Internet est une révolution. Et qui en entraîne d’autres. Son avènement provoque des métamorphoses sur les métiers. Sur le journalisme, par exemple. Sur le journalisme sénégalais aussi.Par Moussa Seck –
«Le choix de mettre l’accent sur les médias à l’ère de l’internet se justifie donc amplement : comme écrit dans un des articles qui composent cette étude, il n’y a plus aucune salle de rédaction au monde qui ne soit en train de subir l’impact de l’internet. Mais pas seulement les salles de rédaction : c’est l’ensemble du travail journalistique et de l’écosystème médiatique qui est bousculé, chamboulé, parfois radicalement transformé par cet outil !» Ainsi, sous la plume de Hamadou Tidiane Sy, le travail trouve-t-il son intérêt, puisque son sujet est plus que d’actualité. Le travail : un «Panorama des médias sénégalais à l’ère de l’internet». Une étude réalisée par l’Ecole supérieure de journalisme, des métiers de l’internet et de la communication (E-jicom) via son Laboratoire du numérique et des nouveaux médias, et le Wits Center for Journalism. Selon M. Sy, «de la recherche de sujets jusqu’à la diffusion de l’information, en passant par la collecte et le traitement», rien dans les salles de rédaction n’échappe à l’irruption de l’internet. Quelques chiffres du panorama pour étayer : 85, 5%, contre 14, 5% de journalistes de rédactions sénégalaises (55 réponses à travers un questionnaire en ligne) disent utiliser les réseaux sociaux comme sources ou outils professionnels dans leur travail. La nouveauté apportant son lot de métamorphoses, l’adaptation s’impose. D’autant plus que l’environnement médiatique sénégalais semble marqué du sceau de l’instabilité. «Entre 2000 et 2022, plus d’une trentaine de titres de la presse privée ont disparu, pour être remplacés par autant de titres ou plus», apprend-on de l’étude. Difficultés, entre autres, économiques. Toutefois, «aujourd’hui il faut ajouter à toutes ces difficultés, la migration des lecteurs vers l’internet, d’où la nécessité pour les médias traditionnels dans leur ensemble (radios et télévisions, mais surtout presse écrite) de s’adapter à la révolution en cours avec l’internet et l’explosion des diverses plateformes qui offrent des sources d’informations alternatives au public».
La pénétration par internet des salles de rédaction ne fait pas qu’obliger le journalisme à se réinventer : elle transporte avec elle le citoyen dans lesdites salles. Concurrent, devient-il, tandis que le monopole de l’information, auparavant détenu par les salles et leurs occupants traditionnels, se voit remis en cause. Dans ce sens, le panorama fait remarquer que «l’apparition du journalisme citoyen et du journalisme participatif relève des transformations de l’espace public aboutissant à une remise en cause de la légitimité du journaliste dans sa mission, son rôle social, ainsi que sa fonction de gatekeeper». Une légitimité déclinante en appelant à l’émergence d’une autre, des personnages naissent. Internet les rend possibles, ainsi que leur «journalisme», au moment où l’accumulation de vues et de followers les pousse à se fonder leur légitimité.
Beaucoup plus préoccupés par leur nombre de followers
«Xalaat Tv», qui «se présente comme une chaîne de télévision en ligne», qui «fait des investigations sur des faits de société, des personnalités politiques, des artistes, des dossiers…», est un des exemples cités par l’étude. «Avec des pages sur Facebook, Instagram et YouTube, où elle comptait plus d’un million d’abonnés au 5 mars 2023. Depuis sa création, en décembre 2015, cette chaîne YouTube, animée par de jeunes sénégalais sous anonymat, a engrangé plus de 144 millions de vues, d’après ses statistiques au 5 mars 2023. Ses auteurs ont un positionnement qui emprunte les codes et genres relevant du journalisme, puisqu’ils l’assurent : «Toutes les informations sont avérées et sont fournies à base (de) recherches solides et de sources sérieuses.»», lit-on dans le panorama. Et qui s’interroge d’ailleurs : «Cela en fait-il pour autant une salle de rédaction ?» Ce qui est sûr, c’est que des personnages tels que «Bah Diakhaté l’officiel», «Mollah Morgun», «Kalifone Sall», «Françoise Hélène Gaye» ont en commun un positionnement politique clairement orienté. Et pourtant, ils promettent révélations, informations sûres et vraies, empruntent aux codes du journalisme. Ils existent, se légitiment et sont légitimés, mais un certain purisme dit autre. «C’est une tendance qui prend de plus en plus d’ampleur. Ils produisent de l’information à leur manière, il ne faut pas qu’ils se réclament journalistes. Car ils ne respectent pas vraiment les règles du métier, ils sont beaucoup plus préoccupés par leur nombre de followers», a soutenu une journaliste interrogée lors de l’enquête.
Internet et ses innovations sans cesse améliorées, et la vitesse qui va avec, précipitent le journalisme dans une course qui use l’éthique et la déontologie. Chahutées, ces deux dernières, pour reprendre le terme utilisé dans l’un des passages du panorama. Ce, d’autant plus que plus d’un site d’information ne se soucie que peu d’éthique et de déontologie et qu’il arrive que des médias traditionnels y ramassent de l’infox. Des clics, il faut en récolter. Seulement, «cette chasse aux «clics», par le biais d’informations exagérément estampillées «exclusif», «scandales» ou par le biais de l’info-spectacle, fait ainsi perdre aux professionnels des médias, la rigueur et la vigilance qui garantissent la fiabilité des informations fournies. Résultat des courses : les journalistes et le journalisme sénégalais ont tendance à perdre de leur crédibilité auprès du public». «Chasse aux clics», «immédiateté journalistique», «journalisme sous influence des géants du net», «désinformation», «irruption à outrance dans le champ journalistique de chroniqueurs et analystes»… sont entre autres termes et centres d’intérêt qui traversent l’enquête qui a vu la participation de journalistes, chercheurs.