Lettre ouverte aux économistes et intellectuels du Sénégal : Le pays dérive, où va notre économie ?

Chers économistes, chers intellectuels du Sénégal,
Le moment est grave, et très grave même.
Notre pays, longtemps cité en exemple pour sa stabilité et sa rigueur budgétaire, traverse aujourd’hui une zone de turbulences inquiétante. La note du Sénégal vient une nouvelle fois d’être dégradée par les agences de notation internationales. Ce n’est plus un fait isolé, c’est une tendance durable. Une série de déclassements qui traduit la perte de confiance des partenaires financiers et des investisseurs envers notre pays.
Tout a véritablement commencé après les déclarations du Premier ministre Ousmane Sonko, déclarant publiquement et sans coup férir l’existence de «dettes cachées» laissées par le précédent gouvernement. Ces propos, censés lever le voile sur des pratiques douteuses, ont eu l’effet d’une onde de choc. En voulant dire la “vérité”, on a révélé une fragilité. En cherchant la transparence, on a ouvert une brèche dans la crédibilité économique du Sénégal.
Depuis lors, les signaux se sont multipliés. Par ailleurs, le rapport trimestriel d’exécution budgétaire, pourtant censé incarner la transparence, est désormais amputé de rubriques essentielles : les dépenses de la Présidence, de l’Assemblée nationale et de la Primature y ont mystérieusement disparu. Cette césure, lourde de sens, interroge le principe même de la redevabilité publique. Car comment parler de transparence si certaines institutions échappent à la lumière ? Comment construire la confiance si l’information reste partielle ?
Et pendant que les citoyens s’interrogent, le rapport du cabinet Forvis Mazars, commandité pour faire la lumière sur la situation des finances publiques, demeure lintrouvable. Ni publié, ni commenté, ni assumé. Que contient-il pour susciter un tel silence ? Pourquoi un document présenté comme un symbole de transparence est-il devenu un objet de mystère ? Où se trouve la transparence tant vantée ?
Ces faits, mis bout à bout, forment une chaîne de méfiance qui fragilise dangereusement l’économie nationale. Ils traduisent non seulement un déficit de gestion, mais surtout un déficit de vérité. Et dans une économie moderne, c’est souvent la perception de la vérité qui vaut plus que la vérité elle-même. Comme le rappelait John Maynard Keynes, «les marchés peuvent rester irrationnels plus longtemps que vous ne pouvez rester solvable». Autrement dit, la confiance perdue se paie toujours plus cher que la faute commise.
C’est pourquoi, vous, économistes et intellectuels du Sénégal, êtes directement interpellés. Vous êtes les gardiens du sens, ceux qui peuvent traduire les chiffres, analyser les faits, éclairer le Peuple et rappeler aux gouvernants que la responsabilité publique ne se mesure pas à la popularité mal acquise, mais à la rigueur et à la cohérence. Vous ne pouvez rester spectateurs quand la confiance s’effrite, quand les institutions s’enferment dans le silence et quand la Nation s’enlise dans la confusion et la misère.
Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, avertissait : «La transparence est le meilleur désinfectant contre la corruption et la mauvaise gestion.» Cette phrase devrait résonner dans toutes les sphères du pouvoir, car la vérité vraie, aussi dure soit-elle, reste toujours moins coûteuse que le mensonge.
Pendant que la dette s’alourdit, que la croissance se fragilise et que les citoyens s’appauvrissent, le discours politique se contente de slogans et de justifications. Or, l’économie n’a que faire des émotions car elle ne repose que sur la clarté, la discipline, la prévisibilité et surtout sur la confiance. Depuis que les mots ont remplacé les chiffres et que la politique a pris le pas sur la méthode et l’organisation, le Sénégal perd pied.
Les dégradations successives de la note du pays ne sont pas le fruit du hasard. Elles traduisent un malaise plus profond qui s’explique par la perte de confiance dans la gouvernance, la confusion dans la communication économique et le manque de cap dans la politique budgétaire. A force de parler de rupture, on en oublie la continuité de l’Etat. A force de dénoncer le passé, on oublie de préparer l’avenir.
Le Peuple, lui, observe et souffre. Il paie le prix fort de ces instabilités par la vie chère, le chômage, la perte d’espoir. Il se demande pourquoi, malgré tant de discours sur la souveraineté économique, le pays semble s’éloigner de la prospérité.
Comme l’affirmait Léopold Sédar Senghor, «la liberté n’est pas un mot, mais un comportement». On pourrait dire de même de la transparence. Cette dernière n’est pas une promesse, mais une pratique. Et tant que la parole officielle contredira les faits, tant que les rapports resteront cachés et les comptes incomplets, la confiance ne reviendra pas.
Il est temps que les intellectuels et les économistes brisent le silence. Que les consciences s’élèvent pour dire la vérité. Non pas pour condamner, mais pour redresser. Non pas pour diviser, mais pour éclairer. Car, comme le disait Thomas Sankara, «un Peuple conscient de ses droits est invincible» et ce parti-Etat risque de plonger ce pays dans les abysses.
Le Sénégal mérite mieux que des rapports cachés, des rubriques “effaces” (comme présentement ce mot est à la mode) et des déclarations improvisées. Il mérite une gouvernance économique fondée sur la clarté, la responsabilité et la Justice. Il mérite que ses élites parlent avec courage, au nom du Peuple et pour l’avenir.
Où va le Sénégal ? La réponse dépend désormais du sursaut moral de ses élites, de la lucidité de ses économistes et de la responsabilité de ses dirigeants.
Comme le rappelait Aminata Traoré, «la dignité d’un peuple se mesure à sa capacité à regarder sa vérité en face». Le moment est venu, pour le Sénégal, de regarder la sienne.
Respectueusement,
Amadou MBENGUE
dit Vieux
Secrétaire général de la coordination départementale de Rufisque,
Membre du Comité Central et du Bureau politique du Pit/Sénégal