«Comment le pétrole et le gaz devra (sic) impacter notre développement pour éviter (…).» C’est ainsi qu’en homme de devoir, toujours prêt à aller … au charbon, Macky Sall a conjugué le verbe «devoir» ce week-end. «Devra» au lieu de «devront». Bel hommage de l’ancien étudiant de l’Ucad Macky Sall qui montre la voie à ses successeurs à l’Université de Dakar, où les doctorants et maîtrisards ne savent plus aligner trois mots corrects dans une phrase de deux minutes, dans un français qui puisse rester académique. Académique : le mot est lâché. Et c’est le mot qui fâche. Nous devons en finir avec le français de France.
Les Belges, dans un excès récent et soudain de frites, ont ainsi décidé de supprimer le «i» de l’oignon (ognon). Pourquoi laisser le français aux seuls Français ? Les maudits Français, comme les appellent affectueusement les Québécois pour avoir été abandonnés 400 ans par eux, depuis leur réforme de l’orthographe des années 90, n’appellent plus une femme ministre que «Madame la ministre», là où au Sénégal nous persistons avec «Madame le ministre». Et c’est très bien ainsi. Persistons et signons ! L’autoproclamé austère qui se marre Premier ministre français Jospin a fait supprimer la mention «mademoiselle» des documents administratifs français, pour ne conserver que «madame» et «monsieur». Mais c’est que nous Sénégalais et Africains n’avons pas cette crise de genre qui frappe l’Occident : nous y tenons, à ce «mademoiselle», promesse de possibilités de romances et appels du pied à courtiser dans des latitudes où on peut faire de plusieurs (ma)demoiselles ses «madames». Sauvons le «mademoiselle». Sauvons la langue française en Afrique, en faisant une langue africaine en Afrique ! Il nous faut une Académie africaine de réforme du français (Aarf). Senghor et son inutile épée d’académicien français, qui ne pourfendit jamais aucun corps, avait fait entrer «essencerie» au nom du Sénégal dans le dictionnaire, mot que plus personne n’utilise au Sénégal et où tout le monde dit station pour station-service. Et il avait omis d’y faire admettre «dibiterie». «Primature» qu’il a fait accéder au dictionnaire a bien résisté et essaimé en Afrique, comme désignation du siège du Premier ministre. Soit.
Mais ce que veut le Peuple, dans un pays où les petites têtes crépues apprennent à déchiffrer, puis lire un mot avant que de le parler (survivance de l’éprouvée méthode du syllabaire), nous disons «esport», «espécial» et «estade». Pourquoi ne pas les légaliser dans la langue écrite, cette manière hispanisante de désigner stade, spécial et sport ? Espagnols avec qui nous avons d’ailleurs en partage la délicieuse jota et qui pourront mener la médiation internationale entre l’académie française et la future académie africaine.
Dans une émission politique dominicale, j’entendais il y a une semaine le ministre en charge de la Communication à la Présidence, mon ami El Hadj Kassé, grand ami des lettres, prononcer ainsi le verbe condamner : «Ce monsieur (Ndlr : Karim Wade) a été «condameuné».»  Kassé, ne casse rien ! Il le prononce comme la majorité des Sénégalais. Hé bien, que le Sénégal décrète l’avènement du verbe «condamener» pour désigner la même chose que condamner. Ce qui est condamnable, «condamenable» dirais-je d’ail­leurs, c’est quand les règles ne se conforment pas aux usages. Et pour la grammaire, quitte à ébouriffer nos cousins gaulois et notre grand-mère française, édictons la règle selon laquelle lorsque deux produits de même nature sont sujet d’un verbe, celui-ci se conjugue à la troisième personne du singulier : «Le gaz et le pétrole devra donc.» Cqfd.
Ousseynou Nar GUEYE