Le coup d’Etat du Général Tchiani, en écartant le Président Mamadou Bazoum du pouvoir au Niger, a mis la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et l’Union économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Uemoa) en état de mort cérébrale. Ces institutions ne parviennent plus à présenter un front commun face aux défis de la gouvernance dans la sous-région. La dernière manifestation en date est l’annonce par les dirigeants de Guinée, du Mali et du Burkina Faso de s’opposer même militairement à toute volonté de la communauté régionale de remettre au pouvoir le Président renversé Mamadou Bazoum. En clair, ces 3 pays ne comptent pas appliquer les sanctions contre le Niger.

Cette situation a mis à nu les contradictions de la construction régionale à l’heure actuelle. Peut-on encore songer à une intégration quand on n’a plus la même vision des choses ? Depuis le renversement du Président Ibrahim Boubacar Keïta en août 2019, les Etats membres ne parviennent plus à parler à l’unisson.

Les colonels maliens, placés sous embargo par les pays de l’Uemoa et de la Cedeao, se sont tournés vers des acteurs régionaux comme la Mauritanie et l’Algérie, pour contourner les mesures de privation qui les frappaient. Au point que des pays comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire se sont rendu compte qu’ils devenaient les premières victimes des sanctions prises pour faire céder les putschistes. Le précédent malien a fait que les dirigeants régionaux n’ont pas osé bander des muscles envers les putschistes burkinabè et guinéens. D’autant plus qu’en faisant appel aux mercenaires russes de Wagner, Assimi Goïta et ses camarades faisaient entrer un nouvel opérateur dans la sous-région. La crainte de voir Ibrahim Traoré suivre la voie de Assimi Goïta, se jeter dans les bras de Prigojine et de Wagner, a refroidi les velléités de la Cedeao de tenter d’imposer des sanctions aux militaires de Ouagadougou. Et les militaires se sont attribué une certaine légitimité, appuyés par des populistes très actifs sur Internet.

Il a été reproché aux différents régimes renversés par des putschistes de n’avoir pas respecté l’ordre constitutionnel qu’ils ont trouvé en accédant au pouvoir, donnant ainsi une justification et une légitimité à l’action des militaires. Or, si le Président Alpha Condé avait institué une réforme constitutionnelle qui lui a permis de briguer un 3ème mandat, ce sont les éléments de sa propre garde prétorienne, auxquels il avait donné plus de puissance par rapport au reste de l’Armée, qui l’ont renversé. Le prétexte tout trouvé a été pour eux le fait que le «Vieux Alpha» avait trituré la Constitution pour se représenter.

Mais cela ne pouvait être opposé à Roch-Marc Christian Kaboré, qui venait de remporter en toute transparence un second mandat présidentiel au Burkina. C’est ainsi que le militaire qui l’a renversé, a excipé des failles dans la lutte contre le terrorisme islamiste. Or, le Colonel Sandaogo Damiba, spécialiste de la lutte anti-terroriste, n’a pu faire mieux que le civil qu’il venait de renverser, avant de subir le même sort de la part de celui qui voudrait se faire passer pour un nouveau Thomas Sankara, sans en avoir la carrure.

Et seul le début étant difficile, le vieux Général de Niamey a pris exemple sur ses cadets de Bamako et Ouagadougou. Après avoir passé 12 ans aux ordres de Mouhamadou Issoufou et de Mohamed Bazoum, Tchiani vient de découvrir qu’il a servi un régime corrompu et illégal. Quel régime est à l’abri d’une telle aventure ? On peut comprendre que des dirigeants des autres pays de la Cedeao et de l’Uemoa aient refusé de poser aux côtés de ces putschistes lors du Sommet Russie-Afrique de Saint Petersburg. Accepter de s’asseoir à côté de ces gens, de discuter avec eux, légitimise leur action et ouvre la porte à d’autres apprentis putschistes pour vouloir s’asseoir à leurs côtés à la table commune.
L’Afrique a suffisamment d’expérience des pouvoirs militaires pour savoir que les chefs d’Etat en treillis n’ont jamais pu sortir aucun pays de la dépendance à l’extérieur, ou même le placer dans la voie de l’émergence. Or, ces anciens militaires étaient nourris par une certaine idéologie et une ambition pour leur pays et leur continent. Les nouveaux soldats qui surgissent semblent n’être portés que par des slogans contre la France, à qui ils collent tous les péchés d’Israël. Le malheur est que, pour combattre le mal qu’ils connaissent, ils vont chercher un mal qu’ils ne connaissent pas bien, mais qui semble déjà pire, les rebelles russes de Wagner. Ils ont maintenant réduit l’ambition de la Cedeao à un seul objectif : éviter la contagion des coups d’Etat !

Par Mohamed GUEYE – mgueye@lequotidien.sn