Au lendemain des élections législatives du 30 juillet 2017, le constat de la nécessité d’une meilleure organisation de notre système démocratique était unanimement partagé. Nous écrivions dans une chronique, intitulée «Le carton jaune des urnes», que «la première leçon sera sans doute d’établir de nouvelles règles de participation aux élections nationales. 47 listes étaient en compétition et les résultats montrent à suffisance que pas plus de cinq d’entre elles n’avaient la dignité ou la représentativité pour briguer les suffrages des électeurs. Les résultats du vote parlent d’eux-mêmes. (…) Dès lors, il conviendrait de mettre en place des critères rigoureux de sélection des candidatures en compétition pour éviter la situation inédite de voir des listes les plus farfelues. Des dépenses importantes ont été engagées inutilement, aux frais du contribuable. Pourra-t-on continuer à éluder cette question ? Assurément non !» En effet, les électeurs étaient rebutés pour ne pas dire dégoutés par la classe politique. Le débat a été posé. L’opposition au Président Macky Sall justifiait sa défaite. Elle persiflait, considérant que la plupart des listes étaient suscitées par le camp de Macky Sall, dans l’objectif de disperser les voix des électeurs. Le mode de scrutin, majoritaire à un tour, favoriserait dans une telle situation la coalition au pouvoir. Tout le monde se disait donc d’accord pour revoir les règles du jeu. Ainsi, les évaluations du processus électoral, faites par les différents acteurs, tombaient sur la même conclusion.

Pour dialoguer, il faut être deux
La Commission électorale nationale autonome (Cena) avait déploré les conditions dans lesquelles le scrutin du 30 juillet 2017 s’était déroulé et avait attiré l’attention sur la nécessité de travailler à une certaine limitation ou une rationalisation du nombre des candidatures aux élections nationales. Dans la foulée, l’invitation à une évaluation du processus électoral par le ministre de l’Intérieur, Aly Ngouille Ndiaye, avait été déclinée par une bonne frange de l’opposition. Le refus de celle-ci tenait à la personne du ministre de l’Intérieur, non pas parce que Aly Ngouille Ndiaye avait été responsable de la piètre organisation des élections de juillet 2017, car il n’était pas ministre de l’Intérieur (c’était plutôt Abdoulaye Daouda Diallo). L’opposition exigeait que la responsabilité de l’organisation des élections soit confiée à une personnalité apolitique. Elle n’avait eu de cesse de récuser Abdoulaye Daouda Diallo au poste de ministre de l’Intérieur. La mauvaise organisation du scrutin lui avait donné encore du grain à moudre. Sans doute qu’il aurait été peut-être plus logique d’aller à la table de discussions pour faire ressortir cette exigence dans les conclusions, mais l’approche a été de poser cette condition comme un préalable à toute discussion. Le Président Macky Sall n’a pas voulu accepter que des préalables lui soient imposés. Qu’à cela ne tienne, devant la situation où l’opposition dite «significative» continuait de boycotter les discussions sur le processus électoral, le chef de l’Etat qui avait constaté le refus de cette même opposition à le rencontrer lui-même avait fini par accéder à la demande. Ainsi, une personnalité présentée comme «neutre» avait été désignée pour conduire le dialogue politique. Abdoul Aziz Ba n’aura pas plus de succès que Aly Ngouille Ndiaye. De nouvelles exigences ont été brandies. L’opposition posa comme nouveaux préalables le règlement politique des cas Karim Wade et Khalifa Sall. Force est de dire que de telles exigences étaient impossibles à satisfaire pour un régime politique qui se voudrait tant soit peu démocratique. Le seul ressort sur lequel le Président Macky Sall avait toute la latitude de jouer concernant Karim Wade était de lui accorder une grâce. Ce qui était déjà fait depuis le 24 juin 2016. Seulement, pour faire revenir Karim Wade dans le jeu politique, pour que son éventuelle candidature à une élection nationale puisse être recevable, il faudrait l’adoption d’une loi d’amnistie. Sans doute que le camp de Macky Sall n’a pas trouvé opportun d’initier un tel projet. Mais curieusement, l’opposition n’a pas daigné prendre une initiative allant dans le sens de déposer un projet de loi d’amnistie sur le bureau de l’Assemblée nationale. D’ailleurs, qu’est-ce qui dit que tous les députés de l’opposition allaient souscrire à une pareille proposition de loi, car on avait vu des leaders de l’opposition protester contre la grâce accordée à Karim Wade ? En tout état de cause, les responsables de l’opposition sont certainement conscients qu’une telle démarche serait infructueuse. De même, sur la situation de Khalifa Sall, emprisonné dans le cadre d’une procédure judiciaire, on ne voit pas comment le Président Macky Sall pourrait le faire libérer avant que la procédure judiciaire n’arrive à son terme. Faire la moindre déclaration sur ce dossier ou prendre une quelconque initiative apparaîtrait comme une immixtion inacceptable du pourvoir exécutif dans une procédure judiciaire. Le cas échéant, on verrait bien l’opposition crier au scandale et cela accréditerait toutes leurs accusations de manipulation des institutions judiciaires par le pouvoir exécutif.
On constate ainsi que les demandes formulées par l’opposition ne sauraient être recevables. De guerre lasse, Abdoul Aziz Ba avait été obligé de conduire ses consultations, sans la participation effective de l’opposition dite «significative». Il n’en demeure pas moins que les acteurs qui avaient pris part aux discussions en étaient arrivés à la conclusion de la nécessité de changer les règles de participation aux élections nationales. La proposition du parrainage, comme celle d’augmenter fortement le montant de la caution financière, n’avaient pu obtenir un consensus. La concertation nationale a indiqué dans ses conclusions s’en référer à l’arbitrage du chef de l’Etat.
Dans son arbitrage, le Président Macky Sall a refusé de donner une suite à la proposition de ses partisans qui exigeaient que la caution à l’élection présidentielle soit fixée à 100 millions de francs Cfa. Sans doute que le Président Sall voulait éviter de faire en sorte que notre système démocratique devienne censitaire. On se rappelle que le Président Abdoulaye Wade avait procédé de la sorte en fixant la caution à 70 millions de francs Cfa pour décourager les candidatures fantaisistes. Les critiques avaient été faites que c’était un moyen pour le camp du Président Wade de se choisir ses adversaires dont il aurait même payé la caution. De toute façon, on a fortement présumé que l’origine de certaines cautions versées par des candidats aux élections présidentielles de 2007 et de 2012 n’était pas licite.
Le Président Sall décida donc de généraliser le système du parrainage qui était réservé aux seules candidatures indépendantes. Un minimum de 1% des électeurs inscrits était exigé des candidatures à l’élection présidentielle. La proposition a suscité un tollé au sein de l’opposition et la tension politique est montée d’un bon cran. D’aucuns ont pu penser que les deux positions étaient inconciliables, à savoir, d’un côté, la demande de renonciation purement et simplement à toute idée de parrainage et, d’un autre côté, la volonté d’instaurer un système de parrainage pour tous les candidats.
C’est dans un tel contexte qu’une personnalité de la société civile, Alioune Tine, demanda à rencontrer le Président Macky Sall en vue d’appeler à la reprise du dialogue politique sur cette question cruciale du parrainage. Il ressort des déclarations de Alioune Tine que le Président Sall a accordé une oreille attentive à sa demande de dialogue et s’est dit ouvert. Seulement, il demandait à Alioune Tine d’amener l’opposition à faire une contre-proposition sur cette question, avant que l’Assemblée nationale, déjà saisie du projet de réforme, n’ait à délibérer. Le camp des adversaires du système de parrainage a opposé une fin de non-recevoir à la demande, arguant un retrait du projet de loi comme préalable. Dans le même temps, le ministre de la Justice, le Pr Ismaïla Madior Fall, qui devra défendre le projet devant les députés, indiqua que le «pouvoir est même ouvert à envisager une baisse du nombre d’électeurs exigés, si tant est que le taux de 1% exigé apparaissait trop élevé aux yeux de l’opposition». Un groupe d’organisations de la société civile d’engager la même démarche que Alioune Tine. Le Président Sall préconisera le calme et la sérénité et lança un appel à la paix et au dialogue. Les organisations de la société civile se disaient optimistes, mais l’opposition réitéra son refus en disant, cette fois-ci et sans ambages, n’accepter de rien discuter avec le Président Macky Sall qui ne «respecte pas ses engagements».

Le 19 avril 2018 sera le premier tour de la Présidentielle de 2019
L’opposition bat le rappel de ses troupes pour empêcher l’examen des projets de loi sur la réforme du système électoral. La situation passe pour être grosse de dangers, de heurts et de tumultes. Il faut dire qu’un rapport de forces s’impose. Si l’opposition a les moyens d’imposer au pouvoir de Macky Sall un rapport de forces le contraignant à retirer le projet de réformes, elle aura remporté un grand coup politique. Le cas échéant, on peut considérer que ce sera le glas pour le régime du Président Macky Sall. On ne voit pas cette opposition, confortée ou ragaillardie par un succès aussi éclatant, ne pas pousser le camp du pouvoir dans ses derniers retranchements. Quelles réponses le camp du pouvoir va-t-il apporter à ce défi ? On attend de voir, car il s’agira d’une étape cruciale, un tournant décisif dans la perspective de la prochaine élection présidentielle. Il ne serait pas exagéré, comme le pensent déjà certains analystes politiques, que «la Présidentielle de 2019 se jouera déjà le 19 avril 2018». Il reste que tous les ingrédients pour provoquer une situation insurrectionnelle sont réunis. C’est un secret de Polichinelle que l’opposition, notamment le Parti démocratique sénégalais (Pds), donne des moyens importants à ses militants pour créer une situation de confrontation qui pourrait basculer dans des violences. Les autorités de l’Etat ne peuvent ignorer de telles menaces à l’ordre public et la sécurité des citoyens et surtout sur la stabilité des institutions. Il est donc de leur responsabilité de prendre toutes les dispositions nécessaires pour les endiguer. La même situation avait déjà été vécue quand Abdoulaye Wade et ses partisans avaient menacé de «brûler Dakar», au cas où le verdict de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) qui devait être rendu le 23 mars 2015, devait être défavorable à Karim Wade. Le gouvernement avait pris la mesure de la gravité de la situation et avait pris toutes les dispositions pour faire face aux périls. La paix civile, l’ordre public et l’autorité des institutions publiques légitimes avaient été saufs. Le 19 avril 2018, on n’attend pas moins du gouvernement. L’opposition a-t-elle appris de son échec du 23 mars 2015 pour brandir, avec un certain aplomb, des menaces de «dégager Macky Sall le 19 avril 2018», comme l’annonce Idrissa Seck du parti Rewmi ? Cette déclaration constitue l’aveu d’un projet insurrectionnel, c’est-à-dire d’arracher le pouvoir des mains du Président Macky Sall par des moyens autres que le suffrage universel, seul légitime pour la dévolution du pouvoir au Sénégal. On verra bien le 19 avril 2018, si le pouvoir restera droit dans ses bottes et se révélera capable de protéger notre système démocratique. L’opposition n’en est pas à son premier défi. Le 14 octobre 2016, la coalition politique Manko wattu senegaal voulait marcher contre le pouvoir de Macky Sall, mais avait tenu coûte que coûte à investir la Place Washington, siège du ministère de l’Intérieur, en dépit d’un arrêté interdisant des manifestations dans le secteur dit «de sécurité de la présidence de la République». La police a su imposer le respect strict des lois et règlements. Cela a systématiquement été le cas les autres fois où la même bravade avait été faite par les responsables de l’opposition.

N’insultons pas le symbole du 23 juin !
Dans leur communication, les partis de l’opposition évoquent leur volonté de rééditer «le coup du 23 juin 2011». Il convient de s’arrêter un instant pour chercher à savoir l’identité de ceux qui revendiquent cette date qui marque, à l’encre indélébile, les annales politiques du Sénégal. Le 23 juin 2011 était une marche pacifique devant le Parlement pour protester contre le projet de réforme de la Constitution, initié par le Président Abdoulaye Wade, pour mettre en œuvre son projet de «dévolution monarchique du pouvoir». Les Sénégalais s’étaient mobilisés en masse, les mains nues, pour faire entendre leur désapprobation. Devant l’ampleur de la mobilisation, le Président Wade avait battu en retraite et retiré son projet de réforme. Mais quelle légitimité les gens qui avaient prôné, soutenu, défendu le projet de Abdoulaye Wade pourraient-ils avoir pour vouloir revendiquer cette glorieuse victoire du Peuple ? Il semble important que les acteurs qui prennent référence sur le «23 juin» nous disent leur posture lors de cette autre étape déterminante dans la consolidation de notre système démocratique. Il ne saurait être acceptable d’usurper le symbole du 23 juin, encore moins de le souiller.
Il s’y ajoute que les paradigmes ne sont pas les mêmes : le 23 juin 2011, l’enjeu était l’avenir de notre système démocratique, on peut même dire l’avenir de notre pays, alors que le 19 avril 2018, il se jouera l’avenir de certains hommes politiques. Des hommes politiques qui ont besoin de rester dans un système politique où n’importe quel «gus», sans aucun critère de représentativité, pourra être détenteur d’un récépissé d’un parti politique qui l’autorise à le louer, moyennant des espèces sonnantes et trébuchantes, à n’importe quel candidat pour briguer la haute fonction de président de la République. Encore une fois, comment peut-on prendre au sérieux un candidat à la présidence de la République qui ne peut même pas mobiliser 1% du fichier électoral ? Et puis, qu’on nous cite un seul pays démocratique au monde où n’existe pas un système de parrainage pour les candidatures aux fonctions de chef de l’Etat !