On peut considérer que la grève des enseignants du public, qui avait posé une ombre sur la fin de l’année scolaire, vient de finir. Le gouvernement a publié un communiqué indiquant qu’un accord a (enfin) été trouvé entre les deux parties. On s’en félicite. Le nouvel accord confirme bien ce qui avait déjà été proposé par le gouvernement aux syndicats d’enseignants, comme étant son offre maximale pour répondre aux revendications relatives à la revalorisation des indemnités de logement pour les enseignants. Ainsi, une augmentation de 15 000 francs à compter d’octobre 2018 leur a été consentie, avec une hausse supplémentaire de 10 mille à compter de janvier 2019. La seule nouveauté est que le gouvernement s’est engagé à y rajouter la somme de 15 000 francs et ceci à compter de l’année 2020. On peut considérer que cette promesse a été une raison suffisante pour les enseignants, de lever le mot d’ordre de grève. Tant mieux si cela leur aura permis de sauver la face et de ne pas donner l’impression d’avoir fini par capituler. Après plusieurs mois de grève, les responsables syndicaux avaient cherché à se montrer effarouchés par le fait que Serigne Mbaye Thiam, ministre de l’Education nationale, s’était précipité à révéler aux médias les accords convenus entre le Président Macky Sall et les syndicats d’enseignants le 30 mars 2018. L’incartade, si c’en était vraiment une, de Serigne Mbaye Thiam, d’avoir vendu la mèche avant que les militants syndicaux de base ne furent informés de la teneur de l’accord, apparaissait comme un motif légitime pour les grévistes de poursuivre leur mouvement d’humeur. On reprochait à Serigne Mbaye Thiam de n’avoir pas su tenir sa langue sur un accord conclu devant plusieurs dizaines de personnes et au cours d’une audience suivie par tous les médias. Le prétexte était donc fallacieux.
Tout compte fait, il faut dire que les syndicats d’enseignants avaient fini par mesurer l’impopularité de leur mouvement de grève. On peut aussi considérer que le gouvernement, de guerre lasse, sans doute excédé par le revirement des syndicalistes au lendemain de leur rencontre du 30 mars 2018, avec le chef de l’Etat, a de son côté sorti l’arme fatale, à savoir les ponctions de salaires des grévistes. Cette approche, on ne peut plus légitime, a fait mouche. Il est aberrant que des grévistes continuent de toucher les salaires payés par leur employeur, durant plusieurs mois d’inactivité, et de mettre à profit leurs jours de grève pour vaquer à des prestations privées salariées. Cette aberration, une autre spécifié bien sénégalaise, ne devrait plus être acceptée. Nous le disions dans une chronique  intitulée «Que tout le monde prenne ses responsabilités!», en date du 13 juin 2016, quand la même situation se posait au niveau des écoles sénégalaises. L’Etat doit pouvoir prendre ses responsabilités et garantir le droit des enfants sénégalais à l’éducation. Nous pensions que la façon dont la crise de 2016 avait été résolue, grâce principalement au recours à la procédure de retenue des salaires des grévistes, devrait servir de leçon. Mais le gouvernement voulait demeurer prisonnier de logiques électoralistes jusqu’à ne jamais prendre ses responsabilités. On ne le dira jamais assez, si, depuis le début de la grève, les salaires des grévistes avaient été ponctionnés, une certaine pression aurait été exercée sur les syndicats d’enseignants pour accepter des accords de sortie de crise proposés. En effet, ce que les syndicats ont accepté le 27 avril 2018, à l’issue de leur rencontre avec le chef de l’Etat, leur avait déjà été proposé par le même Macky Sall, un mois plus tôt. Il faudrait bien que la leçon soit définitivement sue et bien retenue et désormais appliquée à toute grève dans le secteur public, comme c’est justement la pratique, partout ailleurs dans le monde. Ce ne serait nullement remettre en cause le droit de grève ou la liberté syndicale. Nous ne touchons pas une virgule de ce que nous écrivions en juin 2016 quand nous soulignions notamment que «depuis toujours, les gouvernements du Sénégal se sont montrés d’une tolérance laxiste. Dans aucun pays au monde, des grévistes ne reçoivent l’intégralité de leurs salaires. La règle est que les syndicats utilisent les cotisations de leurs membres pour rembourser les manques à gagner pour faits de grève. Cet anachronisme, propre au Sénégal, encourage les grévistes à persister dans leur mouvement d’humeur, car assurés de recevoir de l’Etat la totalité de leurs émoluments et donc, peuvent mettre à profit leur temps de grève pour glaner des revenus complémentaires et exceptionnels par des vacations».

Deux années d’accalmie ou de trêve
syndicale pour l’école sénégalaise
Il reste, qu’à y regarder de plus près, le gouvernement a réussi une belle négociation, pour ne pas dire une prouesse, avec les syndicalistes lors de leur dernière rencontre. En signant un accord acceptant une promesse d’une prochaine augmentation du montant des indemnités de logement de 15 000 francs, payable en 2020, les syndicats viennent ipso facto de prendre l’engagement qu’ils ne pourront plus brandir cette revendication, avant l’échéance convenue avec le gouvernement. Cette perspective devrait laisser une période d’accalmie ou de trêve, d’au moins deux ans, avant que les syndicats d’enseignants ne se fassent entendre à nouveau sur cette question des indemnités de logement. On peut bien augurer que le gouvernement se donnera les moyens de respecter un tel engagement.
Le Président Macky Sall vient ainsi, sans doute de manière subreptice, d’amener les syndicats enseignants à accepter ce qu’ils lui avaient toujours refusé. Dans la foulée du dénouement, in extremis, de la crise scolaire en 2016, le président de la République s’était fait fort d’appeler les syndicats à observer une «trêve syndicale, surseoir à tout mouvement de grève pendant une durée de deux ou trois ans, afin de permettre à ce que toutes les attentions soient consacrées aux actions en vue de l’amélioration de la situation économique et sociale du pays». L’appel était ignoré par tous les syndicats, en dépit de l’insistance du Président Macky Sall qui l’aura réitéré aux différentes occasions de rencontres avec les syndicats de travailleurs, particulièrement les jours de Fête du travail.
C’est le lieu de relever donc que, par le truchement de ce dernier accord avec les syndicats d’enseignants, le gouvernement vient de s’enlever une épine du pied. Tout le monde s’accorde sur le caractère politique des grèves à répétition, surtout avec une radicalisation systématique des syndicats en période électorale. Les organisations syndicales estiment trouver dans les contextes de périodes électorales, un moyen de pression supplémentaire sur les gouvernements en place. Ces derniers s’évertuent à faire des pieds et des mains pour éviter un embrasement du front social qui pourrait fâcher l’électorat. Il sera difficile de ne pas croire que si le régime de Macky Sall avait soigneusement évité de recourir à l’arme, qui se révèle bien efficace, de la ponction des salaires des grévistes en 2017, c’était du fait du contexte politique avec les élections législatives qui étaient attendues la même année. Seulement, quand on considère que le calendrier politique au Sénégal prévoit des échéances électorales, presque tous les deux ans, on peut craindre que la frilosité des gouvernements pourrait empêcher de mettre en œuvre toutes réformes importantes dans le fonctionnement de l’Etat. Pourtant, pour réussir des réformes fondamentales et nécessaires pour l’Etat, le gouvernement et le chef de l’Etat devraient pouvoir risquer une certaine impopularité. Il faut bien consentir de fâcher, de temps en temps, une partie du Peuple, pour éviter que tout le Peuple ne finisse par se fâcher. La seule règle à observer est que les réformes à entreprendre soient justes, nécessaires et efficaces. C’est justement par ce moyen que l’Histoire jugera de la stature d’Homme d’Etat d’un leader politique.