Le Sénégal sous Pastef : de la révolution promise à l’espérance compromise

Dix ans d’opposition du Pastef, dix ans de rêve, de promesses, de manipulation, de défiance, d’insultes, de vandalisme, de délinquance politique et plus de quatre-vingts morts. Quatorze mois de pouvoir, quatorze mois de bavardage, de tâtonnement, de menaces, de cauchemars, de rêves et d’espoir brisés.
Le Peuple sénégalais si intelligent pourtant, s’est aussi facilement fait avoir, sa jeunesse abusée, ses institutions désacralisées ; et les intellectuels, qui devraient servir de remparts contre les démagogues et les médiocres, voient certains d’entre eux devenir aussi incultes que nos actuels dirigeants. Notre monde s’effondre, nos valeurs sociales sont devenues des tares et les tares transformées en vertus. Voilà le drame que nous avons le malheur de vivre depuis que Ousmane Sonko a décidé de faire son entrée en politique. Même le diable n’aurait pas fait pire que ce régime dont le funeste «Projet» ne consiste qu’à tout renverser, tout détruire et terroriser tout le monde. Certains dirigeants et certaines calamités sont l’expression de la colère de Dieu pour rappeler à l’ordre un Peuple à la dérive ; le Pastef constitue la plus terrible catastrophe «naturelle» qui se soit abattue sur le Sénégal. Comment peut-on diaboliser le régime sortant en soutenant qu’il a détruit le pays, et une fois au pouvoir, déclarer ne rien pouvoir faire sous le prétexte que les ressources du pays ont été pillées ?
Aveu d’incompétence et manque de respect, voilà tout ! Pendant ce temps, «le troupeau», rongé par la déception toujours grandissante, commence à comprendre que le berger ne le mènera nulle part ailleurs qu’à l’abattoir. En attendant, ce troupeau devra se contenter de brouter de l’herbe malheureusement sèche.
«La promesse est une dette», dit-on souvent. On se demande encore si ce propos a un sens pour les nouveaux gouvernants. En quatorze mois au pouvoir, le tandem Diomaye-Sonko a réussi la prouesse de revenir sur toutes ses promesses et de trouver encore les moyens de rejeter la faute sur leur cauchemar décidément sempiternel : Macky Sall. On ne saurait passer sous silence les dérives du régime de ce dernier, mais force est de reconnaître qu’à pareil moment de son règne, les Sénégalais n’étaient pas aussi mal en point et les plus avertis n’avaient pas si peur. Oui, il y a de quoi avoir peur quand, par négligence ou ignorance, on porte son choix sur le pire des chasseurs qui nous ait vendu, pendant plus de dix ans, son art de la chasse sur tous les toits, alors qu’il n’en était rien. Pire, ce chasseur ou pseudo chasseur, prétentieux et arrogant, s’autorise à dénigrer ses prédécesseurs et à outrager les gardiens de la forêt (la Banque mondiale et le Fmi) où il comptait trouver son gibier. A la grande surprise de son troupeau, il rentre bredouille et reprend son jeu favori : dénigrement et manipulation.
Qu’en est-il aujourd’hui de la loi sur l’homosexualité ? Les Sénégalais qui s’attendaient à une proposition de loi criminalisant l’homosexualité, ont eu la surprise d’entendre notre Premier ministre déclarer à propos de l’homosexualité que «c’est un phénomène toléré au Sénégal».
Inconscience ou lâcheté, M. le «Tout Puissant» Premier ministre ? Les Sénégalais méritaient mieux. Où en êtes-vous avec l’appel à candidature tant promis, qui faisait office d’argument de campagne et que vous balanciez à qui voulait l’entendre ? Kilifeu, Nitdoff, Queen Biz, etc., sont-ils ce que ce pays a de mieux pour occuper des postes de direction ?
Quelle insolence vis-à-vis de cette Nation dont les bâtisseurs sont connus partout pour leur culture et leur élégance. A leur déférence, décence et compétence, vous avez substitué arrogance, décadence et incompétence.
Accident de l’histoire ?
Inconscience d’un Peuple composé en majorité de jeunes ? Ou purgation d’une société qui avait besoin d’une leçon de vie ?
L’espoir ne semble plus permis.
«Cette ère nouvelle est, disons-le, une rupture, notre gouvernement travaillera à réorienter notre Administration vers une culture de résultat.»
Dans sa Déclaration de politique générale, le Premier ministre Ousmane Sonko, annonce que le Sénégal est entré dans une ère nouvelle qu’il qualifie de» «rupture». Un slogan de plus ou suranné, qui mérite d’être questionné…
Durant une décennie, les tenants actuels du pouvoir faisaient du concept «rupture systémique» leur cheval de bataille pour convaincre la masse de leur fervente volonté de changer le quotidien des Sénégalais. Un verbiage qui, nous semble-t-il, a donné vie à un projet, un semblant de programme destiné à apporter des solutions probantes aux problèmes des Sénégalais déçus de la gestion mackyste du pouvoir. Ainsi, l’espoir de revoir le pays sur les rampes d’une meilleure gestion rigoureuse et efficiente renaît. Mais dans la pratique du pouvoir, nous constatons des goulots pastefiens qui étranglent le désir de rupture tant chantée. D’abord la mort du don de soi qui fait place à une surenchère du clientélisme partisan. Une fois installés au perchoir, des militants se voient récompensés avec des postes de Dg dans des structures, agences jugées auparavant budgétivores, avec des fonctions de conseillers auprès de son Excellence Monsieur le Président ; alors que la rupture exige une rationalisation des dépenses qui doit se traduire par une centralisation des agences dans le but de réduire considérablement le train de vie dispendieux de l’Etat. De ce fait, dans la démarche adoptée pour la nomination à certains postes, les tenants du pouvoir ont mis en avant la compétence «appartenance politique» ou «militantisme». Ce qui est déconcertant pour ceux qui s’attendaient à une nouvelle façon de faire la politique. Le mode d’exercice rappelle vaguement les méthodes archaïques de management du système qu’ils vouaient aux gémonies. Comment espérer une rupture systémique en croyant que seuls les sympathisants de son parti sont compétents ? Quand le mérite devient une affaire de parti, le don de soi se fourvoie sur l’autel des intérêts partisans. Cela explique les guerres de positionnement de l’homo-pastefien et la malencontreuse sortie médiatique du Premier ministre sous la casquette de chef de parti pour recadrer les casseroles dissidentes. Chose cocasse pour les observateurs aguerris de la scène politique, les manœuvres népotiques, les anciennes pratiques refont surface, et l’éviction d’intendants par le ministre de l’Education nationale en est une parfaite illustration. Ce dernier en fin héritier du système distille sournoisement ses ouailles à des postes stratégiques. Ce qui témoigne simplement d’une rupture au rabais. Et puis votre gouvernance s’est établie sous le signe de la transparence et d’un langage de vérité envers le Peuple : chose louable qui manifeste un désir de changement paradigmatique, d’où le slogan «transformation systémique». Sur ce, les discours reflètent une intention de rupture comme si cette dernière allait de soi, était une évidence de fait. Or dans les actes posés, passant des conférences de presse, aux tintamarres médiatiques surtout après la publication des rapports de la Cour des comptes, les stratégies soi-disant mises en place pour soulager le quotidien des Sénégalais, ressemblent à du déjà-vu: rien de nouveau sous le ciel sunugalien. En effet qui dit transformation, pense à des actions concrètes, une praxis tournée vers le relèvement du niveau de vie ou du pouvoir d’achat des Sénégalais, des programmes structurants dès l’accession au pouvoir. Mais, hélas, on se contente de la vieille méthode ringarde : dénonciation des scandales de l’ancien régime, mise en avant des ministres «perroquets» qui deviennent des caisses de résonnance du gatsa gatsa communicationnel du Premier ministre, oubliant qu’on les a élus pour mettre du neuf, apporter des solutions réalistes et réalisables sur le court et le long termes afin d’opérer des transformations structurelles de notre système économique. Faire de la reddition des comptes une demande sociale : quel manque de vision ! Procéder à une traque des biens mal acquis est certes un acte de transparence, mais après deux alternances qui nous ont habitués à ces types d’exercices médiatiques et programmatiques, on se rend compte que c’est une perte de temps. Où est le fameux projet de prospérité écrit par 4000 cadres ? Il ne devait souffrir aucun délai pour sa réalisation effective ! Trop de verbiage ! Vous n’êtes pas sans savoir que l’économie ne se nourrit pas de discours dithyrambiques. Asséner des propos discourtois à l’endroit de l’opposition ou de ceux qui vous critiquent laisse présager que votre magistère ne saurait s’accommoder de critiques même constructives pour certaines. Dès lors, où est la rupture prônée jadis : sur quel baromètre du dire et du faire comptez-vous gouverner ? Les menaces ? L’intimidation ?
Il serait bien que vous vous rappeliez ceci: «Un pouvoir qui tue la critique, est tyrannique.» pour pasticher les propos de Alain. Ce faisant, force est de constater amèrement que la rupture est à l’état d’une théorie brumeuse à rendre concret le fameux «projet». Et bis repetita, on nous sert du réchauffé aux allures d’un mauvais rêve. Et encore, lors de son passage à l’Assemblée nationale, le Premier ministre nous a fait deux déclarations pompeuses et populistes. L’une tendant à affirmer que l’actuel régime travaille pour la génération à venir, mais non pour le prochain mandat : une roublardise de politiciens une fois de plus. Qui travaille pour une génération saurait anticiper et trouver des partenaires capables d’impulser l’économie vers une relance de croissance adéquate, laquelle pourrait permettre de créer une classe moyenne à court ou long terme. Un Etat qui pense à la prochaine génération, même dans un contexte plombant, saurait adopter une stratégie proactive et perspectiviste pour amoindrir la souffrance des Sénégalais, que valent ces paroles devant l’Hémicycle si après cela vous, Pm, vous permettez de «pastefiser» notre Assemblée nationale en poussant l’outrecuidance à son paroxysme. Remercier vos militants dans un lieu républicain est le comble pour travestir l’esprit de rupture systémique et dénote une certaine tendance au nombrilisme. Le contexte devient plombant et nous baignons dans une crise d’initiative. Et l’Assemblée tend à devenir une caisse de résonance estampillée Pastef. Un manque d’éthique étonnant, le Sénégal ne mérite pas une Assemblée de suiveurs, d’applaudisseurs forcenés. C’est la raison pour laquelle, il faut continuer de lutter contre les instincts partisans, les enfermements politiciens afin de parvenir à faire de cette troisième alternance celle du Peuple, celle du vrai changement. «J’ai été ministre par accident. Et l’étant devenu, j’ai été, je crois, un mauvais ministre. Il ne pouvait en être autrement : je ne savais pas tricher» P.Hountondji. Ce propos dans une église, une synagogue ou dans une mosquée serait très louable. L’incapacité à tricher est une vertu dans la morale religieuse. Dans ce domaine, la vérité est le bien. Elle vaut la mort. On nous le dit toujours, il faut dire la vérité même au risque de la mort. Sauf que la religion n’est pas la politique. Hountondji revenant sur cette différence, nous invite à distinguer la morale de conviction de la morale de responsabilité, il dit : «Les convictions ne font pas un homme politique. Hélas ! Elles restent nécessaires pour définir une vision, fonder un projet de société. Mais une fois ce projet esquissé, il faut en discuter, il faut le partager, descendre sur le terrain rugueux et semé d’embûches, ruser avec l’imprévu, avoir le coup de pied tranchant, le coup de coude efficace et surtout, et d’abord, savoir dissimuler.» Discuter, partager et descendre sur le terrain nous incite à penser, dans un premier temps, à un décentrement du «je» qui doit alors aller vers les autres dans le sens du dialogue. Dans un second sens, il s’agit de se confronter à la réalité, à la vie qui, le plus souvent, comme le souligne le propos, est faite d’obstacles, de pièges… C’est pourquoi il faut ruser avec l’inattendu. Il faut se faire «renard», Aussi faut-il se faire «lion» en ayant la force et le courage nécessaires pour arriver à ses fins. Hountondji, dans le sens métaphorique, compare la politique et les arts martiaux. Dans ces derniers, le samouraï doit être fort, rapide, persévérant, rusé lorsqu’il faut donner des coups de pied tranchants ou de coude efficaces. Les vertus de ses arts doivent alors être celles du jeu politique.
Faut-il alors un langage de vérité, pour ne pas dire faut-il pleurnicher ?
La politique est une responsabilité. Il est possible d’avoir ses propres passions, ses propres visions, ses propres préférences, mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit de l’affaire de tous. Et le plus souvent, les besoins communs, les aspirations des peuples et des autres Etats, surtout dans le contexte de chocs des intérêts, ne s’alignent pas avec les aspirations individuelles. A cela s’ajoute le fait que, dans nos pays, le développement est une urgence. Nous manquons de temps. Les peuples sont pressés et inquiets. Savoir feindre, comme le dit Machiavel, est une vertu politique.
Dans notre pays, le gouvernement nous vend un semblant de vérité qui, dans la réalité, n’est que lamentation. Il l’a réussi dans le déni, la diffamation et la lamentation. Etre Président par accident justifie qu’on soit pris de surprise.
La réalité étatique claque à la figure. Mais se lamenter ne peut être la solution. Le courage et la capacité à s’adapter devront être de mise en politique. Pleurer est la posture du faible gamin. Le Sénégal est un pays à problèmes. Nous le savons tous. Essuyer les larmes et affronter la réalité pour la vraie solution, est tout ce qui reste à faire. Jean François Kahn a raison de dire que «l’exercice du pouvoir est le plus grand ennemi du populiste».
– El Mamadou BA, professeur de philosophie au lycée de Koumbal,
– Assane NDIAYE, professeur de philosophie au lycée de Tassette,
– Issa NDIAYE, professeur de philosophie au lycée de Taiba Ndiaye,
– Mamadou Boury SENE, professeur de philosophie au lycée de Ngothie
– Ibrahima SOW, professeur de philosophie au lycée de Tivaouane Peul.