Dans le département de Mbour, le projet Waar, mené par le Ceforep (Centre régional de recherche, de formation et de plaidoyer en santé de la reproduction), a bousculé les codes pour améliorer la santé et les droits reproductifs, et lutter contre les Violences basées sur le genre (Vbg) chez les adolescentes. Financé par le programme «Ados», lui-même soutenu par Affaires mondiales Canada et le Crdi, ce projet a eu des résultats tangibles, notamment au Centre de formation professionnelle (Cfp) de Thiadiaye. Les abandons scolaires dus aux grossesses précoces et aux mariages d’enfants, autrefois alarmants, sont désormais en forte baisse.

Un impact mesurable sur l’abandon scolaire
Avant l’arrivée du projet Waar, le Cfp de Thiadiaye était confronté à un problème récurrent : une forte déperdition d’élèves. «Nos apprenantes en première année, elles viennent enthousiastes, mais avant la troisième année, il y avait beaucoup d’abandons», expli­que Mme Senghor, directrice du Cfp. Les causes principales étaient les mariages précoces et les grossesses. Selon elle, on pouvait perdre jusqu’à 15 à 25 filles sur 100 avant la fin de leur cursus.
Avec le projet, la situation a radicalement changé. «On a senti que les filles étaient plus éveillées», souligne Mme Senghor. Le projet a permis aux jeunes filles de mieux comprendre leur corps, de prendre conscience de leurs droits et de se projeter dans l’avenir. «Leurs moyennes scolaires, on sent que ça a augmenté», témoigne la directrice, qui précise que l’impact est visible bien au-delà des murs du Cfp, touchant toute la communauté.

Pour aborder des sujets aussi sensibles que les violences sexuelles et les mariages d’enfants, le projet a mis en place une approche interactive. Mme Senghor détaille les méthodes utilisées : «C’étaient des séminaires de cinq jours, de quatre jours, avec des diapos, des travaux de groupe, des enquêtes sur place, des témoignages.» Le personnel de santé était également impliqué pour assurer une information complète et précise.

Le Cfp a également créé une cellule genre qui organise des sessions mensuelles pour discuter de thèmes d’actualité sous une approche d’échanges et de partage d’expériences. «On se met sous l’arbre, on discute sur un thème. Les élèves parlent de leurs expériences, de problèmes qu’ils ont vécus», raconte Mme Senghor, illustrant une atmosphère de confiance et de sécurité.

L’accueil du projet par la communauté éducative a été très positif, avec une implication de tous : parents, professeurs, imams et administration. Ce­pendant, des défis ont subsisté. «Il y a des résistances», admet Mme Senghor. Certains sujets étaient encore considérés comme tabous. Des familles refusaient de divulguer des cas de violence, les considérant comme des «affaires de fa­mille».
Malgré ces obstacles, les résultats positifs ont largement prévalu. La confiance gagnée par les élèves est un des plus grands succès. «On a même tenu une réunion uniquement pour ça, parce qu’on a remarqué cela», affirme Mme Senghor. Mme Sabou Diouf Niane, professeure de lettres et coordinatrice de la cellule genre au Collège d’enseignement moyen (Cem 1) de Thiadiaye, confirme ces réussites. Pour elle, le projet a été un catalyseur de changement. «Le projet nous a formés sur le leadership, la confiance en soi et sur la prise de parole en public», dit-elle. Les adolescentes sont désormais capables de se défendre et de parler de leurs problèmes.

Elle cite un cas concret : «j’ai aidé à régler un cas d’un mariage d’enfant avec F. S., une élève de 5e, que son grand-père voulait donner en mariage», note-t-elle. La jeune fille, qui sera en 3e l’année prochaine, considère désormais Mme Niane et ses collègues comme ses marraines. Mme Niane conclut en soulignant le nouveau lien qu’elle a tissé avec ses élèves. «Actuellement, je suis comme une mère pour eux, garçons comme filles. Ils m’appellent maman ou «bajenu gox».» Le projet Waar a non seulement apporté des outils et des connaissances, mais a également créé un espace de parole sécurisé, où les jeunes peuvent se confier sans crainte, garantissant ainsi un avenir plus serein pour la jeunesse de Thiadiaye.

Le projet Waar à Thiadiaye, une démarche innovante pour des résultats probants
Le projet War (Wallou sunuy doom, aar leen) dont l’objectif est la prévention et la prise en charge des adolescentes victimes de violences sexuelles et de mariages d’enfants, a connu un succès remarquable grâce à une approche novatrice et une collaboration étroite avec les communautés locales.

L’une des clés de la réussite du projet Waar réside dans son approche unique. Au lieu d’importer des modèles internationaux, les chercheurs ont choisi de partir des réalités du terrain. Thierno Dieng, chargé de programme au Ceforep et l’un des concepteurs du projet, explique cette philosophie : «Au lieu de dire que les populations agissent mal, nous avons décidé de travailler avec elles.»
Cette démarche a permis d’adapter les messages et interventions aux perceptions et normes culturelles locales. Les populations n’ayant pas la même vision des Vbg que les institutions internationales, les équipes du projet ont co-construit des messages et outils avec elles, en se basant sur une compréhension profonde des dynamiques locales et en traduisant les concepts juridiques internationaux en termes accessibles. L’approche a également impliqué la mise en place d’une méthodologie rigoureuse, en sélectionnant Thiadiaye comme zone d’intervention et Tivaouane comme zone témoin, afin de mesurer scientifiquement l’impact des actions.

Des résultats tangibles et des indicateurs de succès concrets
Les résultats du projet sont sans appel et ont été salués par les bénéficiaires et les acteurs locaux. Thierno Dieng les résume ainsi : «Le projet a été un succès. La directrice du centre de formation et même au niveau des lycées, on dit que c’était la première fois depuis longtemps qu’ils ont pu garder leurs effectifs de filles toute l’année.» D’ailleurs, il rappelle que le succès du projet se mesure à travers des indicateurs-clés. «Le changement de perception et de comportement : les populations ont développé une meilleure compréhension des Vbg et se sont mobilisées pour y faire face. La réduction des cas de violence : la gendarmerie locale a signalé une diminution des plaintes pour viol. L’amélioration de la prise en charge médicale : le centre de santé a constaté un changement dans les demandes de consultation, les victimes s’orientant plus vers la demande d’information que vers la simple prise en charge d’infections.»
Malgré ces succès, le projet a dû faire face à des obstacles, notamment des «incompréhensions» et «réticences» liées aux sujets de la sexualité et du genre. Ces difficultés ont été surmontées grâce à l’appui de l’administration locale, un «rôle que nous devons souligner encore une fois», selon M. Dieng.

Pour assurer la pérennité du projet, des actions concrètes ont été mises en place. L’une des plus marquantes est la création d’un espace Ados à Thiadiaye, «la première structure pour les adolescents au niveau de Thiadiaye», qui a ensuite été équipée par le ministère de la Santé. Fort de ce succès, le Ceforep a obtenu un nouveau financement pour poursuivre son travail. Le nouveau projet permettra de continuer les interventions à Thiadiaye et de les étendre à Tivaouane, la zone témoin, tout en se concentrant sur les défis restants comme la prise en charge psychosociale des victimes. Thierno Dieng explique que l’objectif est de «former des agents en psychothérapie, en attendant de pouvoir les référer quand les cas deviennent très lourds, parce que, actuellement, tous les cas sont référés à Mbour».

Le projet Waar de Thiadiaye a non seulement généré des données probantes, mais il a aussi démontré qu’une approche collaborative et respectueuse des réalités locales est essentielle pour la réussite des initiatives de développement. Le District de Thiadiaye est aujourd’hui considéré comme un «district modèle», et son modèle est en cours de dissémination à travers tout le Sénégal.
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