La Rue 11 de la Médina a connu ce mercredi des vibrations particulières. Le virtuose du violoncelle, Yo-Yo Ma, s’y est livré une prestation publique. En totale improvisation, le musicien aux 19 Grammy Awards a dialogué avec le groupe de tam-tam de Mara Seck. Un moment-clé de l’étape sénégalaise de ce «Bach Project» qui doit mener le musicien dans 36 villes dans le monde pour des concerts mais aussi des journées de mobilisation.

Une tente, des chaises en cercle, un groupe de batteurs. C’est le décor de la traditionnelle séance de sabar comme on en organise dans tous les quartiers de Dakar. Mais ce sabar qu’accueille aujourd’hui la Rue 11 de la Medina, a quelque chose de particulier. A côté des batteurs de tam-tam, un homme avec son violoncelle. Quand les bâtons s’abattent sur le tambour, lui réplique en maniant son archet. Ainsi démarre un dialogue entre les deux musiciens. Entre le sabar et le violoncelle. La discussion est profonde. Et elle ne laisse pas indiffèrent le public venu en nombre. Petit à petit les autres tam-tams se joignent à l’échange pour écrire une toute nouvelle symphonie. C’est au milieu des habitants de ce quartier de Dakar que le virtuose du violoncelle, Yo-yo Ma, est allé à la recherche de ce qui fait la culture sénégalaise. A côté du rythme endiablé des tam-tams, la douceur du violoncelle fait écho et Médina découvre ce son un peu particulier. Mara Seck est le leader du groupe Guis Guiss bou bess. Il est très content d’avoir partagé ce moment avec l’homme aux 19 Grammy Awards. «Yo-Yo Ma est un violoncelliste et ce n’est pas très connu ici mais le sabar peut accompagner des instruments toutes sortes. Quand il est arrivé, je lui ai dit de juste jouer et qu’on allait suivre. C’est comme ça qu’on a fait cette magnifique improvisation», révèle-t-il avec un grand sourire. Après ce moment de partage, ce sont les danseuses urbaines qui prennent possession du cercle de danse. A leurs façons, elles répondent aux vibrations des tam-tams par des mouvements de bras et de jambes sous le regard amusé de l’hôte du jour. Pour suivre la tradition, le musicien va même sacrifier au cérémonial du Woyane. Une liasse de Cfa a la main, il fait le tour des batteurs en gratifiant chacun d’un billet non sans l’accompagner d’une petite courbette.
Engagé dans une tournée internationale dénommée Bach Project, Yoyo Ma s’est arrêté à Dakar comme il l’a déjà fait ou le fera dans chacune des 36 étapes de cette tournée. «36 concerts, 6 continents, 36 journées d’action, explorer comment la culture nous lie», telle est la devise qui s’est forgée autour de cette tournée. Pour l’étape sénégalaise, l’Association Genji Hip Hop, qui regroupe des artistes femmes des cultures urbaines, a organisé une journée de mobilisation autour de la dépigmentation. «Faire la sensibilisation sur la dépigmentation est compliqué parce qu’on ne veut pas frustrer les femmes mais on veut quand même qu’elles aient les bonnes informations, qu’elles retrouvent cette confiance qu’elles ont perdue et qui les pousse à se dépigmenter», explique Wasso Tounkara, présidente de Genji. La collaboration avec l’artiste français d’origine chinoise s’est matérialisée sous la forme d’un yendu, un après-midi de discussion sur la dépigmentation avec un dermatologue et l’artiste Mina la voilée.

Samira Fall
Après ce moment de mobilisation sociale, Yo-Yo Ma a prévu de faire une prestation avec la slameuse Samira Fall. «C’est la première fois que je vais jouer avec un violoncelliste et c’est un honneur. Yoyo Ma est un artiste international et s’il vient collaborer avec l’association et permettre à certaines artistes de jouer avec lui, ça permet de s’ouvrir aussi au monde», se réjouit Samira Fall, chargée de la communication de l’association et artiste slameuse. «Les collaborations nous permettent de grandir. Yo-Yo Ma est une personne très humble, très ouverte et qui veut aussi découvrir d’autres cultures. Moi j’apprends beaucoup de la musique classique et lui apprend de ma culture africaine», explique la slameuse. Depuis août 2018, l’artiste sillonne le monde pour interpréter les six suites pour violoncelle de Johann Sébastian Bach. Cette musique est parmi les premières que Yo-Yo a jamais apprises quand il a commencé à jouer du violoncelle à l’âge de 4 ans, révèle le site internet de l’artiste. «Le projet est motivé non seulement par sa relation de six décennies avec la musique, mais aussi par la capacité de Bach à parler à notre humanité partagée à un moment où notre conversation civique est si souvent axée sur la division.» A chacune de ses étapes, le musicien a à cœur de mener des projets avec les artistes locaux. Avant la Médina, Yo-Yo Ma a rencontré des artistes sénégalais et il s’est aussi rendu à Gorée pour une discussion avec les élèves de la Maison d’éducation Mariama Ba.

Concert au Grand Théâtre
Il était 20h 27 minutes quand les premières notes ont empli la salle du Grand Théâtre qui, pour l’occasion, a affiché le plein. Plusieurs minutes après, un tonnerre d’applaudissements vient saluer cette première suite de Bach. Les autres s’enchaînent au plus grand plaisir du public. Mais aussi de l’artiste qui a pris la peine d’apprendre quelques mots de wolof. «Salamalekoum, Jerejeuf Sénégal, beug nala» (Bonjour Sénégal), dit-il avant de dédier la 3e suite à l’esprit de partage et d’ouverture du Sénégal. Yo-Yo Ma va finir sa prestation en apothéose en invitant à ses côtés, la chanteuse Mamy Kanouté et le joueur de kora, Noumoucounda Cissokho.