Aux réfugiés mauritaniens de la vallée du fleuve Sénégal, trois options étaient offertes : rentrer chez eux, être réinstallés ou être naturalisés. Pour ceux qui choisissent cette dernière option, c’est le début d’un long processus.

L’éclatement du conflit entre le Sénégal et la Mauritanie en 1989, a profondément déstabilisé la vie des populations riveraines du fleuve. Liées par l’histoire et le sang, elles ont vu ces évènements creuser une profonde blessure de part et d’autre. 34 ans après, la reconstitution est encore difficile. Et près de 12 000 réfugiés sont encore installés dans une vie précaire le long du fleuve Sénégal, de Saint-Louis à Bakel. Les statistiques du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (Hcr) évoquent 60 000 réfugiés qui avaient fui le conflit ou avaient été déportés vers le Mali et le Sénégal en 1989. Ceux qui n’ont pas tenté ce retour, pour diverses raisons, sont restés dans les lieux où ils avaient été accueillis et continuent de vivre dans la précarité. A ceux-là, deux options leur étaient offertes : être réinstallés dans un pays d’accueil ou être naturalisés sénégalais. Pour les réfugiés qui ont choisi la naturalisation, c’est tout un parcours d’obstacles qu’il faut faire pour obtenir un certificat de nationalité en bonne et due forme. Dans la vallée du fleuve Sénégal, le Hcr a confié la tâche d’appuyer ce processus de naturalisation à Green Village Fondation (Gvf).

L’Ong est chargée d’appuyer les réfugiés dans l’obtention de pièces d’état civil, de carte d’identité et de certificat de nationalité. Mais force est de constater que le processus avance à pas de caméléon. Selon Oumar Sow, assistant juridique en charge de l’état civil à Gvf, depuis 2018, seules soixante demandes ont pu aboutir. «De 2018 à 2023, 60 décrets de naturalisation sont sortis. Ça prend beaucoup de temps», confie-t-il. En effet, dans le dossier à constituer pour chaque réfugié désireux d’acquérir la nationalité sénégalaise, figure une longue liste de documents. «La première étape, c’est d’identifier les réfugiés intéressés. Leurs pièces d’identité sont légalisées ensuite, une demande est adressée au président de la Cour d’appel de Dakar pour obtenir un casier judicaire. Ensuite, il y a une enquête à la gendarmerie pour obtenir le certificat de bonne vie et mœurs, une visite et contre-visite à effectuer au poste de santé. A l’Inspection du travail, on dépose pour avoir un certificat de non-travail.

Ce certificat sera déposé ensuite aux Impôts et domaines pour obtenir le certificat de non-imposition. Ensuite, tous ces documents sont rassemblés et envoyés à Dakar avec une somme de 100 mille francs Cfa», explique M. Sow. Même si le Hcr prend en charge l’aspect financier, le processus reste tout de même très complexe. «La procédure est longue. Le Hcr nous fixe des objectifs de 500 dossiers par an. Mais souvent, le casier judiciaire, les certificats de bonne vie et mœurs prennent du temps, ce qui fait que l’on peut rester une année sans décret de naturalisation», explique M. Sow. Ce décret est du ressort du Comité national chargé de la gestion des réfugiés, rapatriés et personnes déplacées (Cnrrpd), logé à la présidence de la République. Mais cette procédure, il faut le dire, intervient souvent après des années de tentatives de retour ou de réinstallation. Résignés, soucieux de l’avenir de leurs enfants, les réfugiés choisissent de s’engager dans ce long processus d’acquisition d’une nouvelle nationalité, laissant derrière eux une histoire familiale longue de plusieurs dizaines d’années.

A Mboumba, le site que dirige Saidou Yoro Sow ne paie pas de mine. Des cases, des bâtisses en briques nues, palissades et tôles, en constituent le décor. Arrivés depuis les premiers mois des évènements de 89, les habitants peinent toujours à s’insérer dans le tissu économique local. Le chef de famille vit de son métier d’intermédiaire au foirail de la commune. Les jours s’étirent et l’espoir d’une réinstallation s’amenuise. «Beaucoup de réfugiés demandent plutôt le titre de voyage parce qu’ils veulent partir à l’étranger. Mais il y a des vieux qui acceptent la naturalisation parce qu’ils pensent à l’avenir de leurs enfants», explique Ousmane Sow. La soixantaine bien entamée, le chef du village de Mboumba 2 espère tout de même que ses enfants pourront émigrer vers des pays occidentaux et ainsi assurer une meilleure vie à la famille. «Nous sommes presque 400 personnes dans ce village.

Depuis 34 ans, on est là, dans les difficultés. La Mauritanie refuse que l’on rentre alors qu’on est tous des citoyens mauritaniens. Moi je voulais partir dans un autre pays. Mais rien n’a marché. Ils ne sont plus à l’écoute de ceux qui veulent être naturalisés», souligne avec amertume le vieux Sow. Depuis plusieurs années déjà, l’Etat du Sénégal ne délivre plus de titre de voyage pour les réfugiés. En effet, renseigne-t-on, il y avait beaucoup de trafics autour de ces cartes. «Aujourd’hui, il n’y a plus de crainte qui pèse sur leur vie. Mais quand il y en avait, beaucoup de réfugiés avaient été réinstallés aux Etats-Unis notamment. Mais maintenant, la situation a changé», précise Ousmane Sow. «Les gens pensent parfois qu’être réfugié a plus d’avantage. C’est pourquoi ils refusent encore la naturalisation. Mais ils doivent comprendre qu’on ne peut pas être réfugié toute sa vie», ajoute l’assistant juridique. Mais du côté des réfugiés, le mécontentement est à peine contenu. «Ils disent qu’ils font de l’intégration locale. Mais depuis qu’ils ont commencé à enrôler ceux qui veulent être naturalisés, il y a moins de 20% qui ont obtenu des papiers. La dernière fois, moins de 20 personnes qui sont allées à Dakar ont pu recevoir leur nationalité. La demande est très forte, mais le processus n’est pas très efficace», dénonce Ibrahima Mamadou Diallo, président de la Fédération départementale des réfugiés de Podor. A Dakar, le Hcr est installé dans un impressionnant bâtiment dans le quartier des Almadies. L’accès y est plus que règlementé. Pour recueillir la version de l’organisation, il faudra finalement passer un courrier électronique qui nous redirige vers les antennes locales de Gvf.

Ibrahima M. Diallo, réfugié à Ndioum

L’enrôlement, une étape controversée
Périodiquement, le Hcr procède à des opérations d’enrôlement de réfugiés dans la vallée. Cette opération peut parfois s’avérer très complexe. Ce processus cristallise le mécontentement des réfugiés de la vallée. De par la façon dont le Hcr procède au décompte, tout comme les actions qui sont développées par la suite, rien ne satisfait les réfugiés. D’ailleurs, le dernier enrôlement de 2021 a été boycotté par les réfugiés de Ndioum et environs. «Puisque c’est nous qui sommes enrôlés, ils doivent nous consulter sur la période et avec la manière. Au dernier enrôlement, on a boycotté parce qu’on s’était mis d’accord sur la façon de procéder. On leur avait demandé de le faire en deux temps : en saison sèche et quand les bergers transhumants sont de retour. A la dernière minute, ils ont décidé de faire comme ils voulaient. Donc on a boycotté. Mais ils n’ont pas atteint leurs objectifs. Et je sais qu’il faudra attendre que les élections passent pour pouvoir refaire encore une campagne», souligne M. Diallo. Quand il y a enrôlement, ce sont des commissions qui vont de village en village, et tous les réfugiés sont convoqués pour se faire enrôler. La nécessité de survivre, le nombre élevé de bergers transhumants qui composent cette population font que certains ne sont pas enrôlés et n’obtiennent pas de carte d’identité de réfugié. «Certains ont des cartes vertes depuis 1989», souligne Ousmane Sow. «Pour qu’un enfant puisse obtenir un jugement d’autorisation d’inscription de naissance, il faut nécessairement qu’un des parents ait une pièce. Parfois, je suis obligé de laisser des enfants comme ça parce que leurs parents n’ont pas de pièces. Au moment des enrôlements, on le signale au Hcr pour que les parents obtiennent des papiers. Et on régularise l’enfant par la suite», poursuit-il.
Par Mame Woury THIOUBOU mamewoury@lequotidien.sn