La réception du Ter ne marque pas la fin du calvaire des populations vivant dans les zones traversées par le train. Elles doivent encore supporter les travers d’un projet d’une telle envergure réalisée au cœur des habitations. Il est sûr que les rames retourneront en gare le temps de finir les chantiers.

«Macky vient inaugurer quoi ici ?» s’interroge Abdou Gningue qui doit supporter une dernière remontrance d’un flic. «Passez de l’autre côté ! Il ne faut pas longer les rails comme ça», tonne ce policier, réduit à surveiller le flux humain traversant le chemin de fer pour rejoindre leur domicile. «Les travaux ne sont pas finis. On est contraint de faire de grands détours. Et il vient inaugurer des chantiers sans doute», persiste-t-il. Vêtu d’un tee-shirt bleu, jean noir, Abdou enjambe les rails sous le regard des Forces de l’ordre sur les dents à Pikine, Cité 1.
A 24h de la réception du Ter, les travaux sont loin d’être achevés. Pas de mur. Pas de pylônes pour l’électricité. Juste des rails et des zincs qui font office de filets de sécurité dans cette zone densément peuplée. Projet phare du Président Macky Sall, le Ter est sur les rails depuis hier. Il est censé projeter le Sénégal dans une nouvelle dimension dans le domaine des transports. En attendant, les populations qui vivent autour du tracé du train express sont exténuées par de longs mois de travaux harassant qui impactent leur vie.
A Zac Mbao et environs, la vie relève d’un casse-tête. Kalilou Sané, aviculteur, habitant à la Cité Police, située à quelques mètres des rails, enrage : «Nous sommes tous enrhumés, mala­des et surtout nos enfants. Tout récemment, j’ai emmené à l’hôpital mon neveu qui a beaucoup souffert de cette maladie.» Aussi, le bruit des engins est «insupportable». «Ils nous empêchent même de faire la sieste», raille M. Sané. Aujourd’hui, les résidents des cités Environ­nement, Sones, Assurance, Gabon, Friperie de Zac Mbao vivent reclus dans leur coin. Il faut marcher sur de longs kilomètres pour sortir de l’étreinte imposée par les travaux du train. «La source du problème n’est rien d’autre que le Ter. Désormais, aucun véhicule ne rentre à Zac sauf s’il fait un contournement au niveau de Keur Mbaye Fall ou de Rufisque sur la nationale n°1», déplore M. Niang, directeur de l’école Yaye Alimatou Sadiya, logée dans le quartier. Il dénonce un travail mal pensé en amont : «Il y a un travail en amont qui devrait être fait. Malheureusement, tel n’est pas le cas. C’est pourquoi ces voies de contournement empruntées par certains sont remplies de creux et de crêtes.» Aux yeux des populations, les priorités ont été inversées durant le déroulement des travaux : «Les travailleurs du Ter devraient plutôt achever les travaux du pont pour faciliter la circulation des personnes que de se précipiter à la pose des rails pour je ne sais quoi», insiste M. Niang qui se mouche une dernière fois. «La population de Zac souffre plus, surtout les enfants, les femmes enceintes, les personnes âgées et celles à mobilité réduite parce qu’ils ont du mal à enjamber les rails.» Ici, on pense déjà aux désagréments à supporter. «Avec le mur, si on ne prévoit pas des canaux d’évacuation d’eau de pluie et ne pense au passage des camions-vidangeurs, nous allons vivre des calamités plus que ce que nous subissons là», prévient Sara Ndiaye, logeant à la cité Mame Ciré 1 Extension. Cet enclavement crée la psychose de l’insécurité. «J’ai été agressée par un bandit très tôt le matin, en me rendant au travail tout prêt du Ter. Ici à Zac Mbao, tout le monde est désormais obligé de marcher. C’est ce qui a accentué l’insécurité, car auparavant on prenait nos clandos juste devant la Rn1, près de la station Total, mais ils ont été déguerpis», dit-elle. Tout le monde est logé à la même enseigne. «Nous sommes obligés de nous réveiller vers 4h 30 du matin voire 5h 30 pour arriver à l’heure au travail à cause de cet enclavement», ajoute-t-elle tout en priant pour un achèvement rapide des travaux afin de retrouver une vie calme.
A Rufisque-Nord, certains habitants avaient introduit une autorisation de marche le jour de la réception de l’ouvrage pour dénoncer les effets néfastes du Ter. Evidemment, le préfet a dit non pour menaces de trouble à l’ordre public. Le «Front rabonnir Rufisque», qui «n’est pas contre le projet du Ter», exige une prise en charge correcte de la mobilité des populations. «Le projet ne tient pas compte des préoccupations économiques, sociales et environnementales des populations de Rufisque (…) Les Rufisquois ont du mal à circuler, car il n’existe quasiment pas de passerelles pour faciliter la circulation des personnes et des biens», a noté Bou Mouhamed Fall. Il réclame ainsi des passages pour rallier le centre-ville ainsi que l’éclairage sur tout le tracé du Ter. «Les travaux ne sont pas prêts et on a voulu inaugurer à notre détriment. C’est comme si on vivait à huis clos chez nous», regrette Lamane Niang, contraint de faire de longs détours pour trouver un moyen de transport.
A Colobane, les ouvriers sont toujours à la tâche à quelques heures de l’inauguration. Ici doit être érigée l’une des 14 gares prévues sur l’axe Dakar-Diam­niadio. Les bruits des bétonneuses, mouleuses et grues se mêlent aux cris des passants, aux discussions des ouvriers et leurs chefs, des ferrailleurs qui découpent, mesurent les fers, puis les passent aux maçons. Lesquels posent les briques sur l’édifice qui prend forme. C’est la course contre la montre pour finaliser les travaux du Ter. De Colobane à Thiaroye, les complaintes sont sur les rails, qui sont en train de révolutionner leur vie : l’érection des passerelles, l’achèvement rapide du mur de clôture. Cheikh Gningue presse l’Etat : «Il le faut sinon ce sont nos vies qui seront mises en péril. Ça, l’Etat doit en être conscient.» Il l’est probablement. En mettant 656 milliards (568 milliards au début et un avenant de 88 milliards, soit 15% du coût de départ) et en indemnisant les impactés à hauteur de 50 milliards, le Président Macky Sall veut projeter le Sénégal dans l’émergence. D’une vitesse de 160 km/h et d’une capacité de 500 places, le Ter doit desservir 14 gares.
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