Parler de force négligée de productions cinématographiques et audiovisuelles au pays de Sembène dont le centenaire est fêté cette année, a de quoi faire frémir quelques puristes, mais le poids colossal que commencent à avoir les séries sénégalaises mérite qu’on s’attarde sur elles. Depuis quelques années, une florissante industrie de production des contenus audiovisuels germe dans notre pays, avec une offre en quantité et en qualité de séries télévisées. S’il y a une chose dont on peut bien être fier, c’est l’explosion phénoménale de ce sous-secteur culturel au Sénégal. Marodi, Evenprod, Kalista Prod, Pikini Production, Invictus et j’en passe, les maisons de production ne cessent de se distinguer avec des produits de qualité, réussissant ainsi à accrocher des audiences tant au Sénégal qu’à l’étranger.

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Les produits proposés s’inspirent principalement du vécu quotidien et s’imprègnent des réalités locales, facilitant du coup l’appropriation du contenu par le public. Il faut dire qu’un terreau fertile existait déjà, avec des téléspectateurs déjà acquis aux scénarios de style Bollywood, Nollywood et surtout des telenovelas venues d’Amérique du Sud. Voir les histoires à l’eau de rose, des aventures policières et des intrigues familiales sous une touche sénégalaise et africaine facilite la pénétration, de surcroît si les contenus sont produits en langues locales principalement. Qui mieux que nous-mêmes pour nous raconter, nous vendre, nous magnifier, promouvoir nos histoires et illustrer nos vécus à travers des récits ?

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Le succès des séries sénégalaises ne se discute pas, et les chiffres sont là pour en parler. Les épisodes font des millions de vues chaque semaine, l’offre ne cesse d’être ambitieuse avec des améliorations notoires dans la qualité des images et l’adéquation des récits aux réalités des populations. Un tour des chaînes Youtube des différentes maisons de production montre des épisodes qui explosent les compteurs d’audience, et surtout un engagement réel des communautés qui suivent ces feuilletons. Une série sénégalaise est autant suivie par les diasporas africaines un peu partout dans le monde que par toute la sous-région francophone. Ce n’est pas un hasard que dans beaucoup de pays voisins, une certaine image de Dakar et du Sénégal ait pu être véhiculée par le biais des séries, mêlant curiosité et fierté de voir du contenu culturel d’un pays africain bien s’exporter avant tout chez nos voisins. Les chaînes de télévision locales bataillent pour diffuser en primeur les productions les plus populaires, malgré une présence timide dans la commande de contenu. A vrai dire, les télédiffuseurs sénégalais auraient davantage aidé à une explosion de cette nouvelle industrie audiovisuelle sénégalaise s’ils intervenaient de façon sincère dans la commande de productions, en ne se limitant pas à une logique de diffusion.

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Tout un mode de vie et une culture sénégalaise arrivent à se faire diffuser dans de plus vastes horizons, conférant aux séries une dimension de soft power culturel. On dit que le Sénégal, pays de Senghor, a toujours émerveillé le monde par la force de ses hommes, le souffle de ses idées et le dynamisme de son modèle social. Les séries sénégalaises, quel que puisse être notre avis sur elles, ont fini de se dresser en des vecteurs d’une image du Sénégal. Ce sont des locomotives que la promotion de notre pays ne doit pas négliger. Par des placements de produits, les œuvres des créateurs sénégalais sont exposées à plusieurs clients potentiels, nos marques locales arrivent à s’exporter parce qu’elles sont mises en valeur dans une aire vantant un consommer africain. Il y avait des missionnaires avant que les hordes de colons ne débarquent. On peut dire trivialement qu’il y a des productions sénégalaises qui, par leur banalité, leur légèreté et leur accessibilité, aident plus à comprendre et cerner l’image du Sénégal que tout autre discours. J’aime bien, sur les questions de soft power et d’influence culturelle, suggérer dans mon entourage à lire Hollywar : Hollywood, arme de propagande massive, du chercheur Pierre Conesa, revenant largement sur la façon dont Hollywood a aidé à vendre l’American way of life partout dans le monde et aidé à appuyer la superpuissance étatsunienne.

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Le Président Macky Sall avait profité de la cérémonie de clôture de la 27ème édition du Fespaco (Festival panafricain de cinéma et de télévision de Ouagadougou) pour annoncer que l’enveloppe du Fonds de promotion de l’industrie cinématographique et audiovisuelle (Fopica) serait portée à 2 milliards de francs Cfa. Un tel dispositif mérite d’être renforcé dans la mesure où il permet d’ériger un écosystème d’activités viables, impliquant une grosse partie de la jeunesse sénégalaise. Il suffit juste d’observer l’Etat français dans sa volonté de redorer son image auprès des jeunesses africaines et des diasporas noires, mettre en place le forum «Création Africa» dont la première édition s’est tenue cette semaine, en ciblant les industries culturelles en plein essor en Afrique comme les séries télévisées, l’édition, le cinéma d’animation, les contenus ludiques (jeux vidéos et réalité virtuelle), pour se rendre compte qu’il y a des outils culturels puissants que nous avons en main. Les modeler pour qu’ils servent du mieux nos populations, vendent du mieux nos imaginaires collectifs et permettent une pleine expression de notre jeunesse, doit être une action engageant pouvoirs publics et opérateurs privés. Des lions qui veulent que les histoires de chasse soient à leur honneur ne doivent pas négliger la force de vecteurs culturels détonants qu’ils ont sous la main.

P.S : Le long métrage sénégalais commence à bien se porter et il commence de nouveau à se diffuser dans nos salles. Le film «Banel et Adama», acclamé par la critique lors du dernier Festival de Cannes, est diffusé dans les salles dakaroises.
C’est une histoire d’amour et un récit humain en pays peul et tourné en langue pulaar. C’est un bijou cinématographique et une très belle carte postale du Sénégal de nos terroirs. J’inviterai les lecteurs, férus de cinéma, à jeter un coup d’œil sur ce bijou qui aura l’honneur de représenter le Sénégal aux Oscars 2023. J’aimerais tout également, dans la grande offre du catalogue cinématographique de ce pays, voir des films sénégalais et quelques séries sénégalaises dans l’offre de contenu sur le Pavillon national Air Sénégal.

Par Serigne Saliou DIAGNE – saliou.diagne@lequotidien.sn