Le pari perdant de la presse

La volonté de museler la presse, enrobée dans un savant voile d’assainissement du secteur des médias, semble être la trajectoire rectiligne de ce pouvoir depuis son installation en avril 2024. L’ordre de cessation de parution pour bon nombre de chaînes Web n’est que la dernière d’une longue liste de faits dont la finalité est soit de s’aplatir, soit de se ranger et devenir une caisse de résonance de Pastef. Depuis un an, la presse sénégalaise est méthodiquement étranglée par des procédés sournois, malgré le voile de légalité qui les entoure.
Le premier acte posé par ce nouveau pouvoir est la remise en cause hic et nunc de l’effacement fiscal, pourtant acté par l’ancien pouvoir en réparation des lourds préjudices subis durant le Covid-19. En effet, ce que Macky Sall avait accordé au Cdeps, Diomaye l’a brutalement annulé et s’est même permis, recevant les jeunes reporters, de traiter les patrons de presse de délinquants fiscaux. Le chef de l’Etat dira à l’occasion que c’est une obligation légale pour toute entreprise de payer les impôts afin de soutenir les efforts de l’Etat dans la prise en charge des besoins de la population. Que les exonérations fiscales ne doivent pas être perçues comme un droit acquis et ne doivent pas être la règle quand elles surviennent à la suite de violations manifestes de la loi fiscale. Il s’agit, selon lui, d’une question de justice et d’équité dont l’Etat est garant et qui s’applique à toutes les entreprises, quel que soit leur domaine d’activité. Cependant, il a affirmé que l’Etat reste ouvert à un dialogue avec les entreprises de presse qui peuvent également proposer des solutions, tant que celles-ci ne violent pas les dispositions prévues par la loi. Le ministre de la Communication va emboucher la même trompette pour présenter les patrons de presse comme des bandits fiscaux, alors que les irrégularités de paiement ne datent que de la période post-Covid, où le secteur des médias a perdu plus de 90% de son chiffre d’affaires (secteur économique le plus touché au Sénégal). Surtout, sur les 10.5 milliards de dettes fiscales des entreprises de presse, les 54% relèvent du secteur public (Rts, Aps, Le Soleil et Tds-Sa) et «seulement» 46% pour toutes les entreprises de presse privées.
Recevoir l’Association des jeunes reporters et snober par la même occasion les patrons de presse, c’est déjà mettre la charrue avant les bœufs. Car il fallait recevoir les patrons de presse en premier. Il n’y a pas de jeunes reporters sans les groupes de presse qui les embauchent.
Le second acte a été l’envoi du fisc dans une opération qui ressemble à un racket organisé. En effet, le but était de mettre la presse sous pression fiscale pour conduire à une tension économique. Et le clou a été le blocage des comptes de la quasi-totalité des entreprises de presse par l’Etat qui leur réclame des arriérés d’impôts. Ce qui avait poussé les patrons à décréter une «journée sans presse» le mardi 13 août 2024. Et en l’absence d’effacement fiscal, les Impôts étaient en droit de réclamer le paiement des dettes fiscales. Les entreprises de presse ont alors demandé d’étaler le paiement de la dette, ce que les Impôts ont simplement refusé en n’acceptant aucune proposition dans ce sens.
Non content de ses méfaits, le pouvoir accélère la cadence en envoyant Tds réclamer des redevances que le pouvoir sortant avait pourtant décidé de réduire de moitié pour permettre à des médias durement frappés par trois années de Covid-19 de souffler. Pis, par note de service du Premier ministre, il est demandé à tous les démembrements de l’Etat de résilier unilatéralement des contrats de publicité. Sans compter le refus de pouvoirs publics d’honorer les créances dues au titre de l’année 2023. Lesquelles créances n’ont pas été payées aux entreprises de presse malgré les prestations réalisées.
Toujours dans la tentative d’effacement de la presse, il y a la confiscation des deux bouquets télévisuels de la société Excaf, reçus en compensation de l’Etat pour avoir réalisé et financé, sur fonds propres, la mise en place de la Tnt au Sénégal. A rappeler qu’Excaf est la seule société africaine dans les 54 Etats du continent, à avoir réalisé la Tnt. Mais au mois de juillet 2024, la Dg de Tds-Sa dont le pedigree se résume à être stagiaire à la 7Tv et à travailler dans Jotna Média, la chaîne de propagande de Pastef, a simplement confisqué ces deux bouquets en violation des conventions signées par le Cnra au nom de l’Etat du Sénégal. Tds, qui est une société anonyme, n’est qu’une plateforme technique dont les décisions doivent être validées par le Cnra.
Dans sa lancée, le ministre de la Communication s’est attelé à produire des actes liberticides sous le sceau de l’assainissement de l’environnement des médias, et en violation de la Constitution qui consacre la liberté de la presse. Par arrêté, le ministre installe une plateforme numérique pour l’identification des entreprises de presse ; dans un autre arrêté, il crée une Commission d’examen et de validation de la Déclaration des entreprises de presse du Sénégal. Et dernièrement, Alioune Sall pond un acte sommant tous les médias dits «non conformes» de cesser immédiatement de diffuser, sous peine de poursuites judiciaires contre les auteurs. A rappeler que la création de médias n’est soumise à aucune autorisation administrative. Au Sénégal, toute personne physique ou morale a le droit de créer son média. Et c’est ce que tente de remettre en cause le pouvoir de Pastef, en se drapant du manteau d’assainir le secteur de la presse. Le ministre s’arroge ainsi la compétence de dire quels médias ont le droit d’exercer sur le territoire sénégalais et quels autres doivent immédiatement fermer.
Il est clair, eu égard à ce qui précède, que le seul objectif de ce nouveau régime est de liquider la presse privée par l’étouffement fiscal, l’asphyxie économique et la négation juridique. «Autant d’actions concertées relevant d’une politique délibérée d’asphyxie fiscale, économique et juridique de la presse indépendante. Des actions qui nourrissent le rêve fou de réduire au silence toute voix critique, d’imposer une pensée unique et de remplacer les médias libres par des instruments de propagande», constate le Pit dans une déclaration. Le parti de Samba Sy ajoute : «le Pit-Sénégal condamne avec la plus grande fermeté, cette dérive autoritaire, contraire aux idéaux jadis proclamés par les tenants de la troisième alternance. Le Pit leur rappelle que le respect de la liberté de la presse n’est pas un luxe, ni un privilège octroyé à un quelconque pouvoir : il est une condition essentielle de toute démocratie véritable. Le Pit-Sénégal est persuadé que la presse sénégalaise, en dépit de ses imperfections, demeure un rempart vital contre les dérives autoritaires et les abus de pouvoir. Il rappelle que le pluralisme médiatique est un droit inaliénable du Peuple sénégalais et que l’existence d’une presse libre, indépendante et responsable est indispensable à la construction d’un Etat de Droit véritablement au service des citoyens.»
C’est maintenant seulement que les professionnels de la presse se rendent compte qu’ils ne devaient pas confier leur indépendance au pouvoir. Ils ont une grande part de responsabilité dans ce qui leur est arrivé. Ils se sont mis à soutenir des partis politiques ou un pouvoir au détriment de leur indépendance et de la promotion de l’unité de leur corporation. Ils ont été divisés et donc affaiblis. Ils sont en train de payer le prix de leur défection, pour ne pas dire la trahison de l’idéal de leur métier, c’est-à-dire informer juste et vrai et ne pas être inféodés à un parti politique ou un gouvernement pour être indépendants et à équidistance de ces deux-là. Les professionnels des médias seront-ils en mesure de refaire l’unité comme sous Wade, pour faire face au «monstre» qui n’a qu’un objectif : les «effacer» vaille que vaille ?
Il faut le dire avec regret : la presse sénégalaise a joué et a perdu. On ne présente pas des arguments de bonne foi face à un pouvoir manifestement très hostile à votre égard. Sonko et Pastef n’ont jamais aimé la presse libre. Ce qui les a toujours intéressés, c’est une presse de propagande. Comment, dans un pays normal, on peut reconnaître Xalaat Tv et ne pas reconnaître des chaînes de Tv qui existent depuis plus de 10 ans ? Rappelons que Xalaat Tv est la chaîne qui apprenait aux nervis de Pastef comment confectionner des cocktails Molotov.
Par Bachir FOFANA