Avec le gazouillis des oiseaux en fond sonore, le «Na gua deff» que lance Jowee Omicil en nous accueillant dans les jardins du Centre culturel français résonne de bonne humeur. Une joie de vivre que le saxophoniste de jazz dont le nom Jowee Omicil signifie «joie pure», partage avec son compère, le pianiste guadeloupéen Jonathan Jurion. Le jazzman et son groupe étaient en concert à Dakar dans le cadre du spectacle «Regards sur cours» et la Saison Caraïbes de l’Institut français du Sénégal.Comment vous êtes venus à la musique ?

Jowee : A l’âge de 15 ans déjà, je voulais jouer du piano, comme Jonathan. Mais le professeur m’a découragé parce qu’il y avait beaucoup de pianistes et juste un piano. Alors il m’a montré plusieurs instruments dont le saxophone alto, et j’ai commencé à en jouer.

Jonathan : A l’école primaire, parce qu’on nous avait déposé un piano et le professeur venait nous faire do, ré, mi, fa, sol…, des choses très simples. Mais j’étais peut-être l’un des seuls à le faire bien. Ensuite, il laissait le piano après les cours dans une salle et moi, j’avais la possibilité d’y aller pendant la récréation. C’est comme ça que j’ai commencé, après j’ai pris des cours.

Et vous avez choisi le jazz ?
Jonathan : Pareil pour le jazz. J’ai commencé avec le piano classique pendant un an et il se trouve que le mari de la femme qui m’enseignait était pianiste de jazz. Et après un an de cours, sa femme m’a dit, je n’ai plus rien à t’apprendre. Tu peux même jouer avec mon mari. Je suis resté avec lui deux ans. Et c’est lui qui m’a fait découvrir le jazz.

Jowee : Le jazz, c’était un langage qui m’intriguait beaucoup parce que je suis né à l’église. Mon père était pasteur et j’étais vraiment dans le gospel. En même temps, mon premier professeur de saxophone m’apprenait Mozart, Beethoven, Ravel. Des petits bouts, 4, 8 mesures (il chantonne en riant). Et puis, en fin de compte, son fils, qui était professeur aussi, me dit : «A chaque fois qu’on te donne les trucs classiques, tu le joues en jazzzzz (en insistant bien sur la terminaison).» Si tu veux jouer du saxophone alto, il faut écouter Charly Parker. Au début, je n’aimais pas le son. Du point de vue so­nore, c’était dégueulasse. En­suite, à force de ralentir le truc, j’ai commencé à vraiment kiffer.

Vous vous êtes mis ensuite à d’autres instruments ?
Jowee : D’autres instruments et aussi à écouter d’autres jazzmen. J’aimais beaucoup Eric Golfier. Il n’était pas facile d’accès mais j’aimais son son. Maceo Parker aussi.

Et ils ont influencé votre musique ?
Jowee : Ils font partie de mes influences. C’est très tard que j’ai commencé à écouter les Manu Dibango, Fela Kuti. Ça a pris du temps. Au début, c’était vraiment les Américains, les Bebop, Charles Mangus, David Sanborn un jeune qui avait un groupe et son album m’a bouleversé. Ils étaient jeunes, ils avaient 19, 20 ans et ils jouaient du jazz. Pourtant, cet album Mood swing de Joe Farrell n’était pas facile. Je ne comprenais pas comment un gars de 20 ans pouvait jouer comme ça. Brad Mehldau, c’est son nom. J’avais 15, 16 ans à l’époque. Je me suis dit, comment ça se fait qu’ils comprennent déjà ce langage à cet âge-là. Et je me suis dit qu’il faut que je bosse. Mais j’avais oublié qu’eux avaient commencé à faire de la musique depuis l’âge de 6 ans.

Jonathan : Il y a des gens, des albums, ça t’oriente, ça change ta vie. C’est tellement riche comme musique… Je ne sais pas comment dire ça. Tu passes sans arrêt ton temps à te réorienter et c’est soit les rencontres avec des amis, soit avec des musiciens…

Dans votre environnement, il y avait du jazz aussi ?
Jonathan : Il y avait le Bocal. On l’entendait comme n’importe quelle musique. Il y avait mon oncle qui écoutait Earl Klugh. Il y a des gens qui ont la chance de vivre dans une famille de musiciens de jazz. J’aurais voulu.

Le fait de rencontrer les Manu Dibango, de jouer avec Richard Bona, ça a changé votre façon de jouer ?
Jowee : Of course ! Surtout Richard Bona, il a un super sens de l’humour. Manu Dibango, je n’ai pas joué avec lui, j’ai beaucoup échangé avec lui. Parce que souvent, on était sur les mêmes plateaux. La dernière fois que je me suis retrouvé avec Manu Dibango, il était avec un groupe de l’Afrique du Sud. Et on a passé tout l’après-midi ensemble, on a joué avant lui, on a beaucoup échangé et on a communié. Et c’était super. Richard Bona, on a déjà joué ensemble, mais quand on se rencontre, c’était beaucoup d’humour, un échange fraternel. Souvent les gens pensent que quand les musiciens se rencontrent, ils jouent automatiquement. Ce n’est pas toujours ça. Le plus souvent, on échange. Comme moi avec Jonathan, on peut parler des heures. Mais on joue une note, deux notes. On parle peut-être de la musique en général, mais plus de la vie.
Dans le jazz, il y a beaucoup d’improvisation. Comment vous faites pour créer alors ?
(Ils rient). Jonathan : J’ai l’impression que plus on y pense, moins on le fait bien. Plus on se connaît entre musiciens, plus il y a de la confiance. C’est d’abord le respect et la confiance.

Et Let’s Bash, votre album qui est devenu un slogan, ça veut dire quoi ?
Jowee : C’est devenu un slogan, mais celui qui m’a vraiment donné la signification étymologique, c’est Jonathan.

Jonathan : On dit que B, c’est la maison parce qu’il y a la poitrine de la femme et le ventre pour porter le bébé. Et donc, c’est le feu. Et M. Jowi, c’est le feu personnifié. Le bash, c’est l’amour, et l’amour, c’est un feu.

Dans une de vos interviews, vous disiez que vous vouliez que le jazz redevienne populaire ?
Jowee : Le jazz n’est pas populaire, mais il est beaucoup utilisé. Tous les gars du Rnb, du hip-hop ont tous des samplers dans leur musique. Kanye West l’a beaucoup popularisé, les Randy Mc, Dr Dre, Mwa, De La Soul, surtout ils ont beaucoup samplé. Public Enemy, ils samplent le jazz. On devrait jouer notre musique d’abord, ensuite s’ouvrir aux autres, mais on fait souvent l’inverse et on est obligé de faire un travail interne pour récupérer nos racines.

Finalement, le jazz véhicule votre engagement ?
Jowee : Le jazz, c’est la seule embouchure par laquelle on peut souffler un vent politique.
Jonathan : Est-ce que ce n’est pas une des musiques les plus honnêtes ? On ne peut pas tellement bluffer avec le jazz. C’est peut-être pour ça que ça devient de moins en moins populaire. On nous empêche de connaître notre histoire, on nous empêche de l’étudier. Dans les Antilles par exemple, il n’y a pas de manuels où l’on parle de ce qui s’est passé, de la traite des esclaves, de qui a organisé ça, etc. Ca perpétue les blessures chez les gens et le fait de ne pas en parler, ce n’est pas honnête.

Jowee : Très bien dit. Le jazz n’est pas populaire parce qu’il faut être honnête dedans. On nous fait étudier les curricula des Européens alors que nos racines profondes, on n’arrive pas à les connaître, à les étudier.

Sit in, votre chanson, a été bien reçue parce que ça a cette dimension ?
Jowee : Oui, mais en même temps, c’est une improvisation. Je l’ai fait d’un coup, je ne l’ai pas écrit. Ce serait cool si on pouvait se battre comme ces gens-là, comme Nina Simone. Elle a été vraiment frustrée, Nina Simone. Elle voulait faire comme les Européens faisaient, aller dans les écoles de classique, de piano, elle était bonne au piano, mais on l’a refoulée. C’est une dame qui aurait pu être une référence comme pianiste classique, mais elle est devenue quand même une référence. Il y en a plusieurs comme Toussaint Louverture, Joe Henderson, Miriam Makeba qui s’est beaucoup battue politiquement et a refusé de performer dans des endroits.

Vous avez aussi ce genre d’engagement, refuser de jouer quelque part ?
Jowee : Souvent, ça arrive. Trop souvent, je trouve qu’on est utilisé et on essaie de prostituer l’âme de la musique. C’est vraiment une âme sacrée. Il y a des trucs qui se passent musicalement, si ce n’est pas dans la méditation, tu ne peux pas arriver à ces dimensions-là. Et nous, en tant qu’artistes qui performent, on se sanctifie beaucoup dans ce sens-là, on médite et on fait beaucoup de travail sur nous-mêmes pour pouvoir délivrer ce genre de message. Lorsqu’on est dans cette dimension de partage, si le promoteur ou qui que ce soit veut édulcorer notre art en nous faisant partager ou performer à des endroits qui ne sont pas adéquats pour notre dimension, pour notre «témoignage», c’est une insulte à notre jeu.

Votre musique est un témoignage ?
Jowee : C’est vraiment un témoignage vivant de nos expériences. C’est pour ça que je suis content que Jonathan soit là, parce que je n’aime pas trop parler de la musique, j’aime mieux la partager.

Vous avez déjà eu des collaborations avec des jazzmen sénégalais ?
Jowee : Pour moi, ce sont des musiciens. Comme Alune Wade, Hervé Samb ?
Et en Haïti ? Comment ça se passe ? Vous avez toujours des liens ?
Jowee : Haïti est en phase de développement perpétuel. C’est un pays qui se trouve constamment opprimé, oppressé sur le sentier de la Justice pour lui faire payer son indépendance et sa victoire contre Bonaparte. Amour, Force, Courage, et que les ancêtres protègent Haïti.
Propos recueillis par Mame Woury THIOUBOU – (mamewoury@lequotidien.sn)