Libre échange avec…Amacodou Diouf, Pca de l’Ong Ahdis : «Renforcer la sensibilisation sur le recouvrement et la gestion des avoirs criminels»

L’Ong Action humaine pour le développement intégré au Sénégal (Ahdis), en partenariat avec le Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent (Giaba), œuvre pour une mobilisation citoyenne et l’engagement des organisations de la Société civile dans la lutte contre la criminalité économique. D’où le lancement d’une campagne de sensibilisation, la semaine dernière, à travers cinq régions du Sénégal. Amacodou Diouf, Pca de ladite organisation, décline les raisons de cette initiative.
Vous voulez mobiliser les organisations de la Société civile sur le recouvrement des avoirs criminels à travers une campagne de sensibilisation. Pourquoi ?
La campagne est sous l’égide d’un partenariat que nous avons avec le Giaba (Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent) qui est une structure similaire au Gafi (Groupe d’action financière), adossée à la Cedeao, qui lutte contre le blanchiment de l’argent sale et contre le financement du terrorisme, mais aussi contre la corruption et la fraude. Nous avons travaillé à faire de telle sorte que nous puissions cette fois-ci, sensibiliser d’une manière très large les communautés à la base, y compris les organisations de la Société civile, sur la question du recouvrement des avoirs illicites, mais aussi au-delà du recouvrement, la gestion de ces avoirs récupérés.
Ces temps-ci au Sénégal, l’actualité est aussi centrée sur cette histoire de recouvrement des avoirs, et nous pensons qu’il était opportun d’appeler les organisations de la Société civile, ainsi que les structures étatiques qui s’occupent de la question, à savoir l’Ofnac (Office national de lutte contre la fraude et la corruption), Onrac (Office national pour le recouvrement des avoirs criminels) et la Centif (Cellule nationale de traitement des informations financières), afin de discuter ensemble pour voir, sur les mécanismes de recouvrement, qu’est-ce qu’il faut améliorer, mais aussi comment est-ce que les gens gèrent ces avoirs-là, comment est-ce qu’il faut améliorer cela, afin de pouvoir faire de cette activité de recouvrement et de gestion des avoirs, une activité phare qui puisse permettre au Sénégal d’avoir un rang assez avancé, dans le cadre de la notation que les organismes qui luttent contre le blanchiment et autres sont en train de faire. Le Sénégal était dans la liste grise du Gafi, cela supposait qu’on n’avait pas beaucoup de performances dans la lutte, et aujourd’hui on est sortis de cette liste grise, cela suppose qu’il y a beaucoup d’opportunités, en termes d’investissement, qui soient ouvertes pour le Sénégal. Mais au moins le recouvrement des avoirs, lié maintenant à la lutte contre la corruption, la fraude, le blanchiment des capitaux et aussi la prolifération des armes de destruction massive, je crois que ce sont des éléments qui sont essentiels dans la transparence qu’on exige en matière de bonne gouvernance au niveau de notre pays.
Quels sont les défis auxquels le Sénégal est confronté dans le cadre du recouvrement des avoirs criminels ?
Le recouvrement des avoirs, ce n’est pas uniquement lié à ce que nous voyons, ce que nous entendons dire au niveau de ce qui se passe dans l’actualité. C’est-à-dire que c’est au-delà de la chose de détournement des derniers publics, il y a l’argent qui est issu de la vente de drogue, l’argent qui est issu de la fraude, etc.
Il y a énormément de segments de la vie économique et sociale qui entraînent effectivement l’acquisition de moyens illégaux et qui peuvent faire l’objet de vente. Les gens qui ont été condamnés à cet effet doivent effectivement être recouvrés en fonction du patrimoine obtenu si c’est le cas, si le jugement est porté sur ça. Les difficultés, c’est qu’on n’a pas, peut-être, une structure qui a les moyens de couvrir tout le spectre que couvre ce problème de blanchiment de capitaux ou bien de corruption ou bien même de détournement de derniers.
Vraiment, c’est un phénomène assez important qui a longuement duré au Sénégal et qui nécessiterait une structure comme l’Onrac. Il faut se rappeler que l’Onrac a été mis en place en 2021. Une telle structure doit être appuyée en termes de capital humain, mais aussi en termes de moyens logistiques qui puissent permettre de pouvoir couvrir non seulement, d’un point de vue territorial, toutes les régions du Sénégal par rapport à la chose, mais aussi par rapport aux dossiers qui sont susceptibles d’être posés sur la table du juge financier.
Je crois que le manque de moyens fait que les gens auront certainement des difficultés à pouvoir couvrir autant de dossiers au regard de l’ampleur de la chose. Ça, c’est une difficulté quelque part. Le deuxième niveau de difficulté est lié à la mobilisation sociale, c’est-à-dire que les communautés ne sont pas bien informées autour de cette question.
Et cela nécessiterait fondamentalement à ce que les gens soient sensibilisés davantage afin qu’ils se braquent contre ce fléau-là, à défaut de ne pas être des personnes assujetties actives, mais qui en fait auraient limité leurs actions pour ne pas s’embarquer dans des activités illégales. C’est pour cela que nous avons dit qu’il fallait beaucoup travailler sur le volet sensibilisation. Et le troisième et dernier aspect, c’est compte tenu des critères évoqués par le Gafi et quelque part portés par le Giaba. Au niveau de la législation nationale, je crois qu’il y a un travail en continu qui doit se faire pour pouvoir améliorer les textes, les adapter pour faciliter la prévention et la lutte, afin que l’on puisse avoir des résultats au regard de ce que la loi permettra aux structures qui s’occupent de ces questions-là.
C’est à ces trois niveaux-là qu’il faudra forcément agir. C’est là-bas où effectivement il y a un gap, des impairs et il faudra absolument les redresser. Il faut une volonté politique d’Etat pour pouvoir permettre aux législateurs de mieux retravailler les textes, afin que nous puissions aller de l’avant.
La campagne va durer combien de temps et quelles sont les zones cibles ?
Pour le premier temps, il y a un atelier national de lancement (tenu le 19 mai 2025), en rapport avec les représentants des institutions de lutte, des organisations de la Société civile, notamment les responsables des Crespes (Comités régionaux d’étude et de suivi des politiques économiques et sociales).
Cela nous permet d’échanger avec les autorités qui s’occupent de cette question de lutte contre la corruption, la fraude, mais aussi de recouvrement des avoirs criminels, afin d’avoir une mise à niveau par rapport à la compréhension que chacun devrait se faire par rapport au phénomène, et ensuite essayer de mettre en place des pistes pour pouvoir travailler davantage à ce qu’au niveau de chaque région, on puisse mener cette activité. Nous nous focalisons sur 5 régions : Dakar, Louga, Kaolack, Kédougou et Kolda. Kolda va polariser Ziguinchor, Sédhiou, Kédougou et Tamba. Kaolack va polariser Kaffrine, Diourbel, Fatick. Louga va polariser Saint-Louis et Matam, et Thiès rejoint Dakar.
Ces ateliers au niveau des régions auront le même format que l’atelier de lancement. Il y aura un panel à l’ouverture où on va discuter des questions liées au recouvrement et à la gestion des avoirs criminels, et ensuite maintenant les organisations auront un meeting public avec une déclaration. Et la déclaration devrait être remise au Gouverneur de la région pour porter le plaidoyer à des échelons plus hauts.
Donc c’est ça que nous avons prévu de faire dans ce cas d’espèce.
Jusque-là, est-ce que le recouvrement des avoirs a donné des résultats satisfaisants ?
Oui. Ces temps-ci, on a vu qu’il y a énormément d’argent. Je crois que l’Onrac est dans sa huitième opération de vente aux enchères.
Nous pensons que c’est bon pour un début, parce qu’une structure qui est créée depuis 2021, au départ, on n’avait pas tellement bien organisé la chose, mais avec la création de l’Onrac, quand même c’est devenu bien organisé, c’est bien huilé, et là maintenant, je pense qu’ils sont en train de faire des résultats. Au regard du rythme de vente, on voit qu’en fonction de la durée d’existence, déjà c’est un bon ratio, et là je pense que si nous poursuivons ce travail de sensibilisation, d’information, nous serons à leurs côtés pour que davantage on améliore les résultats. Mais quand même il y a des avancées, il y a des milliards qui sont recouverts à la suite de ces ventes-là, et je suis sûr que ça va aller crescendo.
J’appelle ainsi toutes les organisations de la Société civile du Sénégal, les communautés de base et les structures qui ont en charge cette question de lutte contre la corruption, la fraude, de lutte contre le blanchiment de capitaux, ainsi que de lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, d’aller ensemble dans une coalition forte qui puisse faire de telle sorte qu’au niveau du Sénégal, que nous puissions gagner cette lutte-là. Elle est difficile, elle est très compliquée, parce que c’est une affaire de grand banditisme, mais néanmoins, je crois que si les assujettis, ceux-là qui sont susceptibles de commettre le délit, si ces gens sont bien informés, bien préparés à comprendre le phénomène comme il est dangereux, ça peut quelque part aider. Mais de l’autre côté aussi, si on a une capacité de dénonciation assez forte, et que chaque structure dédiée (banques, institutions de microfinance, notaires, etc.), soit mobilisée, nous allons lutter contre ce phénomène.
On appelle tous ces acteurs à se mobiliser. Ensemble, on peut effectivement gagner et faire de notre pays un pays de développement qui ne sera pas entaché par des situations de fraude, de corruption, mais aussi un pays qui ne va pas blanchir de l’argent sale. On veut un développement durable, un développement assez soutenu, qui puisse permettre à ce que tout le monde se retrouve dans le bonheur et le progrès.
Après cette étape, quelle sera la prochaine action ?
Après cette étape, on va travailler sur une approche beaucoup plus technique qui permettra de revisiter, en rapport avec ces structures-là, les textes. On est vraiment favorable de signer une convention avec l’Onrac pour voir parmi les dispositions qui sont retenues dans cette épreuve de recouvrement, qu’est-ce qu’il faut améliorer, comment il faut le faire.
Nous pensons qu’au sortir de ces ateliers, nous aurons suffisamment d’éléments qui puissent permettre de faire avancer les textes, les adapter à la situation sénégalaise. Cela peut être quelque chose de bon.