J’aime bien Charles Pasqua. Figure emblématique du gaullisme et du souverainisme à la sauce française, il est l’auteur de plusieurs citations devenues célèbres. «Les promesses des hommes politiques n’engagent que ceux qui les reçoivent», a-t-il dit. Mais l’une des citations les plus célèbres est sans nul doute sa fameuse phrase devenue «théorème Pasqua», dans laquelle il dit : «Quand on est emmerdé par une affaire, il faut susciter une affaire dans l’affaire, et si nécessaire, une autre affaire dans l’affaire de l’affaire, jusqu’à ce que personne n’y comprenne plus rien.» En effet, devant de nombreux démêlés politico-judiciaires dans lesquels il a été impliqué, est né ce théorème qui tiendrait son origine de l’une de ses citations, probablement apocryphe. Il s’agit d’une technique consistant à «susciter une affaire dans l’affaire» pour détourner l’attention d’un problème initial, afin de semer la confusion et d’éviter que la situation ne soit clairement comprise. Cette technique décrit une tactique politique visant à noyer une information gênante dans un flot de nouvelles et de polémiques, rendant la situation totalement obscure.
Rapporté au débat sur la dette dite «cachée», à quelques exceptions près, c’est ce à quoi nous assistons. En réalité, pendant que la rhétorique pastéfienne a toujours parlé de «dette cachée», voilà que Macky Sall, à travers ses avocats, vient mettre le curseur sur les «rapports cachés», au point de désarçonner le pouvoir. En effet, les avocats du Président Macky Sall ont pris la parole ce jeudi 23 octobre 2025. Selon Me Pierre-Olivier Sur, coordonnateur du pool d’avocats de l’ancien chef de l’Etat, «il n’y a pas de problème de dette cachée au Sénégal», mais plutôt des rapports cachés. «Le vrai sujet, c’est celui des rapports cachés qui disent que la dette était cachée. Premier rapport caché : le rapport de l’Inspection des finances, qui est le premier à mettre le feu aux poudres, le premier à faire parler de dette cachée. Ce rapport est caché. Nul d’entre vous ne peut nous indiquer l’avoir eu entre ses mains. On l’a demandé, on ne l’a pas eu», a assené l’avocat face à la presse, avant d’ajouter l’autre rapport sur la dette dite cachée, celui de la Cour des comptes. «Ce pré-rapport de la Cour des comptes est caché. Nous non plus, nous n’avons pas eu ce document, en dépit des lettres que j’ai adressées, il y a maintenant 15 jours, au président de la Cour des comptes et au ministre des Finances.» Et le dernier document caché aux Sénégalais est le rapport de confirmation du cabinet Mazars. «Ce rapport, vous l’avez tous sur les lèvres. Là encore, vous ne l’avez pas entre vos mains, ce rapport de Mazars. C’est le troisième rapport caché», a regretté l’avocat.
La sortie médiatique de Me Pierre-Olivier Sur, avocat de l’ancien Président Macky Sall, avait effectivement pour but de déplacer le débat du fond vers la forme. Plutôt que de répondre aux accusations de dette cachée, il insiste sur l’inaccessibilité de certains rapports administratifs, qu’il qualifie de «rapports cachés». Mais cette posture soulève une interrogation essentielle : est-ce en contestant l’absence de documents que l’on répond aux faits ? Ce n’est pas en réclamant des justificatifs que l’on dissipe les soupçons. Le moment venu, il faudra se présenter devant les juridictions compétentes, et c’est là que la vérité se fera jour. Les avocats, qu’ils soient du Sénégal ou d’ailleurs, doivent se préparer à démontrer, avec rigueur et preuves à l’appui, que les accusations portées contre leur client sont infondées ou erronées. Comme l’a souligné la défense de l’ancien Président Macky Sall, tant que ces rapports ne sont pas officiellement publiés, il n’y a pas lieu d’accorder une importance particulière aux déclarations de la directrice du Fmi. D’autant plus que cette institution n’a pas mené sa propre enquête, ni réalisé d’expertise ou d’audit sur l’encours de la dette sénégalaise. Elle ne fait que reprendre les informations issues de ces documents dont le contenu est encore sujet à caution.
Ce que le Peuple attend, ce n’est pas une rhétorique sur des rapports introuvables, mais une défense solide, argumentée et crédible. Que les avocats se mettent au travail, qu’ils bâtissent leur dossier, car le jour de vérité viendra, et ce ne sont ni les effets d’annonce, ni les déclarations publiques qui feront foi, mais les faits. En somme, nous n’attendons pas des justifications, mais des explications. Et ce n’est pas en disant, comme Waly Diouf Bodian lors de leur conférence de presse réponse, que «Macky Sall a mis en place un système global de tricherie. Tout était faux sous Macky Sall : les chiffres, les bilans, les discours. Ce qui était vrai, c’est qu’il s’appelait Macky Sall et qu’il était Président», qu’on prouve aux Sénégalais qu’une dette cachée existe. C’est à se demander si Pastef a effectivement 4000 cadres, si le pouvoir doit se contenter de Cheikh Bara Ndiaye «Garabou Garabou», Dame Mbodj «Layam Layami» et Waly «Vigile» pour apporter la répliquer aux avocats de Macky Sall.
Par ailleurs, ce pouvoir a un problème avec les documents «cachés». En effet, Ousmane Sonko a un véritable problème avec les rapports et preuves cachés ou inexistants. Dans l’affaire des 94 milliards dans laquelle il accusait l’ancien directeur des Domaines de «détournement de deniers publics», il disait, en janvier 2019, que «Mamour Diallo et ses complices se sont partagé 46 sur les 94 milliards. Le procureur Bassirou Guèye, qui s’était acharné sur Khalifa Sall, doit ouvrir ce dossier. Il se croit procureur de Macky Sall, mais il est procureur de la République. S’il mérite son statut, qu’il ouvre ce dossier, parce que je l’ai saisi depuis le mois de mai 2018. Je lui dirai dans quelles banques les transferts d’argent se sont faits, quelle banque a payé les 46 milliards…». Nous sommes en 2025, et jusqu’à présent nous attendons le nom de la banque qui aurait reçu ce versement qui ne figure dans aucune loi de règlements, ni dans une Loi de finances rectificative.
Et que dire de l’affaire des 29 milliards qui seraient détournés du Prodac ? Condamné définitivement pour diffamation dans ce dossier, le leader de Pastef s’est présenté aux Sénégalais pour brandir le fameux rapport épinglant l’ancien ministre Mame Mbaye Niang, qu’il promettait de rendre public dès le lendemain. Cela fait maintenant plus de 4 mois, et toujours rien. Le doute est alors permis sur l’existence de ce rapport.
Il s’est également permis de nous affirmer que dans l’un des comptes bancaires d’un ancien du régime déchu, il se trouverait 1000 mil­liards de francs Cfa. Durant la campagne législative de novembre 2024 à Thiès, il avait promis de rendre publiques les preuves de cette accusation. A ce jour, rien n’a été produit.
C’est dire que Ousmane Sonko et Pastef ont bâti une grande partie de leur ascension politique sur des dénonciations calomnieuses, sans preuve des prétendus milliards détournés par les dirigeants sénégalais. Ils ont longtemps qualifié les dirigeants de l’époque de «prédateurs» et de «traîtres au Peuple» qui méritent d’être «fusillés en public». De Mamour Diallo à Amadou Ba, en passant par tous ceux qui un jour ont constitué un obstacle à son évolution, Ousmane Sonko a toujours usé de manipulation et d’accusation gratuite. Durant ses lives, il n’a jamais cessé de pointer du doigt des figures de l’Etat, jurant de les traduire en Justice une fois au pouvoir. Pourtant, depuis sa prise de fonction, aucune enquête sérieuse, ni poursuite judiciaire, n’a été engagée sur la base de ces accusations tapageuses et manifestement fausses. Les grandes promesses de traquer les supposés détournements restent donc lettre morte, laissant planer le doute sur la véracité des accusations passées et sur la probité morale de celui qui les profère.
Par Bachir FOFANA