Ce fut une véritable guérilla sur l’ile de Ngor. Au lendemain des échauffourées ayant opposé les jeunes aux gendarmes, pendant quasiment toute la journée, les efforts se multiplient pour régler la situation. Mais les jeunes ne semblent pas adhérer, pour le moment, aux propositions de l’État. Par Alpha SYLLA  –

Après une dure journée d’affrontements, la tension se dissipe à Ngor. Hier, le village et aussi gardaient encore les stigmates des violents affrontements du mardi. A Yoff, le restaurant Le Baron est complètement calciné. Alioune Ndoye, portier au centre de santé Diogali Moussé Samb de Ngor, a vécu mardi une journée mémorable. En effet, il a subi la furie des manifestants qui s’opposent à un projet d’implantation d’une gendarmerie sur l’espace que les jeunes de cette localité «réserve pour la construction d’un lycée». Quand les pierres et les gaz lacrymogènes ont commencé à pleuvoir sur la route principale à proximité de l’établissement, il a été contraint de fuir pour se réfugier dans l’enceinte du centre. Témoin des violents affrontements ayant causé plusieurs victimes (un mort et plusieurs blessés), il a été le spectateur impuissant, obligé d’avaler de la fumée et d’inhaler l’odeur du lacrymogène qui se dégagées des affrontements. « Nous avons vécu un véritable enfer hier (mardi). C’était vraiment difficile pour moi mais aussi pour les malades », avoue-t-il.

Contrairement à lui, Chérif Barry, commerçant, âgé d’une trentaine d’années, tient une boutique d’alimentation générale sur la route principale de Ngor. A la mi-journée, ce commerçant a été contraint de fermer son échoppe. Sous la pression, car voyant les manifestants foncer droit vers l’endroit où se situe sa place, il oublie de faire rentrer sa caisse remplie de sachets d’eau. De retour le lendemain à 7h, il ne trouve que la caisse, vide, puis, brulée. Ainsi, pour éviter pareille situation, il encombre tout dans l’étroite place qui constitue sa boutique. « Depuis hier (lundi 12h), je n’ai rien vendu. Personne n’a pris le risque d’ouvrir sa boutique. C’est vraiment un grand manque à gagner pour nous alors qu’on doit payer la location, l’eau et l’électricité », témoigne-t-il. Il est interrompu par un jeune apprenti maçon, venu trouver un petit-déjeuner et qui dénonce «l’hypocrisie du boutiquier». Comme Chérif, nombreux sont les commerçants qui ont vécu une après–midi compliquée ce mardi à cause des affrontements prolongés entre gendarmes et jeunes autochtones. Moussa, taxi man, a stationné son véhicule au niveau du rond-point devant la Brioche d’orée, objet du litige. Derrière lui, se tient un impressionnant nombre de gendarmes. « Tu vois, ces gendarmes, s’ils n’avaient pas là, on n’allait même pas être ici. Hier toute la journée presque, je n’ai pas travaillé. J’étais obligé de quitter Ngor pour avoir quelques pièces », dit-il.

Les activités reprennent timidement mais tout le monde n’a pas le sang-froid. Amy Ndiaye, la cinquantaine, teint noir, est assise sur un banc devant son étal de fruits. Elle a « pris toutes ses dispositions pour ne pas être surprise aujourd’hui ». Elle a installé sa marchandise près du centre de santé mais avec la peur au ventre. Elle déclare, la mine timide : « Je comprends la colère des jeunes mais saccager les biens des gens n’est pas élégant. Je n’ai beaucoup étalé aujourd’hui mais j’étais obligé de venir parce que c’est ici que je gagne ma vie.»`
«Cette affaire ne fait que commercer»

La route principale, menant à l’intérieur du village garde toujours les stigmates des évènements survenus. Des restes de pneus et planches brûlés, des débris de pierres et de pavés font le décor des rues. A quelques dizaines de mètres du centre de santé, un important dispositif sécuritaire est mis en place. Des gendarmes armés jusqu’aux dents veillent sur les entrées et les sorties. Les heures passent, les effectifs s’accumulent. A quelques kilomètres d’en face, des hommes et femmes s’attroupent. Vêtu de t-shirt blanc, barbe de graine, Fallou Guèye se démarque de la foule, murmurant des propos assez fermes. « Jamais, on n’acceptera de partager nos terres. Cette affaire ne fait que commencer. Si l’État veut vraiment la paix, qu’il donne l’ordre aux gendarmes de se retirer. Ngor a des priorités à la tête desquelles il y a la construction d’un lycée. Nous enfants étudient à Yoff ou Ouakam. C’est inacceptable et inadmissible dans une ville comme Ngor», affirme-t-il, d’un ton ferme articulé dans un français parfait. Pourtant il est ressorti de la rencontre entre le chef de l’État et les notables et dignitaires de Ngor quelques mesures visant à calmer les ardeurs des manifestants mais surtout satisfaire certaines doléances des habitants de Ngor. Ces mesures concernent entre autres le partage du terrain de 6 mille m2 en deux entités égales, le recrutement de jeunes de Ngor dans le programme Xeyu Ndaw-ni et la construction et l’équipement d’un lycée, principale revendication des habitants de cette localité léboue. Aussi, le Maire de Ngor, Maguèye Ndiaye, après une audience avec le chef de l’État, est-il revenu sur la situation qui prévaut dans sa commune. Il a invité les «frustrés» au dialogue et a promis de garder le contact avec les jeunes, tout en continuant à mettre en place des actions qui ont pour but de consolider la paix dans cette localité. Et mobiliser les jeunes à participer à la construction nationale. Des propositions que les jeunes ne partagent pas, toutes. Le point de discorde reste, effet, le partage du terrain devant abritant le lycée et la gendarmerie. Fallou Guèye : « la gendarmerie n’a pas sa place ici. Ce n’est pas une priorité. L’État a tout pris. Il ne reste que cet espace. Pourquoi l’État n’érige pas un camp de gendarmerie dans l’ancien aéroport de Yoff ? », se demande-t-il. « Nous sommes prêts à nous battre jusqu’au dernier Ngorois mais il n’est pas question de céder 1cm », fait savoir de son côté, Baye Mor, jeune manifestant à la posture d’un lutteur.

Pour le moment, la situation est revenue à la normale. Mais les jeunes restent inflexibles sur la question du partage de terrain et l’implantation d’une gendarmerie dans la localité.