La Foire sous-régionale d’échanges des semences paysannes a vécu au Sénégal. Plus de 350 participants venus de 8 pays africains, notamment le Bénin, le Burkina Faso, la Gambie, la Guinée Bissau, la Guinée Conakry, le Mali, la Mauritanie, le Togo et 4 pays européens, la France, la Belgique, l’Italie, la Suisse, pendant 3 jours, se sont dit des vérités sur la nécessité de se mobiliser pour le droit des paysans à disposer de leurs propres semences pour atteindre leur souveraineté alimentaire. Dans cet entretien, le président de l’Association sénégalaise des producteurs de semences paysannes (Aspsp), Lamine Biaye, a noté que le combat pour la reconnaissance juridique de la semence paysanne reste à mener pour qu’ils ne soient plus vus comme des délinquants par la règlementation semencière.

M. Biaye, vous en êtes à la 6ème édition de la Foire sous-régionale d’échanges des semences paysannes. Pourquoi une telle initiative ?
Cette 6ème édition de la Foire d’échanges de semences paysannes est l’une des plus importantes des foires organisées ici à Djimini. Le thème central est «La souveraineté alimentaire : quel rôle pour la semence paysanne ?» Cela sous-entend que les militants de la semence paysanne ont le devoir d’agir ensemble dans une globalité, tout en agissant dans une localité. C’est-à-dire faire en sorte que chacun puisse trouver les solutions à sa préoccupation alimentaire et surtout à la souveraineté semencière. Parce qu’il faut s’auto-suffire en semences pour tendre vers la souveraineté alimentaire. Cette dernière est tributaire de l’indépendance semencière. Ce sont des occasions qui nous permettent d’échanger sur ces questions, de sensibiliser sur la prise de conscience nécessaire pour la valorisation de la semence paysanne. Les pays de la sous-région et de l’Europe (au nombre de 12), présents à cette foire, se sentent solidaires dans le combat pour le respect de la semence paysanne par les Etats, les universitaires et les chercheurs. En tout cas, cette 6ème édition est prise en compte par tous les pays de la sous-région, membres du Comité ouest-africain des semences paysannes (Coasp), co-organisateur de cette foire avec l’Association sénégalaise des producteurs de semences paysannes (Aspsp).

En 6 éditions, quels sont concrètement les résultats atteints par votre organisation ?
Nous avons d’année en année des avancées importantes. Tous les pays de la sous-région reconnaissent la foire de Djimini comme un agenda africain. Tant que la prochaine foire de Djimini, annoncée en 2020, n’aura pas arrêté la date définitive pour son organisation, les Etats ne doivent pas encore placer des événements internationaux pour qu’il n’y ait pas chevauchement. L’autre aspect très positif, c’est la prise de conscience de nos communautés, l’appropriation par celles-ci de la question de la semence paysanne, de celle de la souveraineté alimentaire qui doit passer par une indépendance semencière.
Et puis, C’est à partir d’ici qu’est né le Comité ouest-africain des semences paysannes (Coasp) qui a des points focaux dans chaque pays. Ceux-là portent la préoccupation du monde rural, relativement à la question de la semence locale conservée par la communauté depuis des millénaires. Ensuite, nous tendons vers la reconnaissance de la semence paysanne. Elle va s’imposer à nos dirigeants par la force de la demande publique, de la solidarité agissante des militants de cette semence. Le combat continue pour la reconnaissance juridique de la semence traditionnelle comme une semence dynamique à mettre dans un catalogue paysan.

Pourquoi ce militantisme prononcé pour la semence paysanne ?
Nous sommes militants de la semence paysanne parce que les Etats, les chercheurs et les universitaires n’ont aucune considération pour cette semence qui, pourtant, est une propriété des communautés. Elle fait partie de nos familles et est ethnobotanique. Elle s’identifie à l’homme, à un milieu donné, à un terroir, à un pays. Des communautés ont su l’adapter, la domestiquer. Donc, elle devient un membre de cette communauté, pas un maillon simple, pas une matière «marchandable». Et pour ce faire, nous aimerions la sauvegarder parce que les lois actuelles ne reconnaissent pas la semence paysanne. La règlementation semencière dit que nul n’a le droit de prélever de la semence dans sa production. Cela veut dire qu’il y a des gens seuls autorisés à faire de la semence pour les autres, qui en détiennent le brevet. Ils peuvent le commercialiser à volonté. Ceux qui ont domestiqué la semence depuis plus de 12 mille ans n’ont plus aucun droit sur elle. La loi reconnaît comme semence celle qui respecte 3 principes : le principe stable, le principe homogène et le principe distinct. Aux yeux de la loi, nous sommes des délinquants. Cette foire n’aurait jamais dû se tenir.
Notre combat est que l’on reconnaisse que la semence paysanne a les mêmes vertus que celle dite certifiée ou améliorée, reconnaître que toute semence sortie des industries a pour origine les greniers des paysans. En fait, il faut une reconnaissance juridique de la semence paysanne.

Ne croyez-vous pas que votre combat pour la promotion de la semence paysanne va se heurter à la problématique de sa rentabilité, au vu des besoins alimentaires de plus en plus accrus des communautés ?
C’est le discours de quelques bonhommes du monde. Ils ne font pas 10 dans le monde : c’est Mossanto, c’est Bayern, c’est.., c’est… bref. Jusqu’en 2018, la consommation alimentaire mondiale est assurée à 75% par de petits paysans comme moi, Lamine Biaye à Djimini. Vous pouvez lire toute la documentation relative à la nourriture au monde, vous trouverez que le monde est nourri à plus de 70% par de petits producteurs. En fait, le monde n’est pas confronté à un déficit alimentaire. C’est la distribution équitable qui est le problème.
La semence paysanne est aussi rentable qu’une semence dite certifiée. Si vous les produisez dans les mêmes conditions, elles auront toutes le même taux de rentabilité. La semence certifiée ne peut se reproduire sans utilisation d’intrants chimiques. Mieux, une semence sélectionnée, une fois que l’année est déficitaire en pluie, elle n’est pas rentable. La semence paysanne, quelles que soient les conditions climatiques, arrive à sauver l’essentiel de son cycle.
L’autre problème est que ces semences ont mis les paysans dans un cycle d’endettement chronique. Pour les acquérir, il faut s’endetter. Par contre, pour la semence paysanne, vous n’encourez aucune dette.