Je pensais sincèrement qu’après les mises au point du ministre de la Justice, Garde des sceaux, aux députés de Pastef, et les propos controversés du président de la République, malgré son rétropédalage, plus personne ne reviendrait à la charge pour reprendre la pression sur notre Justice.
Ce texte d’un responsable de ce parti, publié sur sa page Facebook et relayé dans Le Quotidien du jeudi 11 avril, relance en fait le débat et nous oblige à réagir, car dorénavant on va les marquer à la culotte pour déconstruire toutes leurs manipulations, parce que nous n’allons pas nous lasser de monter au créneau pour défendre la République..
Séne tank sunu tank !
Grande fut ma surprise, en lisant sa publication, de noter qu’il s’est appuyé sur les premiers propos du Président (lors de sa rencontre avec la presse) pour essayer d’intensifier la pression.
Président Diomaye : «Il appartiendra aux Sénégalais de mettre la pression qu’il faut sur la Justice pour que mu déf ligueyam. Le temps de la Justice n’est pas le temps politique, mais ça doit être le temps du Peuple, au nom duquel cette justice-là est rendue.»
Alioune Badara : «Ces mots du Président Diomaye Faye traduisent une réalité que beaucoup ressentent aujourd’hui.
La Justice ne peut plus vivre en décalage avec les réalités du Peuple. Elle ne peut plus avancer à son propre rythme, comme si de rien n’était.
Nous voulons une Justice indépendante certes, mais rendue au rythme du Peuple et non suspendue à l’humeur des magistrats.»
Ces quelques extraits sont suffisamment éloquents pour montrer à quel point ce responsable ignore le fonctionnement de la justice. Pas seulement au Sénégal, mais partout ailleurs.
Très sincèrement, en lisant sa publication, j’ai eu honte, pensant aux étrangers devant de telles idées sorties de la tête d’un responsable politique sénégalais, de surcroît au pouvoir.
Alioune Badara ! Pourtant, si vous aviez bien écouté le Président au niveau du segment démocratie, justice et libertés, vous vous seriez rendu compte de sa  saisine de  l’opportunité que lui offrait le journaliste Abdoulaye Diallo de Yoor Yoor, avec sa question sur les «lenteurs» judiciaires évoquées par les députés et certains Séné­galais.
Le Président, tout en disant que l’Etat ne peut pas ne pas s’intéresser à ce qui se fait au niveau de la Justice, accepte la séparation des pouvoirs, qui l’oblige à ne pas s’immiscer outre mesure dans les affaires de la Justice.
Je te rafraîchis la mémoire en te rappelant ce qu’a dit le Président Diomaye et qui devait clore le débat en votre sein :
«Yoon ni muy doxe yeexut, temps wu yoon du temps wu bëgg-bëggu nit. Loolu, il faut ñu respecté ko. Sànq am na lu ma wax ci bu yoon yeexee, waaye c’est pas une raison pour que ñu bëgg a déterminé la façon dont la Justice fonctionne.
D’abord, il faut que ñu xam ne dafa am déficit magistrats par rapport ak affaires yi ñu wara traiter, muy benn. Bennen bi ci tegu, am juridictions yoo xam ne, elles sont submergées lu mel ne Pôle judiciaire financier, etc.
C’est vrai que yoon man na yeex, mais dañu koo dicté tul tempo, ba paré orienté tuñu décisions yi. Elle (la Justice) travaille sereinement, te Justice boobu moo taxoon ñuy xeex. Kon su ñu ko amee ba pare na ñu xam valeuram, parce que bi ñu ko ñàkkee ñu ngi ko doon wut, mooy Justice boo xam ne dafa autonome, indépendante, te kenn téléguidée wu ko.»
En français : «La Justice n’est pas lente. Le temps de la Justice ne rime pas avec le bon vouloir des gens, et c’est quelque chose à prendre en compte et à respecter.
Tout à l’heure, je parlais des lenteurs de la Justice, mais ce n’est pas une raison pour qu’on détermine la façon dont la Justice fonctionne.
D’abord, il faut qu’on comprenne qu’il y a un déficit de magistrats par rapport aux affaires en traitement.
Ensuite, il y a d’autres juridictions qui sont submerges, comme le Pôle judiciaire financier.
C’est vrai que la Justice peut être lente, mais c’est parce qu’on ne lui dicte pas le tempo, ensuite on n’oriente pas ses décisions.
Elle travaille sereinement, et c’est pour cette Justice qu’on se battait. Maintenant que nous l’avons, nous devons apprécier sa valeur, car lorsqu’on ne l’avait pas on faisait tout pour l’avoir. A savoir une justice indépendante, autonome et non téléguidée.»
Alioune ! Comme je le disais plus haut, le Président a tenté de clore le débat en s’amendant, conscient que ses premiers propos qui t’enchantent tant n’étaient pas opportuns.
Tu n’avais donc aucun intérêt à les reprendre pour t’en servir comme socle d’une publication de pression, car la Justice doit aussi être indépendante de tout groupe de pression, quelle que soit sa légitimité.
Pour terminer, méditons ensemble ces écrits (sur la Justice canadienne) de la professeure Martine Valois, diplômée de la Faculté de Droit de l’Université de Montréal au Canada et de l’Université Harvard aux Etats-Unis, dans un article sur Une justice sous pression : «L’indépendance judiciaire, la séparation des pouvoirs et la primauté du Droit sont les socles sur lesquels repose le fondement de la gouvernance démocratique. Une Nation qui attaque ses juges ne vaut pas mieux que celle de l’Angleterre des rois Stuart, qui a été dénoncée à travers l’histoire comme appartenant à une époque sombre pendant laquelle une Justice indépendante n’était pas garantie. Le juge en chef Coke a été démis de ses fonctions de juge en chef de la Cour du banc du roi en novembre 1616 parce que ses décisions sur l’étendue des prérogatives de la Couronne déplaisaient au Roi Jacques Ier, premier roi des Stuart qui ont régné sur l’Angleterre et l’Ecosse de 1603 à 1714.»
Là, elle voulait montrer qu’attaquer la Justice est du domaine d’un passé très lointain. Elle poursuit dans son article : «Pourtant, la règle du sub judice (chose non encore jugée), que le Premier ministre et son ministre de la Justice devraient connaître, impose aux parlementaires de ne pas miner l’autorité des tribunaux en commentant des affaires qui se trouvent devant ces derniers.»
Dans le même ordre d’idées, se trouve ce populisme anti juges qu’on voit en France et qui fait dire à Cécile Prieur, directrice de la rédaction de Nouvel Obs, ceci: «On pourrait hausser les épaules, se dire que ces attaques ne se distinguent guère de celles que subissent les autres institutions. Ce serait méconnaître le rôle de vigie et de garant de l’Etat de Droit qu’exerce notre ordre judiciaire. Contester le bien-fondé du travail des juges au nom de la souveraineté populaire, c’est en effet saper la séparation des pouvoirs -l’un des piliers de notre démocratie-, c’est prétendre que l’élection prime sur toute autre légitimité, c’est favoriser la loi du plus fort. Bien sûr, la confrontation entre les juges et le personnel politique n’est pas nouvelle, elle existe depuis que la Justice s’est engagée dans la lutte pour l’assainissement de la vie publique, il y a plus de trente ans. Les politiques ont répliqué en inventant le concept fumeux de «gouvernement des juges», pour mieux délégitimer l’action de la Justice. Pourtant, les magistrats, recrutés et formés par la Nation, ne s’autorisent en rien de leur propre pouvoir. Leur mission est d’appliquer le Droit, qui découle des lois votées par la Représentation nationale.»
En lisant la publication de mon ami Alioune, on retrouve l’argument de la légitimité populaire qui devrait s’imposer à la Justice.
Ces rappels sont assez éloquents pour nous amener à rester sereins, refuser de retourner en arrière, à la Révolution française de 1789, et ne surtout pas ouvrir la boîte de Pandore, source de tensions sociales.
Idrissa SYLLA
New York 
Membre du CC du Pit-Sénégal
idrissasylla902@gmail.com