Javier Bardem, Emma Stone… : Une pétition de 2500 artistes veut faire taire le cinéma israélien

Plus de 2500 personnalités signent un texte prônant le boycott du cinéma israélien. Faut-il interdire l’art pour défendre la Palestine ?
Aurait-on l’idée de boycotter le cinéma iranien -incluant des artistes engagés comme Jafar Panahi et Mohammad Rasoulof- pour protester contre la dictature ? C’est ce que semblent penser, pour ce qui concerne la politique d’Israël, Javier Bardem, Emma Stone, Olivia Colman, Mark Ruffalo, Tilda Swinton ou, côté francophone, Camelia Jordana, Eric Cantona, Charlotte Le Bon… Plus de 2500 acteurs, réalisateurs et scénaristes ont déjà signé une pétition publiée lundi 8 septembre par le Guardian, annonçant qu’ils ne collaboreront plus avec les institutions cinématographiques israéliennes, jugées «complices de génocide et d’apartheid contre le Peuple palestinien». Le boycott vise les festivals, mais aussi les cinémas, diffuseurs, sociétés de production et de distribution liés à l’Etat israélien.
David Farr, à l’origine de l’initiative
Ce texte, défendu par le collectif Film Workers for Palestine, s’inscrit, selon ses signataires, dans la logique du boycott culturel qui avait contribué à la chute de l’apartheid sud-africain. Les festivals visés sont parmi les plus importants du pays : le Festival international du film de Jérusalem, vitrine majeure du cinéma israélien et étranger ; le Festival de Haïfa, l’un des plus anciens et prestigieux ; Docaviv, consacré au documentaire ; et TLVFest, festival de cinéma Lgbt+ de Tel-Aviv. Tous sont critiqués pour leurs partenariats institutionnels avec l’Etat hébreu, mais les signataires précisent ne pas viser les individus israéliens. La nuance n’apparaît néanmoins que dans les Faq [Frequently asked questions ou Foire aux questions, Ndlr] proposées en lien dans la pétition. Parmi les porte-voix de l’initiative, le scénariste David Farr (Hanna, The Night Manager), petit-fils de survivants de la Shoah, s’est dit «anéanti et enragé par les actions de l’Etat d’Israël, qui applique depuis des décennies un système d’apartheid et a volé les terres des Palestiniens». Il assimile l’offensive menée à Gaza à un «génocide». La pétition indique que les signataires «répondent à l’appel de cinéastes palestiniens qui les ont exhortés à rompre le silence, le racisme et la déshumanisation, et à faire tout leur possible pour arrêter la complicité dans leur oppression». Aucun nom de cinéaste palestinien n’est cependant explicitement mentionné dans le texte.
Un boycott qui interroge
Ce n’est pas la première fois qu’une pétition de ce type voit le jour. En 2005 était lancé, par plus de 170 organisations de la société civile palestinienne réunies au sein du Comité national palestinien, le mouvement Bds, prônant le boycott économique, culturel et académique d’Israël, qui n’est pas mentionné par cette pétition. Plus récemment, le mouvement Block Out, venu des Usa, visant des personnalités publiques en France et à l’étranger, qui n’est pas non plus mentionné dans cette pétition, a également créé la polémique. Le mouvement intervient alors que l’industrie culturelle multiplie les prises de position contre la guerre à Gaza. L’été dernier, Joaquin Phoenix, Pedro Pascal, Ralph Fiennes ou encore Guillermo del Toro avaient signé un appel dénonçant «le silence» du cinéma face à la guerre menée par Israël en Palestine. A la Mostra de Venise, The Voice of Hind Rajab, racontant l’histoire d’une petite fille de cinq ans morte à Gaza, a reçu une longue ovation, qui souligne l’émotion suscitée, à juste titre, par le sort des Palestiniens victimes de la politique offensive de Benyamin Netanyahou. Mais comment espérer entendre des voix dissidentes en boycottant l’intégralité des artistes d’un pays ? L’Association des producteurs israéliens dénonce le contresens dans cette levée de boucliers : «Depuis des décennies, nous donnons à entendre la complexité du conflit, y compris des voix palestiniennes», rappellent-ils. Ils partagent aussi leur inquiétude face à l’injustice de la démarche, «qui muselle le dialogue et réduit au silence les créateurs travaillant précisément pour la paix».
LePoint