moussa est formidable.

Le patrimoine cinématographique africain pose un véritable problème. Que faut-il faire pour que les œuvres d’Afrique reviennent ?
C’est très compliqué. Parce que même s’il y a des cinémathèques sur le continent africain comme par exemple à Ouaga­dougou, cette cinémathèque rappelez-vous avait été inondée, c’est quand même hallucinant. On peut s’imaginer que c’est un signe de Dieu quelque part… Le problème de la conservation des films, ce n’est pas seulement les récupérer tous et les mettre dans un endroit. Il faudrait que tout soit «safe». Il n’y a pas que les conditions climatiques, il y a aussi le pouvoir politique. Dikongué Pipa disait : «On parle de volonté politique, mais si un dictateur arrive au pouvoir dans un pays d’Afrique et qu’il veut tout brûler, il va tout brûler.» Donc comment savoir où on met les films, qui va s’occuper de la conservation et qui va trouver l’argent pour préserver, stocker, réparer, restaurer ? Ça reste une vaste question. Je pense qu’il faudrait laisser les Euro­péens faire ce qu’ils savent faire, c’est-à-dire restaurer et conserver. Et par contre, que les films circulent beaucoup plus et qu’ils circulent dans l’Afrique et pas seulement par les instituts français et par les instituts Goethe etc. Mais qu’il y ait comme il y avait dans les années 60 des cinéastes, des ciné-clubs, parce qu’il y en avait beaucoup partout, y compris ici en Tunisie. Ces ciné-clubs, il y en avait au Burkina, au Sénégal et cela permettait aux jeunes de voir les films. Aujourd’hui, il y a des générations entières qui n’ont pas vu les films de leurs aînés. Je me souviens en 2008, j’avais fait avec Rfi un festival à Gorée qui s’appelait «Mémoire vive de l’émigration», on avait construit un cinéma en plein air avec les Sénégalais qui avaient des écrans etc. Des responsables de festival sénégalais nous ont permis de monter des écrans dans les ruines de l’ancien Fort de Gorée, à ciel ouvert avec le bruit de l’océan derrière. Il y avait 900 personnes qui venaient. C’était bourré tout le temps, les gens payaient la chaloupe pour venir voir les films et il y avait des gens qui avaient 20 à 30 ans, mais qui n’avaient jamais vu un film dans une salle de cinéma. Tant que cela n’est pas réparé, on ne peut pas penser à restaurer les films, à les garder. Il faudrait aussi amener toutes ces générations de jeunes vers des écrans de cinéma.

Pour vous, avoir des salles de cinéma est donc le plus important ?
C’est aussi important. Main­tenant avec les nouveaux mo­yens numériques, on peut construire des salles de cinéma pas chères, puis après alimenter avec les films etc. Mais tant qu’il n’y a pas assez de films, on ne peut pas non plus faire vivre des salles de cinéma. Il y a beaucoup de cinéastes ivoiriens et autres qui ont essayé, même Idrissa Oué­draogo a essayé de faire fonctionner les salles. En Afrique, on ne peut pas faire fonctionner des salles de cinéma parce qu’il faudrait avoir 360 films au moins. Parce qu’en général, les gens passent 2 films par séance. Il faut 360 films pour avoir une provision, quel pays a 360 films à sa disposition en ce moment ? Personne. Donc il faut forcément passer par des distributeurs étrangers qui demandent des fortunes. Donc ça ne va pas, il faut trouver une solution. Il y avait une solution extraordinaire à l’époque des années 80, elle s’appelait Cpdc Cipro-film, (Consortium de production et de distribution cinématographique des 14 pays de l’Afrique francophone). Cela a duré 3 ans et puis les Etats n’ont pas payé leur cote part et ça s’est démoli. Malheu­reusement, parce que ça coûte très cher, mais on peut tenter des initiatives comme ça. Parce que cette union de 14 pays c’était extraordinaire. Mais là, il faut d’abord reconstruire des salles de cinéma, que les télévisions peuvent jouer un rôle : diffuser des films africains, elles peuvent diffuser, c’est-à-dire il y a beaucoup de télévisions privées en plus qui peuvent donc diffuser des films dans toutes les langues africaines. Je lance d’ailleurs un appel aux télévisions pour qu’elles diffusent les cinémas africains et que les gens au moins voient les productions africaines.
Pour terminer, recommandez-nous 3 films africains à voir absolument !
(Rire) Olalala aïe, aïe ! Je recommande Hyène forcément. Il y a aussi Sankofa de Haile Gerima, parce que ça me fait penser à l’esclavage du coup. C’est un film magnifique. Et puis dans les récents, pour n’offenser personne, je prends des gens qui sont loin, (rires). Je citerai pour finir un film magrébin, Dar Amina, qui a eu la palme d’or au Festival de Canne en 1972. Comme ça je n’offense pas les jeunes (rires).