Sans l’émoi provoqué par le meurtre de George Floyd, on n’aurait sans doute jamais reparlé de Collins Khosa en Afrique du Sud. Cette semaine, la police a ouvert une enquête interne contre sept agents qui ont assisté, sans broncher, au tabassage mortel de cet homme noir de 40 ans du township d’Alexandra, à Johannesburg.
Le 10 avril, Khosa était en train de dîner dans sa cuisine. Il a été sommé de sortir dans la rue, où il a été battu à mort par dix soldats, mobilisés pour faire respecter le confinement : il est décédé quelques heures après l’intervention qualifiée de «torture» par un juge saisi de l’affaire. Selon les Forces de l’ordre, Khosa avait bu de l’alcool dans sa cour : rien d’illégal, pourtant. Les soldats l’ont arrosé de bière avant de l’étrangler et le rouer de coups, notamment avec la crosse d’un fusil, selon huit témoins. Plusieurs voisins ont filmé la scène. Mais les images ont disparu : les soldats les ont forcés à les supprimer.
En avril, ce «fait divers» avait vite disparu de l’attention médiatique, sans susciter de réactions officielles. L’Armée avait conclu que rien ne pouvait lier la mort de Khosa aux «claques» infligées par les soldats. D’ailleurs, la victime les aurait «provoqués», en faisant des remarques sexistes à deux femmes du contingent.

Plus d’un décès par jour
Il a fallu attendre le 5 juin pour que le Président sud-africain s’émeuve du sort de Khosa «et dix autres Sud-Africains apparemment morts aux mains de nos Forces de l’ordre, pendant le Covid-19». Cyril Ramaphosa a promis des poursuites. Même s’il s’est bien gardé de faire un lien avec le meurtre de Floyd, les deux affaires exposent la même brutalité des Forces de l’ordre, à l’égard des Noirs des quartiers pauvres. Les soldats noirs ne se sont pas mieux comportés que les policiers blancs de Minneapolis, comme s’ils avaient internalisé la même culture du racisme.
Les chiffres sont éloquents : entre 2012 et 2019, le service d’enquête de la Police sud-africaine a enregistré 25 mille plaintes de traitements violents. Selon la journaliste Daneel Knoetze, 2 800 personnes sont mortes aux mains de la police pendant cette période, soit plus d’une par jour. Les plaintes n’ont abouti qu’à 780 sanctions disciplinaires et 170 condamnations criminelles. Comme aux Etats-Unis, l’impunité est la norme.
Après l’apartheid, des programmes de respect des droits de l’Homme ont pourtant été introduits au sein des Forces de l’ordre. «Ils nous ont fait croire qu’ils avaient changé leur culture, explique Johan Burger, chercheur à l’Institut d’études de sécurité, à Pretoria. Mais je pense qu’il y a un problème inhérent à la façon dont la police fonctionne.»
Le Temps