Dans le premier gouvernement de l’ère Bassirou Diomaye Faye, le département de la culture se retrouve sous tutelle dans un vaste ministère avec les sports et la jeunesse. Pour le Directeur de l’Institut supérieur des arts et de la Cultures (Isac), le Professeur Babacar Mbaye Diop, les nouvelles autorités doivent surtout prendre la mesure du fort potentiel économique de la culture mais aussi son apport en termes de réconciliation et de cohésion nationale.

Le nouveau gouvernement donne une configuration dans laquelle la culture est associée à la jeunesse et aux sports, avec toutefois un secrétariat d’Etat à la Culture. Quelle lecture faites-vous de cette nouvelle configuration ?
Personnellement, je ne comprends pas pourquoi regrouper ces trois grands secteurs que sont la jeunesse, les sports et la culture en un seul ministère. Je peux comprendre qu’on regroupe les départements jeunesse et sports qui sont déjà un gros morceau. La culture est un autre gros morceau, un domaine vaste et compliqué. Je ne sais pas si le gouvernement mesure réellement ce que la culture peut apporter en termes de développement économique. Les secteurs culturel et créatif sont des moteurs de développement. Ils constituent un enjeu majeur pour l’économie de la culture du pays. Ces secteurs génèrent de la richesse, de l’emploi et aussi des valeurs. Mais l’action culturelle ne peut elle-même se développer que si elle repose sur une base matérielle et économique très solide. Et dans ce sens, l’Etat doit considérablement augmenter les budgets alloués à ce département.

La culture n’est plus un département ministériel. Est-ce un recul ?
Je ne sais pas si c’est un recul. Mais soyons optimistes et attendons de voir ce qui va se passer avec le nouveau gouvernement. Et il faut surtout à mon avis, que le gouvernement sache ce que la culture peut apporter en termes de développement, d’unité de la Nation. Les attentes des acteurs culturels sont nombreuses et je crois que le Premier ministre et son gouvernement ne l’ignorent pas. Aujourd’hui, les Industries culturelles et créatives (Icc) apportent beaucoup plus que le sport au Sénégal. Parce que simplement, le potentiel de création de richesse est énorme. Et c’est peut-être pour cela qu’on a nommé un secrétaire d’Etat à la Culture, aux industries créatives et au patrimoine. A mon avis, il ne faut surtout pas considérer la culture comme seulement une activité de divertissement. La culture est un moteur de développement et les Industries culturelles et créatives constituent un enjeu majeur pour l’économie du pays.

Selon vous, quelles doivent être les priorités dans ce département ?
Les priorités sont nombreuses. Il faut d’abord réformer parce qu’il y a trop de directions dispersées au sein du département de la Culture. Si j’avais des propositions, ce serait de regrouper beaucoup de services. Par exemple, une Direction générale des arts et de la culture pourrait regrouper plusieurs services. Je ne comprends pas comment on peut séparer l’Orchestre national de la Direction sons et lumières. Mais aussi cette Direction générale des arts et de la culture pourrait regrouper la Direction de la cinématographie, la Direction du livre, le Fesnac, la Biennale, les musées et centres culturels. Puisque l’on parle de réformes, il faudrait commencer à réformer les départements au sein du ministère où il y a beaucoup d’émiettements. Mais il y a aussi un besoin de créer une bibliothèque nationale, un musée d’art contemporain et de donner plus de moyens aux centres culturels régionaux. En outre, j’estime qu’il faut rattacher la partie supérieure de l’Ecole nationale des arts à l’université. Un autre point qui me semble important, c’est de donner des postes de responsabilité aux jeunes diplômés dans le ministère, au lieu de les confier à des retraités.

Le Sénégal vient de traverser des années de violence où l’espace public a été saturé de discours haineux entre personnes, entre communautés. N’était-ce pas une belle occasion de mettre la culture en avant pour justement œuvrer à réconcilier les Sénégalais entre eux et maintenir les ci­ments de la Nation ?
Il est vrai que nous sortons d’une période électorale trouble avec beaucoup de problèmes, beaucoup trop de morts et des emprisonnements. Je pense que c’est le moment pour le nouveau gouvernement de mettre en avant la culture pour réconcilier les Sénégalais. La culture est le ciment d’une Nation, elle permet de rapprocher les peuples, de rapprocher les populations. C’est un lieu de brassage des peuples. Avec le nouveau gouvernement, c’est le moment de lancer des campagnes de sensibilisation sur l’unité nationale, sur la solidarité, le respect de l’autre. Mais aussi, pourquoi ne pas organiser de grands évènements culturels comme le Fesnac qui existe déjà. Il faut ces rencontres-là, il faut des journées culturelles nationales ou régionales pour que la culture reprenne la place qu’elle mérite dans l’unité de la Nation sénégalaise.

Vous avez eu l’occasion de collaborer avec le nouveau secrétaire d’Etat. Que pouvez-vous nous dire sur lui ?
Ce que je peux dire, c’est qu’il a été mon collaborateur pendant plusieurs années à l’université Cheikh Anta Diop et comme directeur de l’Institut supérieur des arts et de la culture (Isac), il a été pendant plusieurs années le directeur des Etudes de l’institut ou il enseigne l’histoire du cinéma. C’est un homme passionné de cinéma et de culture. Avec cette nouvelle fonction, il faut qu’il soit proche des acteurs culturels et surtout qu’il les écoute.