Le financement des partis politiques au Sénégal est régi par des dispositions constitutionnelles, législatives et réglementaires.
La Constitution du Sénégal, adoptée en 2001, proclame dans son préambule l’accès de tous les citoyens, sans discrimination, à l’exercice du pouvoir à tous les niveaux.
Parmi les innovations de la loi constitutionnelle n° 2016-10 du 5 avril 2016 portant révision de la Constitution, on peut citer la modernisation du rôle des partis politiques dans le système démocratique.
Ainsi, l’article 4 nouveau précise les droits et devoirs des partis politiques : «Les partis politiques et coalitions de partis politiques concourent à l’expression du suffrage dans les conditions fixées par la Constitution et par la loi. Ils œuvrent à la formation des citoyens, à la promotion de leur participation à la vie nationale et à la gestion des affaires publiques…
Les partis politiques sont également tenus de strictement respecter les règles de bonne gouvernance associative sous peine de sanctions susceptibles de conduire à la suspension et à la dissolution.
La Constitution garantit des droits égaux aux partis politiques, y compris ceux qui s’opposent à la politique du gouvernement en place.
Les règles de constitution, de suspension et de dissolution des partis politiques, les conditions dans lesquelles ceux-ci exercent leurs activités et bénéficient d’un financement public sont déterminées par la loi.» Fin de citation.
En matière de financement des partis politiques, la loi du 6 mai 1981 relative aux partis politiques (instaurant le multipartisme total sans obligation de référence à un courant de pensée), modifiée par la loi n° 89-36 du 12 octobre 1989, dispose en son article 3 qu’au titre des formalités obligatoires, chaque parti politique doit déposer chaque année, au plus tard le 31 janvier, le compte financier de l’exercice écoulé ; ce compte doit faire apparaître que le parti politique ne bénéficie d’autres ressources que celles provenant des cotisations, dons et legs de ses adhérents et sympathisants nationaux et des bénéfices réalisés à l’occasion de manifestations.
Selon l’article 4 de la loi, ce dépôt du compte financier doit être effectué, sous peine de dissolution, auprès du ministre de l’Intérieur qui est tenu d’en délivrer récépissé. La dissolution intervient également dans le cas où un parti a reçu directement ou indirectement des subsides de l’étranger ou d’étrangers établis au Sénégal.
Ce sont ces dernières dispositions que le ministre de l’Intérieur a visées dans son communiqué pour menacer le parti Pastef-Les Patriotes de dissolution. Le ministre de l’Intérieur considère que l’opération Nemmeeku tour de Pastef qui consiste à lever des fonds auprès de ces militants et sympathisants contrevient à la loi de 1981 quand elle se déroule à l’étranger.
Le subside est défini comme une somme versée à titre d’aide, de subvention. Or l’opération Nemmeeku tour n’est pas un appel à l’aide ou à subvention de l’étranger ou d’étrangers établis au Sénégal, mais bien un appel à don pour financer les activités du parti auprès des militants et sympathisants nationaux résidant au Sénégal ou à l’extérieur. Cette opération de financement transparent et participatif est organisée par les instances régulières du parti et a permis de collecter plus de 125 millions de francs Cfa. Au lieu de menaces, le ministre de l’Intérieur devrait plutôt féliciter le parti Pastef pour sa bonne gouvernance associative tel que le dispose la Constitution.
A moins qu’il veuille considérer que les dons de Sénégalais de l’extérieur, militants ou sympathisants de Pastef, soient des «subsides de l’étranger». Interprétation qui serait maladroite, arbitraire, abusive, discriminatoire et contraire à la Constitution. Cette interprétation du ministre de l’Intérieur serait manifestement contraire aux principes constitutionnels de l’égalité devant la loi de tous les citoyens (article premier) et de l’accès de tous les citoyens, sans discrimination, à l’exercice du pouvoir à tous les niveaux (préambule). Les Sénégalais de l’extérieur sont bien des Sénégalais à part entière jouissant de tous les droits civiques et politiques consacrés juridiquement. Un simple communiqué du ministre de l’Intérieur ne peut restreindre leurs droits constitutionnels.
La participation des Sénégalais de l’extérieur à la vie politique a d’ailleurs été renforcée par la réforme constitutionnelle de 2016 qui cite parmi ces innovations «la représentation des Sénégalais de l’extérieur par des députés à eux dédiés». Le nouvel article 59 de la Constitution dispose clairement que «les Sénégalais de l’extérieur élisent des députés».
Les dispositions relatives aux élections des députés à l’Assemble nationale sont fixées par le Code électoral (Loi n° 2017-12 du 18 janvier 2017 portant Code électoral modifiée).
Ainsi, les députés à l’Assemblée nationale sont élus à raison de cent cinq (105) députés, dont quatre-vingt-dix (90) pour l’intérieur du pays et quinze (15) pour l’extérieur, au scrutin majoritaire à un tour dans le ressort du département et de soixante (60) députés au scrutin proportionnel sur une liste nationale. Pour les besoins du scrutin majoritaire, l’extérieur du pays est subdivisé en 8 entités dénommées «départements».
Ainsi donc, avec la réforme constitutionnelle de 2016, les Sénégalais de l’extérieur sont non seulement électeurs (ce qui était le cas avant la réforme), mais ils sont aussi éligibles en raison même de leur qualité de Sénégalais de l’extérieur aussi bien sur les listes nationales (scrutin proportionnel) que les listes départementales (scrutin majoritaire).
Il est donc absurde et contradictoire de permettre aux Sénégalais de l’extérieur d’être électeurs ou éligibles et de leur refuser le droit de verser des dons à un parti politique dans lequel ils ont choisi de militer ou d’être sympathisants.
Le citoyen sénégalais est un et indivisible, qu’il soit au Sénégal ou à l’extérieur.
Mohamed Ayib DAFFE – Coordonnateur du Mouvement Idéal