Le nouveau langage du Pm

Le Premier ministre Ousmane Sonko serait-il en train de virer sa cuti ? Lors de son meeting à Milan, le chef du gouvernement, en plus de déplorer le temps que prend le Fonds monétaire international pour conclure enfin un nouvel accord avec le Sénégal, ne s’est pas empêché de chercher à y voir «une main malveillante qui retarderait les choses pour le Sénégal». Or, le même Ousmane Sonko disait, il n’y a guère, que «le programme avec certains bailleurs multilatéraux, notamment le Fmi, a été suspendu. Depuis un an, aucun décaissement n’a été fait au profit du Sénégal. Mais le Sénégal est encore debout. Nous avons les capacités et les moyens de compter d’abord sur nous-mêmes». Cette déclaration, faite au cours d’une cérémonie préparatoire à un Forum sur les investissements préparé par l’Apix, était dans la logique de ses déclarations antérieures tendant à incriminer l’institution multilatérale en ce qui concerne les problèmes du pays.
Mais à Milan, dans une salle emplie, croit-on savoir, en majorité de ses partisans, le leader de Pastef a relativisé les choses. Il a reconnu que le Fmi est une organisation multilatérale dont tous les pays, y compris le Sénégal, sont membres et adhérents. Chacun est soutenu à la mesure de ses efforts. Aussi bien la France que la Chine ou le Sénégal reçoivent une assistance de cette institution, a clarifié l’homme politique à ses partisans.
Il est assez triste de voir qu’il lui a fallu tant de temps pour ouvrir les yeux sur la réalité politique. Quand il a fini par comprendre que ses invectives et incantations n’auront aucune influence sur les orientations de la finance internationale, et tout au contraire, ne feront que contribuer à enfoncer plus profondément le pays dans le marasme économique, M. Sonko tente un virage en douceur. Sans un accord avec le Fmi, rien ne bougera du côté des autres partenaires. Des mauvaises relations avec la France ne feront pas avancer le dossier du Sénégal auprès du Fmi. Il faut savoir qu’au sein du Conseil d’administration du Fonds, le dossier du Sénégal a toujours été défendu par la France, de manière traditionnelle. Il faudra donc vite trouver le moyen de dégager ceux qui veulent dégager les Français, pour faire la place à ceux qui veulent reprendre des relations solides et stables, fondées sur des intérêts mutuels bien compris. Le souverainisme le plus forcené a tout de même des partenariats stables.
C’est d’ailleurs ce que l’on a compris avec les circonvolutions discursives de M. Sonko jetant aux oubliettes l’une des lois du Décalogue de Pastef, à savoir le recrutement sur la base de l’appel à candidatures. A Milan, il a dit à ses partisans : «Quand on s’est battus jusqu’à accéder au pouvoir, on ne peut travailler qu’avec ceux qui se sont battus à nos côtés.» Une déclaration qui l’a amené à distordre allègrement le sens du terme «parti-Etat», jusqu’à le comparer au «Spoil System» américain. Ce qui démontre son ignorance quant à la neutralité de la Fonction publique et de l’Administration sénégalaises. Ou bien, était-ce une manière de flatter l’égo nationaliste de ses partisans, avant de leur présenter ses «Diaspora Bonds» à venir peut-être demain, si la date est respectée.
Pour en revenir à son «parti-Etat», on doit néanmoins rappeler, à sa décharge, que le Président Macky Sall avait entrepris de transformer l’Administration sénégalaise en officine de son parti, l’Apr, pour n’y gratifier que ceux qui étaient encartés. Malheureusement, sa volonté de détricoter ce qu’a fait Macky risque de nous produire une Administration Pastef, si l’on le prend au mot : «Je ne peux cheminer qu’avec ceux qui croient au Projet, si cela marche, c’est bon, sinon, tant pis.»
Est-ce à dire que les nouvelles nominations, qui ne sont passées que par le tamis de la réflexion des deux têtes pensantes du Projet, n’auront jamais de comptes à rendre à la population sénégalaise ? On en a déjà vu les conséquences. L’une des ministres les plus contestés par la clameur populaire a troqué les Affaires étrangères contre les Sceaux, dans un jeu dont on ne peut décemment croire qu’il a été une sanction. Mais on ne pourra que juger avec le temps si la Justice n’a pas été perdante en se délestant de M. Ousmane Diagne.
Ce sera aussi le cas avec l’Enseignement supérieur, d’où le Dr Abdourahmane Diouf s’est échappé avec pertes et fracas. On ne peut croire que ce sont ses déclarations sur le coût exorbitant des étudiants sénégalais qui l’en ont fait partir. Car au hit-parade des déclarations chocs des membres du gouvernement, notre juriste-politicien ne se place pas en tête des gros radoteurs. Il n’a qu’à tourner un peu le regard à la table du Conseil des ministres pour voir plus verbeux.
Pour en revenir aux déclarations de notre Premier ministre dont on se demandait, au début, s’il avait mâtiné son langage d’un zeste de retenue, c’est de déplorer le manque de transparence qui a entouré son long périple sur trois continents, quasiment en deux mois. M. Sonko et ses services se sont vantés d’avoir signé des contrats avec des entreprises chinoises et turques, ou d’avoir révisé des accords qui étaient préalablement signés en la défaveur de notre pays. Mais à ce jour, on n’a pas encore vu de suite concrète de tous ces accords. Et même le peu que l’on a voulu nous exposer date même le plus souvent du temps de Macky Sall, et parfois même de Abdoulaye Wade.
C’est le cas du fameux Port de Ndayane dont le directeur Waly Diouf Bodian et le Dg Afrique de Dp World, Alassane Diop, ont paraphé un avenant à Abu Dhabi. Ce projet, devenu une véritable Arlésienne, avait été négocié en son temps par Karim Wade. L’arrivée de Macky Sall au pouvoir, et sa chasse aux «enrichis illicites», l’a un peu retardé, avant que les choses ne redémarrent. Le Pdg de la compagnie, Sultan Ahmed Bin Sulayem, était même venu rencontrer Macky Sall à Dakar, avant de redémarrer les travaux. La continuité de l’Etat n’a fait que poursuivre une tâche entamée par l’ancienne administration.
Ainsi, si l’on ne peut encore y voir clair s’agissant des profits de ces voyages, aurons-nous jamais le droit de savoir ce que ces périples nous coûtent ? On sait que, la plupart de temps, les déplacements du Premier ministre se font à l’aide d’un aéronef de location. Où le loue-t-il et à combien d’argent ? Et surtout, qui paie la facture ? De même, quand on voit le nombre pléthorique de personnes qui composent ses différentes délégations, on a aussi le droit de savoir ce que leur prise en charge nous coûte. C’est, pensons-nous, l’un des effets de la transparence politique et économique du pays. Qui devrait profiter du virage qui se dessine dans le discours.
Par Mohamed GUEYE / mgueye@lequotidien.sn