«Certes nous avons honoré les fils d’Adam. Nous les avons transportés sur terre et sur mer, nous leur avons attribué de bonnes choses comme nourriture, et nous les avons nettement préférés à plusieurs de nos créatures.» Coran sourate 17 verset 70
Ceux qui sont partis par les mers, Noé, Ulysse, Bakary II, Oumar Ibn Saïd, Ayuba Souleymane Diallo, Ahmadou Bamba, le grand Cheikh Hamallah dont l’histoire est encore à raconter, et toutes les grandes figures inconnues, méconnues, ignorées ou oubliées ont perpétué les grandes vertus et la patience permanente à leurs manières différentes et selon des fortunes particulières. Ils ont vogué à bord des tristes caravelles, tous autant qu’ils sont de la grande famille de l’humanité, ils ont eu le souci du métissage et de la quête universelle. C’est une force implacable que de partir par la mer qui pendant une période immémoriale a recouvert presque la terre entière. Le souci de la mer, le pied marin, l’intrigue et la fascination magique du moutonnement infini de la mer, peuplée d’êtres multiples, de créatures étranges sont l’un des grands fantasmes de l’homme. Mais il est des départs inénarrables, des «partir» aux senteurs de parturientes, des adieux qui ne nous mènent pas à Dieu, mais entre les mains des hommes qui sont les vrais démons qui n’attendent pas trois heures du matin pour sortir. La Traite négrière s’est faite à midi par des démons de midi «sur les routes de Midi» ! Autant dire en plein jour.
Oumar Ibn Saïd est certainement de ces grandes âmes prédestinées. Il était naturellement surpris et interloqué d’être capturé et vendu à des brigands marchands d’esclaves et des Nassaras qui ne savaient rien de sa culture d’origine. Il écrira plus tard une autobiographie d’une tristesse larmoyante, pleine de nostalgie et de regrets, le déracinement est la pire des tortures : «Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. Remerciement à Dieu, pour sa bonté, sa générosité et ses bienfaits. Je ne peux écrire ma vie, ayant beaucoup oublié de ma langue ainsi que de celle des Arabes. De plus, je ne maîtrise qu’un peu la grammaire et le vocabulaire. Oh mes frères, je vous le demande, au nom de Dieu, ne me blâmez pas pour mes yeux qui sont faibles au même titre que mon corps. Mon nom est Omar ibn Saïd ; mon lieu de naissance est Fouta-Toro, entre les deux rivières… Là vint une grande armée dans notre pays. Ils ont tué beaucoup de personnes. Ils m’ont capturé, et emmené dans l’océan, et vendu aux mains d’un chrétien qui m’a acheté et emmené en bateau dans l’océan. Nous avons voyagé dans l’océan pendant un mois et demi jusqu’à ce qu’on arrive à un endroit appelé Charleston.» Personne ne peux imaginer la fracture morale et les blessures internes d’un homme qui durant toute sa vie a été éduqué selon le précepte et la philosophie de «Wa la qad karam-naa Banii Adama» (Certes nous avons honoré les fils d’Adam). Tombé par malchance entre les mains d’un méchant propriétaire d’esclaves, il subira les pires maltraitances. Il s’enfuit vers le nord plus «clément», aperçoit au loin une maison de Dieu, une église, attiré par les effluves divines, cet impérieux besoin musulman de prier, advienne que pourra, il entre dans le temple et innocemment il va être capturé dans la maison de Dieu. Il faut dire que des esclavagistes étaient nombreux à l’époque, comme ce fameux Charles Lynch d’où est tiré le verbe anglais to lynch issu de The Lynch law («la loi de Lynch»).
Il finira entre les mains du général James Owen de Bladen County, son propriétaire jusqu’à sa mort en 1864, à l’âge de 94 ans. Oumar Ben Saïd a disparu la même année où El Hadji Oumar Al Foutihou s’est éthéré à partir des falaises de Bandiagara. Il aurait été pris à l’époque où les puissantes armées bambaras du Kaarta ont attaqué le Fouta sous le magistère du preux Almamy Abdel Qader Kane, c’est en cette même année 1807 que l’Almamy a été assassiné.
A ceux qui sont partis par les mers, la terre, le désert et ses sables mouvants la terre-mère pleure encore le voyage forcé !