Alioune Tine, Expert indépendant de l’Onu pour le Mali : «Les moments les plus sombres de l’histoire politique sénégalaise»

«J’ai l’impression qu’avec les évènements que nous vivons en ce moment qui se suivent, se ressemblent, ce sont les moments les plus sombres de l’histoire politique du Sénégal. Si vous avez la possibilité de liquider politiquement ou de mettre un terme à la carrière politique de vos adversaires tout en protégeant vos partisans, c’est extrêmement grave. On n’est plus dans un Etat de droit. Le moment de l’action n’est pas encore arrivé, mais je ne pense pas que cela soit très loin si on continue d’agir de la sorte parce qu’au train où vont les choses, les gens commencent à avoir de graves préoccupations sur l’avenir de la démocratie. C’est un volcan qui est endormi pour le moment, mais il ne faut pas provoquer le destin. On est en train de franchir un certain nombre de frontières qui jusqu’ici constituaient la frontière d’éthique de l’Etat de droit.»

Me Bamba Cissé, avocat : «Une erreur de droit manifeste»
«Je ne suis pas avocat de Khalifa Sall, je parle en tant que citoyen. Quand on parle de condamnation en droit, c’est quelqu’un qui a épuisé toutes les voies de recours ordinaires et extraordinaires. La même logique qui a fait qu’on a attendu pour ne pas le révoquer vaut toujours parce qu’il y a une voie de recours qui est ouverte. L’article 36 de la loi organique portant organisation de la Cour suprême dit que le pourvoi et le délai de pourvoi sont suspensifs en matière pénale, concernant la condamnation. Si demain la Cour suprême casse l’arrêt de la Cour d’appel, quel sera le sort de cette révocation ? Il fallait pour l’Etat attendre l’épuisement du délai de pourvoi en cassation et se faire délivrer un certificat de non pourvoi en cassation ou bien attendre la fin de la procédure. C’est une erreur de droit manifeste. Le Président a la possibilité de retirer cette décision de révocation. Si le Président a de bons conseillers en droit, ils devraient lui demander de retirer cette décision de révocation.»

Me Assane Dioma Ndiaye, président de la Ligue sénégalaise des droits humains
«Un acharnement ou une persécution politique contre Khalifa Sall»
«Sur le plan de la forme, il y a une inélégance républicaine. Cela conforte les suspicions brandies par les partisans de Khalifa selon lesquelles d’abord qu’il fallait l’éliminer politiquement, mais aussi récupérer la mairie qui, en perspective des élections, est un capital fructueux. Au fond, cette révocation est dans une logique de condamnation définitive et irréversible. Si on prend l’arrêt de la Cour d’appel, il y avait un délai de pourvoi de 6 jours. Donc, l’arrêt pour le moment est inexistant. Si on base cette révocation sur cet arrêt, cela manque de base légale. Donc Khalifa Sall, au moment où on parle, est présumé innocent.
Le président de la République n’a pas été bien conseillé. Cet acte traduit un acharnement ou une persécution politique contre Khalifa Sall. La politique est en train de gangréner la rationalité. Ces juristes qui conseillent le président de la République savent que Khalifa Sall est pour le moment éligible à la présidence de la République. Donc, il peut garder la mairie de Dakar qui est moins importante par rapport à la présidence de la République du point de vue de la Constitution. En droit, qui peut le plus peut le moins. Pourquoi ils n’en tiennent pas compte ? A moins qu’ils soient dans une logique de négation du droit ou déni de droit.»

Cheikh Guèye, maire de Dieupeul Derklé, proche de Khalifa Sall : «Je ne pensais pas qu’on allait assister à ces reculs durant la 2ème alternance»
«Je suis animé par un sentiment de désolation. Il y a le manque de motivation du décret et l’accélération de la procédure. Moins de 24h après l’arrêt de la Cour d’appel, le Président se précipite pour révoquer le maire de Dakar. C’est inélégant. Je rappelle à l’opinion que Khalifa Sall n’a pas été élu maire par décret, il a été élu par les Dakarois. Avec la parenthèse des Délégations spéciales, je ne pensais pas qu’on allait assister à ces reculs durant la 2ème alternance.
On vise à éliminer un candidat. La politique est une affaire de gentleman, l’élégance dans la façon de faire et le respect des lois. On ne peut pas, parce qu’on est président de la République, piétiner les lois pour éliminer un adversaire politique. La Cour d’appel n’a même pas rendu public son arrêt. Qu’est-ce qui explique cette précipitation ? Et c’est le cas depuis le début de cette affaire. Nous allons attaquer ce décret devant les juridictions compétentes. C’est comme si la Tabaski est prévue dans une semaine, tu égorges aujourd’hui ton mouton. Tu n’as pas fêté la Tabaski. C’est la même chose avec cette décision de Macky Sall.»