Il est autant un monument que le quotidien pour lequel il travaille depuis 49 ans. Le dessinateur de presse Jean Plantureux, plus connu sous le nom de Plantu, s’apprête à quitter «Le Monde». A 70 ans, celui qui aura passé 36 années à commenter l’actualité politique et sociale à la Une du journal, passe la main.
Ce n’est pas la fin du Monde… mais c’est la fin d’une époque pour Le Monde. Cette semaine, le dessinateur Plantu prend sa retraite. Une souris malicieuse, une chaise à porteur, le visage de Mahomet dessiné par un crayon-minaret : après 50 ans de dessins, dont 36 ans à la «Une» du quotidien du soir, Jean Plantureux (de son vrai nom) va laisser place, le 31 mars, à un collectif de caricaturistes, les dessinateurs de «Cartooning for peace» (Des dessins pour la paix).
Le dernier coup de crayon
C’est dans un bureau perché au quatrième étage d’un petit immeuble du Xe arrondissement de Paris que, tous les matins, Plantu fait son dessin du jour pour Le Monde. Un œil sur une chaîne info mise en sourdine, l’autre sur l’une des deux pendules de la pièce, Plantu n’a pas encore décroché. La Der des Ders, ce sera donc mercredi : «Je ne sais toujours pas ce que je vais faire ce matin-là. Peut-être qu’il y aura une petite souris qui agitera un mouchoir, je n’en sais rien. Et je ne veux pas savoir ! Je le ferai au dernier moment et le dessin sera envoyé à 10h 28 pour un bon à tirer, au journal, à 10h 30», raconte-t-il. «Et puis le lendemain, il y a tous mes copains et toutes mes copines de Cartooning for Peace qui vont me remplacer, tous ces dessinateurs que j’ai rencontrés un peu partout dans le monde entier, ils vont être à la Une du Monde et ça, c’est quand-même incroyable ! Je vis ça avec une joie, une gourmandise… Parce que je suis impatient de voir comment on va y mettre, le lundi, une israélienne et, le mardi, un palestinien. Ça me plaît, tout ça.» Cartooning for Peace est le réseau de dessinateurs de presse créé par Plantu en 2006 avec le prix Nobel de la Paix Koffi Annan, après la polémique autour des caricatures de Mahomet, et qui compte aujourd’hui 200 dessinateurs dans près de 70 pays. Pour Le Monde, Cartooning for Peace en a sélectionné une soixantaine qui, selon l’actualité, planchera sur des thèmes 24 à 48 heures à l’avance. Le journal publiera le meilleur.
Espèce en voie d’extinction ?
Mais dans un contexte tendu, où même un journal mondialement connu comme le New York Times a supprimé, en 2019, les dessins de ses pages pour éviter toute polémique, où Xavier Gorce a récemment claqué la porte du Monde, quel sens donner à ce choix où 60 pigistes vont remplacer un titulaire ? A Libé par exemple, c’est Coco qui va prendre la suite de Willem. Faut-il y voir un désengagement du Monde vis à vis du dessin de presse ? Jérôme Fenoglio, le directeur du Monde, reconnaît une prise de risque. «Ce n’est pas forcément évident de faire tourner des dessinateurs différents. Mais on a envie d’essayer, parce qu’on veut contribuer au renouvellement du genre, du dessin de presse», explique-t-il. «On a aussi envie de contribuer à sa féminisation, d’écarter les frontières, de montrer que c’est un genre français auquel on est très attaché en France, notamment pour des raisons qui sont liées à la violence des évènements qui ont eu lieu récemment, mais aussi que c’est un genre qui compte dans de nombreux pays où la liberté de la presse est menacée ; on a envie de défendre cela.»
«Cela nous donne une chance»
A 300 euros le dessin, cela ne fera pas vivre Marie Morelle ou les autres sélectionnés (dont seulement un tiers de femmes, preuve que la féminisation de la profession est un vrai enjeu). Mais pour cette Française de 33 ans, au trait vif et percutant, qui cultive l’irrévérence et l’humour grinçant dans Siné Mensuel et Causette entre autres, c’est une vraie opportunité. «On sait tous que la presse n’est pas à son fort depuis plusieurs années. De toutes manières, le dessin de presse, c’est un métier compliqué. Et là, Cartooning for Peace et Le Monde nous donnent quand-même une putain de chance ! Parce qu’un journal classique aurait fait quoi ? Quelqu’un part, on prend quelqu’un de connu, déjà implanté ! Coco [qui vient de rejoindre Libé pour remplacer Willem, Ndlr] est l’une des seules dessinatrices encore sur le marché, si je puis dire… Qu’est-ce qu’il se serait passé ? Le Monde aurait pris quelqu’un de déjà connu et nous, on aurait galéré, parce que toutes les places sont déjà prises ? Donc oui, c’est une situation difficile, mais ça nous donne aussi une chance», estime-t-elle. Quant à Plantu, il n’est pas prêt à raccrocher les crayons : «Je vais garder le contact avec mes amis au journal et puis, peut-être que j’irai les embêter encore, en leur demandant ce qu’ils pensent de tel dessin, s’ils l’auraient publié à la Une du Monde.» Il pourrait aussi reprendre la sculpture, délaissée depuis plusieurs années, faute de temps.
France Inter