Le Sénégal a entamé, avec la loi n° 2019-04 du 1er février 2019, la mise en place d’un dispositif législatif, réglementaire et institutionnel relatif au contenu local dans le secteur des hydrocarbures.
Cette loi a consacré la notion de contenu local, défini comme l’ensemble des initiatives prises en vue de promouvoir l’utilisation des biens et services nationaux, le développement de la participation de la main-d’œuvre, de la technologie et du capital nationaux dans toute la chaîne de valeurs de l’industrie pétrolière et gazière.
Ses principaux objectifs sont : d’augmenter la valeur ajoutée locale et la création d’emplois locaux dans la chaîne de valeurs des industries pétrolières et gazières, grâce à l’utilisation de l’expertise ainsi que des biens et services locaux, de favoriser le développement d’une main-d’œuvre locale qualifiée et compétitive, de développer les capacités nationales dans la chaîne de valeurs de l’industrie pétrolière et gazière par l’éducation, la formation, le transfert de technologies et de savoir-faire et la recherche-développement, de favoriser le renforcement de la compétitivité nationale et internationale des entreprises sénégalaises, de mettre en place un mécanisme de suivi-évaluation, transparent et fiable des obligations liées au contenu local, en adéquation avec les politiques publiques nationales, de renforcer la participation des populations à la chaîne de valeurs des industries pétrolières et gazières.
Tout contractant, sous-traitant, prestataire de services et fournisseur, participant aux activités pétrolières et gazières, est soumis aux dispositions de la loi 2019-04 du 1er février 2019 relative au contenu local dans le secteur des hydrocarbures.
Comme outils de mise en œuvre du contenu local, la loi a institué : un comité national de suivi du contenu local (Cnscl), une plateforme électronique comme moyen de lancement des appels à concurrence en vue de la fourniture des biens et services liés aux activités pétrolières et gazières, un fonds d’appui au développement du contenu local.
L’Etat du Sénégal a parachevé l’œuvre amorcée en 2019 par l’adoption en octobre 2020 et février 2021 des décrets suivants :
Décrets relatifs au Fonds d’appui au développement du contenu local (Fadcl)
Décret n° 2020-2048 du 21 octobre 2020 fixant les modalités d’alimentation et de fonctionnement du Fadcl
Décret n° 2021-248 du 22 février 2021 fixant les modalités d’alimentation et de fonctionnement du Fadcl.
Le décret initial ne prévoyait pas un cadre réglementaire permettant une prise en charge adéquate des missions relatives au renforcement des capacités humaines. Le second décret a donc apporté des modifications au niveau des missions, de l’organisation et de la composition du Fonds.
Décrets fixant les modalités de participation des investisseurs sénégalais
Décret n° 2020-2065 du 28 octobre 2020 fixant les modalités de participation des investisseurs sénégalais dans les entreprises intervenant dans les activités pétrolières et gazières et classement des activités de l’amont pétrolier et gazier dans les régimes exclusif, mixte et non exclusif
Décret n° 2021-249 du 22 février 2021 modifiant le décret n° 2020-2065 du 28 octobre 2020 fixant les modalités de participation des investisseurs sénégalais dans les entreprises intervenant dans les activités pétrolières et gazières et classement des activités de l’amont pétrolier et gazier dans les régimes exclusif, mixte et non exclusif
Le décret initial prévoyait en son article 11 une annexe portant classification des activités par régime. Le second a pour objet de conférer à cette annexe la même valeur juridique que le décret initial.
Décret relatif au Comité national de suivi du contenu local
Décret n° 2020-2047 du 21 octobre 2020 portant organisation et fonctionnement du Comité national de suivi du Contenu local.
Les décrets adoptés en 2020 ont été publiés au Journal officiel de la République du Sénégal du 4 mars 2021 et ceux adoptés en 2021 l’ont été au Journal officiel du 6 mars 2021.
Les innovations apportées par la loi n° 2019-04 et mises en œuvre par ces différents décrets sont les suivantes :
Obligation de créer une société de droit sénégalais ouvrant son capital social aux investisseurs sénégalais ;
Création d’un Comité national de suivi du contenu local (Cnscl) et d’une procédure de passation des marchés promouvant transparence et contenu local ;
Création d’un Fonds d’appui au développement du contenu local (Fadcl) ;
Promotion de la main-d’œuvre et des biens & services locaux.
Obligation de créer une société de droit sénégalais avec un capital ouvert aux investisseurs sénégalais
La loi n° 2019-04 fixe en son article 8.3 deux prérequis institutionnels s’inscrivant dans une logique de promotion du contenu local en exigeant que : Tout investisseur désirant intervenir comme prestataire de services ou fournisseur doit créer une entreprise de droit sénégalais immatriculée au registre du commerce et du crédit mobilier ; le capital de ladite entreprise soit ouvert aux investisseurs sénégalais selon les modalités fixées par le décret n° 2021-249 du 22 février 2021.
Le taux de participation des investisseurs sénégalais au capital des entreprises est clairement détaillé dans l’annexe classifiant les différentes activités pétrolières et gazières, qui indique le pourcentage de capital minimum leur étant réservé.
L’annexe précise également le pourcentage de personnel local minimum devant être employé en fonction du régime et de la catégorie de biens et services.
Conformément à la loi n° 2019-04, le Cnscl se réserve le droit de faire évoluer ces pourcentages de détention.
Les activités pétrolières et gazières sont divisées par ladite annexe en 13 catégories à savoir : les services d’ingénierie, l’achat et l’approvisionnement des matériaux, la fabrication et la construction, les activités de support au forage, les activités de support à l’exploration subsurface, les activités de support au transport et approvisionnement offshore ainsi qu’à la gestion des déchets, les activités de support aux personnes, installation et hygiène, sécurité et environnement, les activités de support aux opérations et installations marines, les services d’inspection, de relevé, d’essai et de certification, l’expertise et le conseil, la finance et les assurances, les activités de maintenance et réparation.
Elles obéissent à trois régimes consacrés par l’article 8.4 de la loi que sont :
Le régime exclusif : qui concerne les activités pour lesquelles l’Etat du Sénégal, dans le but de réduire la quantité des biens et services importés, se réserve le droit d’octroyer des autorisations de services exclusifs, sous réserve d’une garantie de qualité du service et d’un encadrement des prix ;
Le régime mixte : qui renvoie aux activités nécessitant une association d’une société étrangère avec une entreprise locale ;
Le régime non exclusif : qui regroupe les activités à faible potentiel de contenu local.
Création d’un Comité national de suivi du contenu local (Cnscl)
Le Cnscl a pour mission de (i) coordonner et superviser l’élaboration du document de stratégie de contenu local et de (ii) veiller à la mise en œuvre de la stratégie de développement du contenu local. Il se donne pour objectif d’atteindre 50% de contenu local en 2030 dans le cadre des activités pétrolières et gazières.
La loi n° 2019-04 l’a érigé en organe phare chapeautant l’ensemble de la procédure de passation des marchés. Ainsi, tout contractant, fournisseur, sous-traitant, prestataire de service exerçant une activité dans le cadre d’un projet pétrolier doit soumettre au Cnscl un plan de contenu local. Son contenu et mode de soumission sont définis par des lignes directrices du Cnscl. Il doit être mis à jour chaque année et doit contenir notamment : un rapport détaillant les réalisations de l’entreprise en vue de promouvoir le contenu local au cours des douze (12) derniers mois, le descriptif des prévisions de l’entreprise concourant à la promotion du contenu local selon les douze (12) derniers mois, un rapport présentant les efforts financiers et techniques consentis en vue de diminuer graduellement le recours à du personnel, du capital, de la technologie, des biens et services ou des prestations ne provenant pas du Sénégal.
Le Cnscl analyse le plan de contenu local dans un délai de quatre-vingt-dix (90) jours suivant sa réception et transmet à la société soumissionnaire ses commentaires et observations pour prise en charge afin de se conformer.
Il est mis en place une Plateforme électronique de mise en relation à travers laquelle sont publiés tous les appels d’offres relatifs aux activités pétrolières et gazières, sauf autorisation préalable du Cnscl.
Tout contractant, fournisseur, sous-traitant, prestataire de services publie tous les marchés entrant dans le cadre d’un ou de plusieurs projets pétroliers ou gaziers sur la plateforme électronique de mise en relation, sauf autorisation préalable du Cnscl.
Le Cnscl est ainsi érigé en organe de contrôle effectuant (i) un contrôle a priori et (ii) un contrôle a posteriori.
Le contrôle a priori
Les entreprises doivent en effet lui soumettre annuellement, au plus tard à la fin du 1er semestre de l’année n-1, un plan de passation de marchés indiquant les marchés à venir pour l’année n, l’indicateur du contenu local attendu pour chaque marché, le résumé des normes et standards applicables à chaque marché.
Le contrôle a posteriori
A la fin de chaque année civile, les entreprises doivent élaborer un rapport d’exécution de leur plan de contenu local soumis au secrétariat technique du Cnscl dont l’analyse peut donner lieu à des mesures correctives et sanctions.
Création d’un Fonds d’appui au développement du contenu local
Placé sous la tutelle financière du ministre en charge des Finances et sous tutelle technique du ministre en charge des Hydrocarbures, le Fonds d’appui au développement du contenu local (Fadcl) est doté de la personnalité juridique et d’une autonomie financière.
Il a pour mission d’appuyer la mise en œuvre de la politique de contenu local dans le secteur des hydrocarbures. Le décret n° 2021-248 précise ses modalités de fonctionnement.
Sont éligibles au fonds toute personne morale répondant au critère d’entreprise locale tel que défini dans le décret relatif à la participation des investisseurs sénégalais et évoluant dans une activité du secteur pétrolier et gazier, et toute personne physique de nationalité sénégalaise exerçant une activité relative au secteur pétrolier et gazier.
Le décret n° 2021-248 précise en outre les domaines d’affectation des ressources du fonds, ainsi que ses règles de comptabilité et de contrôle.
Promotion de la main-d’œuvre et des biens et services locaux
Dans un objectif de promotion du contenu local, un principe de préférence nationale est consacré.
Ainsi, le personnel sénégalais bénéficie de la priorité exclusive à l’octroi d’emplois locaux et à la formation dans tout projet issu directement ou indirectement des activités pétrolières et gazières.
Dès lors, tout poste à pourvoir au niveau national doit faire l’objet de deux (2) appels d’offres exclusivement réservés aux nationaux. Ce n’est que s’ils s’avèrent infructueux que l’appel d’offres peut être ouvert à l’international. Par ailleurs, une entreprise locale ne saurait être écartée sur le principe de «l’offre la plus avantageuse» sous réserve que son prix n’excède pas de plus de 10% celui de l’offre la plus basse.
Toujours dans un but de promouvoir la main-d’œuvre locale, la loi a imposé une obligation d’élaborer un Plan de succession soumis à l’approbation du Cnscl à tout contractant, sous-traitant, prestataire de services ou fournisseur étranger titulaire d’un poste national pourvu par appel d’offres international. Ledit plan de succession a pour but de définir la durée maximale dans laquelle l’accompagnement par des employés nationaux, bénéficiant d’une formation pour acquérir le niveau de compétence requis aux fins de remplacer graduellement des employés non nationaux, se fera.
Le financement du programme de formation du personnel sénégalais est assuré par le Fadcl.
Par ailleurs, la loi érige le même principe de préférence nationale en ce qui concerne les services d’assurance, réassurance, financiers et intellectuels en imposant un recours en priorité aux ressources locales. Ce n’est que lorsque les capacités ou compétences attendues sont en deçà des exigences internationales requises que le recours aux sociétés étrangères est autorisé et ce, de manière encadrée.
Me Nziengui Alioune MBOUP
Cabinet d’avocats Mame Adama Gueye & Partners
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