Cette tendance fâcheuse à vouloir imposer dans les esprits et dans le fonctionnement du pays, une dyarchie avec un Exécutif à deux têtes est le plus grand drame qu’on pourrait regretter. Il est vrai que l’Exécutif actuel est le fruit d’une force politique s’étant présentée comme un tandem pour répondre aux problèmes et sollicitations des Sénégalais, mais le flou entretenu actuellement dans la conduite des affaires publiques, avec un président de la République qu’on cherche à reléguer au second plan ou qu’on voudrait mettre derrière une locomotive conduite par un Premier ministre, est déplorable, fut-il son mentor politique. Les débuts d’hostilité que se livrent les deux tendances du pouvoir actuel, avec les loyalistes du président de la République et les obligés de son Premier ministre, ont de quoi chagriner tout citoyen soucieux d’une marche cohérente de notre République et d’une consolidation de la démocratie. Le pire est à craindre, avec un basculement dans une crise rappelant des heures tragiques de notre construction nationale.
Il n’est donc pas de trop que dans le débat public, la notion de dyarchie soit de plus en plus convoquée pour qualifier l’état de fait dans lequel nous sommes en train de tendre d’un pas déterminé sur son objectif, mais hésitant dans sa cadence. De façon théorique, la dyarchie est en Droit constitutionnel, un régime politique où le pouvoir est l’apanage de deux pôles, deux groupes ou deux responsables hiérarchiquement égaux, mais avec des attributions spécifiques. Dans la dyarchie, le Pouvoir exécutif est partagé et il s’exerce conjointement, sans qu’un des pôles ou responsables ne soit supérieur à l’autre. N’a-t-on pas entendu notre Premier ministre regretter ne pas être aux manettes pour mettre le pays sur les bons rails ? Ses complaintes de n’avoir pas les coudées franches peuvent-elles être lues comme un appel à scinder le pouvoir en transformant la station primatorale en une sorte de vice-présidence ? Je ne souhaiterais pas vivre un jour dans un Sénégal où les compétences du président de la République seraient fractionnées ou qu’il y aurait dans le dispositif une autre tête équivalente le concurrençant dans certaines prérogatives, bien que les domaines d’intervention soient différents. Quelle cacophonie ne vivrait-on pas dans un pays où tout mouvement, toute initiative, tout projet trouve, dans la pratique, les contours de fans clubs où chacun valorise les qualités de son champion, en tenant peu compte de l’intérêt général !
Moustpha Diaw, président du mouvement Racines socialistes, a publié une réflexion intéressante lorsqu’il s’exprimait sur le «spectre du bicéphalisme». Jugeant que le Sénégal mérite d’avoir un Etat fort plutôt que de voir deux chefs cohabiter à sa tête, le responsable de Racines socialistes soutiendra que «l’équilibre institutionnel est mis à rude épreuve», invitant le chef de l’Etat à se départir du rôle actuel «d’arbitre invisible» gérant tout par un silence impassible. «Gouverner, c’est aussi affirmer une vision, fixer une direction, rappeler les limites», dit Moustapha Diaw. On ne saurait être plus en accord. La Constitution du Sénégal ne fait pas de notre présidence de la République une fonction honorifique. C’est une position de pleins pouvoirs où il y a des décisions à prendre, une ligne à conduire, une vision à donner et des engagements à prendre pour le Peuple et en son nom. Un président de la République du Sénégal doit assumer toutes ses prérogatives régaliennes, et il ne doit avoir de maître que sa propre conscience, afin de rendre un service sincère et lucide, en faisant des préoccupations de tous ceux qu’il dirige un sacerdoce. On ne demande pas au président de la République de préserver des amitiés ou d’éviter de frustrer des compagnons de la première heure. On lui demande d’occuper pleinement son siège en étant l’interlocuteur de tout un Peuple, le porteur de tous les espoirs, le dissipeur de toutes les terreurs et le réceptacle de toutes les peines et angoisses. Les solutions et réponses pourront être là ou pas, mais cette autorité au-dessus de la mêlée, qui nous représente tous et vers laquelle nous devons nous projeter, doit être incarnée. Les pays qui ont tenté la carte du «Président normal» souffrent jusqu’à ce jour du laxisme et de la dissonance qu’aura créés un pouvoir refusant de s’assumer.
Il y a toujours eu dans ce pays un discours critiquant le présidentialisme fort avec les régimes précédents, au point de l’assimiler à un hyper-présidentialisme avec un chef de l’Etat trônant sur tout. Les occasions n’ont pas manqué d’attaquer la toute-puissance de la figure présidentielle, en souhaitant diluer ses pouvoirs ou en lui dressant des contre-pouvoirs parmi les plus inédits. La Société civile, des intellectuels et des opposants se sont toujours plu à ce jeu de flageller la station présidentielle. Assises, colloques, pamphlets, ouvrages, ce qui a été fait pour dénoncer la supposée toute puissance des chefs de notre Exécutif est énorme. Aujourd’hui, nul ne souhaiterait voir un Président dépassé par un quelconque membre de son Cabinet en autorité, fusse-t-il un Premier ministre qui aura servi de tremplin lors d’une élection. La reconnaissance et la gratitude se gardent entre camarades de parti, mais l’incarnation de la puissance publique et des prérogatives présidentielles ne doit être que l’apanage exclusif d’un seul être. Je suis de ceux qui sont militants d’un présidentialisme plus que fort, avec un président de la République clé de voûte des institutions, chef suprême des armées, premier et dernier responsable de la gestion de notre Etat et de la conduite des prérogatives communes.
Le phrasé populaire nous dit toujours : «Sénégal bénn bopp lë» (le Sénégal n’a qu’une tête) pour nous rappeler la nature une et indivisible de ce pays. Cette tête ne mérite qu’un seul capitaine, et son gouvernail ne doit être tenu que par une personne à laquelle le Peuple aura fait confiance en lui accordant son suffrage. Une pirogue avec deux capitaines tenant la barre n’ira guère loin, cette vérité l’est autant en pays lébou, séréer que pulaar. A ce que je sache, le Sénégal n’a pas opté pour un guide suprême et jamais un chef (leader) du chef absolu ne sera consacré. Le chef reste le président de la République, le collier aux treize médaillons avec les sceaux de notre République, l’étoile, le baobab et le lion, n’est passé qu’à son seul cou. Pour l’heure, le drapeau du Sénégal porte les initiales du nom de Bassirou Diomaye Faye. Autant un chef peut être humble ou essayer de ne pas verser dans ce qui ne le grandit pas, autant il doit être respecté dans tout son être pour ce qu’il représente pour nous tous. Une sagesse ivoirienne dit qu’un chef reste un chef même en sandales, les détracteurs du président de la République dans son camp doivent s’éduquer de ces mots.
Il y a une décence républicaine à lui donner la déférence qui sied, il y a un honneur à respecter sa fonction. Il y va de la survie de notre République. Il y va de la poursuite dans la prospérité et dans la longévité d’une certaine idée du Sénégal. A ceux qui veulent d’un Lion à deux têtes, l’heure est venue de leur rappeler que ce rêve ne sera pas réalité au Sénégal. Le seul chef dans ce pays reste le président de la République !

Par Serigne Saliou DIAGNE – saliou.diagne@lequotidien.sn