Un membre de la Société civile a le devoir en tant que justicier des temps modernes de défendre les libertés publiques et de dénoncer les excès consubstantiels à l’exercice du pouvoir. Il devrait être plus exigeant vis-à-vis de ceux qui gouvernent que des autres, car il incombe au pouvoir politique en premier la garantie des libertés et la préservation d’un Etat de droit. Il est de la responsabilité de la Société civile d’être au chevet de la démocratie et d’en dénoncer les tentatives de désacralisation. Nous avons, au regard de ce qui précède, besoin d’une Société civile forte.

Nul ne dénie à certains membres de la Société civile sénégalaise leur riche curriculum vitae de militants des droits de l’Homme attentifs aux libertés et à la dignité humaine. Notre démocratie leur doit beaucoup. Mais certains parmi eux valent mieux que leur posture actuelle de condottiere de populistes en les affranchissant de toute responsabilité même face aux outrages permanents et aux attitudes les plus dangereuses. Mieux. Dans les mouvements de rébellion il y a l’aile militaire qui combat sur le terrain et l’aile politique qui vend la plateforme revendicative dans les médias, les capitales étrangères et les fora internationaux. Occuper ce rôle d’allié d’une cause à visage découvert est respectable mais être réduit à une caisse de résonance en se vautrant dans un manteau lacéré d’activiste l’est moins. On gagne la sympathie de ses maîtres et les vivats de ses followers certes, mais on perd sa dignité et plus personne d’honnête ne vous prend au sérieux. J’ai plus de considération pour les alliés et promoteurs assumés de démagogues que les porteurs d’eau encagoulés avec leurs grandes phrases et leur gestuelle qui masquent mal une régression morale. Il faut être sérieux pour espérer être pris au sérieux.

Ces dernières années, des agents de la Société civile ont arrimé leurs convictions et leurs espérances à l’agenda d’hommes politiques dangereux, des élus qui incarnent ce que notre pays a produit de pire depuis 1960. Ces agents ont le droit d’adhérer à la cause de leur choix. Mais ce qui est frappant, c’est qu’ils soient encore les seuls à penser que cette inféodation est discrète voire secrète. Les mots, les actes et la gestuelle maladroite trahissent un homme, surtout s’il ne vit que grâce à l’agitation électorale. Pendant longtemps, ces agents de la Société civile sénégalaise me faisaient sourire. Certains avaient même fui la dictature féroce de Me Wade pour s’exiler au Burkina Faso du grand démocrate Compaoré.

J’ai eu ensuite une certaine tendresse pour eux, notamment quand l’un deux proposait de manière pompeuse ce qu’il appelait des «concepts» : «criminalisation de l’opposition», «transition civile», qui ne sont en réalité que des mots vaseux sans grand intérêt. Mais dans tout combat il faut une certaine tenue, au risque de verser dans la vulgarité. Pour preuve : appeler la Justice à renoncer à poursuivre un parlementaire car il a «beaucoup de gens derrière lui» me semble déplacé. Durant les péripéties des dépôts des listes aux Législatives, proposer la violation de la loi au nom de «l’apaisement» est grotesque. C’est assumer la primauté de la coterie politicienne sur le droit, la supériorité de ses amitiés sur le Code pénal et la rupture du principe d’équité et d’égalité entre les citoyens, consacré par la Constitution. Un autre activiste de la Société civile, fantasque et plutôt excessif celui-là, dans une récente saillie racoleuse, exige d’arrêter de se référer au Code pénal en matière de droit au Sénégal. Il ne lui resterait qu’à suggérer Mein Kampf ou Tintin pour régir la norme sénégalaise.
Un humble citoyen dans son salon peut proclamer sa haine de la démocratie, mais pas un homme qui a son rond de serviette dans tous les médias du pays. C’est triste de voir un homme public être le propre promoteur de sa déchéance morale et la mettre en scène au milieu des foules sur les réseaux sociaux. Pour se justifier, j’ai vu un agent de la Société civile affirmer en substance : «J’ai soutenu le combat de tel opposant, ensuite de tel autre. Je suis dans mon rôle.» Justement, cette attitude est une confession relative à un soutien à des hommes politiques au gré des années au lieu de s’attacher à la vérité et aux valeurs et principes démocratiques.

Ces gens et leurs alliés, qui prétendent défendre la dignité humaine, dans une entreprise coordonnée et réfléchie, font l’apologie d’une société décivilisée dans laquelle on reviendrait à l’état de nature et de la barbarie. Or, la Justice est le rempart des citoyens face aux tentations absolutistes d’un pouvoir. Elle protège les faibles des assauts des puissants, garantit la liberté et l’Etat de droit et ne saurait signifier le désordre et le règne du plus fort.

Dans leur nouvelle idylle politicienne qu’ils tentent de masquer par un vernis de neutralité, ces agents de la Société civile ne trompent personne. Par le prétexte de la défense des droits humains, nous avons sous les yeux des agités dans leur hargne à ne jamais quitter la scène funeste d’un bal de faux-monnayeurs.