Par Mohamed GUEYE –

Le Premier ministre nous a informés, il y a une semaine, qu’il travaillait à la mise en place d’un Plan de relance économique, commercial et budgétaire pour faire démarrer l’économie et sortir le pays du marasme dans lequel il se trouve. Ses équipes se pencheraient sur la question, et on peut être certains d’être bientôt fixés sur les moyens pour que le Sénégal sorte enfin de la conjoncture économique pénible que traversent les populations.
Le Premier ministre, lors de sa dernière sortie, a promis d’appeler, dans les jours prochains, à une mobilisation générale du Peuple autour de ses gouvernants, pour atteindre les objectifs de développement. Le chef du gouvernement estime que le pays a suffisamment de ressources pour réussir son décollage, et que la mobilisation qu’il appelle n’a que trop tardé. Il a rappelé, une fois de plus, que si les dirigeants qui ont précédé son régime avaient entamé le travail qu’il est en train d’accomplir, le Sénégal aurait un niveau d’émergence «comparable à celui du Maroc».
M. Sonko a depuis longtemps affirmé que la situation du pays était encore pire que ce que ses camarades et lui ont imaginé avant leur arrivée au pouvoir. Il a affirmé que si Macky Sall leur avait laissé un Sénégal similaire à celui que lui avait laissé Wade, le pays serait déjà sur la voie du redressement.

Après deux ans, Macky Sall lançait son Pse
On ne peut douter de sa parole, sauf à rappeler que le prédécesseur de Macky Sall, lui, avait prévenu des risques d’un changement de pouvoir, en prophétisant que les salaires ne pourraient pas être payés dans les trois mois qui suivraient. Macky n’a pas fait de récriminations ni de plaintes, et s’est consacré à trouver les moyens de remplir ses devoirs de dirigeant. Il s’est non seulement attelé à payer les salaires et à régler les encours de la dette, mais il a en plus commencé à mettre en œuvre le programme qui l’avait porté au pouvoir, son fameux «Yoonu yokkutee».
Après deux ans d’exercice, durant lesquels il a ébauché ses priorités, parmi lesquelles celle qu’il avait indiquée avant sa prise de pouvoir, Macky Sall a viré de bord, en se lançant dans l’élaboration et la mise en œuvre du Plan Sénégal émergent (Pse). Ce dernier plan est celui par lequel il a pu lever, auprès des financiers internationaux, plus de 19 000 milliards de francs Cfa pour financer sa politique de grands travaux et d’infrastructures. Parmi les grands succès obtenus durant son mandat, Macky Sall et ses partisans aiment bien mettre en avant les routes, l’amélioration de la fourniture en énergie, ainsi que certaines constructions. Des succès indéniables, au regard du niveau où le pays était à leur arrivée. Cela a l’avantage de mettre un gros voile sur l’échec le plus patent de Macky Sall, même s’il l’a hérité des régimes passés. Il s’agit de la politique d’emploi, en particulier l’emploi des jeunes. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé. En 2011, le programme «Yoonu yokkutee» prévoyait de créer 500 mille emplois par an pour les 5 années suivantes. En 2019, les ambitions ont été revues à la baisse, et Macky Sall n’affichait plus que 500 mille nouveaux emplois envisagés pour la fin de son mandat. Toute l’imagination du Président et l’activisme de ses collaborateurs n’ont pas permis d’obtenir ces chiffres. Et comme avec Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, on peut sans risque de beaucoup se tromper, affirmer que cet échec aura été l’une des plus grandes explications du désaveu de son régime. Quoi qu’il en soit, il aura essayé.
Contrairement à Macky Sall, le duo actuellement au pouvoir, s’il a promis de changer le Sénégal, ne s’est jamais engagé à changer les Sénégalais. Se basant sur les découvertes en hydrocarbures, ainsi que sur les autres ressources du sol et du sous-sol, le Premier ministre, avant son arrivée au pouvoir, promettait de faire décoller le pays deux mois après leur prise de fonction. Le jeudi dernier, il a déclaré que les revenus espérés du pétrole et du gaz, dès lors qu’on aura fait rendre gorge aux exploitants étrangers qui spolient le Peuple de ses retombées, permettraient enfin à la population -qui pour le moment est appelée à faire montre de patience- de voir ses conditions s’améliorer.

L’argent à recouvrer, oui. Quid des emplois à créer ?
C’est comme si nous étions encore à l’époque où l’on disait aux Sénégalais de réclamer, chacun, ses 400 mille francs Cfa à Aliou Sall, l’ancien représentant au Sénégal de la société Petro Tim, dont on disait que ce sont ses liens de famille avec l’ancien chef de l’Etat qui lui ont permis d’obtenir des licences sur des blocs que Franck Timis a fini par vendre à la société Kosmos, tout en sécurisant des royalties à vie pour sa personne et son bras droit. Le bloc de Gta, que la société Bp va bientôt commencer à exploiter, n’a pas encore commencé à produire, et la désinformation est apparue au grand jour. Il n’empêche que l’on veut faire croire encore aux Sénégalais que la manne tombera demain du ciel pour nous rassasier. On n’aura pas besoin de travailler.
La preuve. De tous les contrats dont l’Etat appelle à la renégociation, on ne nous parle que des milliards en francs et en dollars perdus, en termes de taxes non reversées ou de bénéfices non déclarés. Rien, ou presque, n’est dit sur les emplois créés ou à créer. Rien n’est encore présenté en chiffres sur les retombées positives en matière de contenu local. Bref, nous sommes encore, semble-t-il, à l’époque où les jeunes gens n’auront pas besoin de trouver de l’emploi, parce que les montants dus par les étrangers nous dispenseront de tout effort. Pourtant, même le Qatar et les Emirats arabes unis, émirats pétroliers devant l’éternel, se débattent, avec les milliards de dollars de revenus dus aux hydrocarbures, pour trouver des emplois rémunérés à leurs petites populations nationales. Macky Sall avançait des chiffres. Aujourd’hui, si l’on sait que le chômage croît, personne ne nous dit comment le juguler, ni par quels moyens.

Bientôt deux ans…
Les volontés affichées du pouvoir de régler des comptes ont conduit, en moins de deux ans, à rompre d’avec le Fonds monétaire international, notre garantie et notre appui face aux bailleurs multilatéraux. Cela nous a coûté près de 1800 milliards de francs de financement dont nous ne savons pas encore si nous n’allons pas être obligés de rembourser les sommes déjà avancées. Tout cela, parce que nous avons dit à notre premier partenaire financier que, sept ans durant, il a travaillé avec des personnes qui lui présentaient des chiffres falsifiés.
A ce jour, le Fonds nous demande de démontrer en quoi ces chiffres étaient faux. Tous les fonctionnaires du ministère des Finances et du budget, associés aux magistrats de la Cour des comptes, n’ont pas été, à ce jour, capables de produire des chiffres crédibles et convaincants. De guerre lasse, les autorités ont fini par s’adresser à un cabinet international pour leur dénicher les fameux chiffres falsifiés et la dette cachée de Macky Sall. On aurait pensé qu’avec ses 4000 cadres, le parti Pastef n’aurait pas eu de problèmes pour satisfaire ces partenaires, eux qui sont tant férus de chiffres.
La preuve, ne sont-ils pas déjà en contentieux avec Woodside, qui exploite le pétrole de Sangomar pour le compte du Sénégal ? Tout cela, sur encore un problème de taxes non reversées, pour lesquelles l’Etat demande près de 50 milliards de Cfa. L’ennui est que la compagnie australienne a porté l’affaire devant le Cirdi, et a bloqué le reversement de toutes les sommes dues au Trésor avant que le contentieux ne soit vidé. Le Premier ministre nous promet que les sommes dues seront recouvrées, vaille que vaille. Il ne nous dit pas à quel moment et à quel prix. Comme il ne nous dit pas non plus ce que cela vaudra à ce moment.
Pour ne pas arranger les choses, les deux agences de notation parmi les trois plus importantes dans le monde, Moody’s et Standard & Poor’s, ne cessent, depuis fin 2014, de noter à la baisse le crédit du Sénégal, ce qui nous plonge dans un marasme total. Les places financières internationales, qui se réfèrent à ces agences ainsi qu’à la réputation du pays auprès du Fmi, entre autres, ne sont pas encouragées à prêter de l’argent à notre pays, sinon à des taux d’intérêt exorbitants. D’ailleurs, même le marché obligataire de l’Uemoa dont le Sénégal est l’un des clients les plus fiables, a pris l’option d’emboiter le pas à ces partenaires, pour nous prêter maintenant au prix fort.
On se tourne maintenant de manière systématique vers le marché régional pour faire des emprunts qui couvrent à peine les dépenses de fonctionnement de l’Etat. Les montants que l’on en tire ne permettent que de payer des salaires et de faire face à des besoins urgents de la population. Mais on ne peut investir. La preuve, depuis près de deux ans, on ne nous a présenté aucun projet crédible de création d’emploi. Quand cela arrive, ce sont souvent des chantiers ouverts en son temps par le régime de Macky Sall. C’est le cas même pour des projets rapportés de Chine et d’ailleurs.

Une crise politique en diversion ?
Dans ces circonstances, comme qui dirait, pour faire diversion, on a voulu nous alimenter l’imagination avec un conflit d’égos au sommet de l’Etat. Oubliant que c’était la recette la plus efficace pour chasser loin de nous les investisseurs, après avoir découragé les entrepreneurs nationaux, déjà bien en butte à toutes sortes de brimades. Heureusement que l’un des conducteurs de l’attelage étatique a vite compris le besoin de remettre les choses en l’état et de calmer le jeu. Il faut leur souhaiter de comprendre qu’ils ont intérêt à accélérer enfin les choses pour présenter le fameux plan de relance promis par le Premier ministre, dont on se demande comment il va s’articuler avec la fameuse Vision 2050.
Elu par défaut et installé sans état de grâce, Macky Sall a dû batailler pour gagner le cœur de ses concitoyens par son travail. Deux ans après avoir quitté le pouvoir, son aura sur les réseaux sociaux et dans les conversations des Sénégalais ne fait que monter.
Moins de deux ans après être arrivés au pouvoir, portés par un grand élan populaire, les dirigeants actuels semblent déjà s’être essoufflés, étouffés par l’ampleur de la demande que leurs discours ont fait naître. S’ils ne changent pas de cap, deux ans après leur arrivée au pouvoir, ils n’auront semé que la désolation et la désillusion.
mgueye@lequotidien.sn