Portrait – Mamadou Badio Camara, président du Conseil constitutionnel : Temps de «Sage» !

Mamadou Badio Camara, mort hier à 73 ans, qui fait partie des rares magistrats à avoir dirigé la Cour suprême et le Conseil constitutionnel, a marqué la fin de sa carrière par de fortes décisions sur la Présidentielle, contraignant le Président Sall à organiser le scrutin le 24 mars 2024.Par Bocar SAKHO-
Mamadou Badio…, caméra à la main, a zoomé sur les vrais pouvoirs du Conseil constitutionnel en 2024. En tant que «Sage», il a éclaboussé, avec les 6 autres membres, la dernière Présidentielle, avec des décisions inédites. Accusé de corruption par Karim Wade, le Conseil constitutionnel assiste de manière calme au report de la Présidentielle initialement prévue le 25 février 2024. Le président de la République, en abrogeant le décret convoquant le corps électoral, avait motivé sa décision par la crainte d’une installation d’une crise institutionnelle. Avec des décisions inédites, le Conseil contraint Macky Sall à organiser l’élection au 24 mars, après un premier report. Alors qu’il voulait qu’elle se tienne le 15 décembre 2024. L’ex-chef de l’Etat relativisait cela avec une simple formule : «Dialogue des institutions.» C’est l’expression de résignation d’un chef d’Etat esseulé et sans réels leviers durant un mandat finissant pour justifier une mesure exceptionnelle.
Décisions sur la Présidentielle
Au final, tout est bien qui finit bien. Au terme d’une campagne courte, précédée de violences et d’une loi d’amnistie, la Présidentielle se tient dans la transparence. Et apaise tout un pays, qui a longtemps dansé au bord de l’abîme. Vêtu de sa toge de «Sage», Mamadou Badio Camara reçoit le serment de Bassirou Diomaye Faye, le 2 avril 2024. Ce jour-là, il s’est fait un point d’honneur sur cette situation, qui a mis en lumière la toute-puissance des 7 «Sages» dans un Etat où l’Exécutif dévore tout. «L’élection présidentielle, qu’on croyait définitivement compromise, a pu se tenir, même dans un délai réduit, sans qu’aucune irrégularité de nature à altérer la crédibilité du scrutin n’ait été notée. Le vainqueur a été clairement identifié dans les heures qui ont suivi la fermeture des bureaux de vote et les félicitations des autres candidats ont suivi dans la foulée.» Le président du Conseil constitutionnel mesurait le chemin parcouru : «Cela tient presque du miracle, sauf à relever que nos institutions, loin d’être en crise, tiennent debout, dans le cadre de la Constitution, expression la plus achevée de la volonté populaire.» Pour lui, «le Conseil constitutionnel, face à ceux qui ont tenté de le déstabiliser par des moyens non conventionnels, a, au nom du Peuple, dit le Droit sans haine ni crante». Fort de ce constat, Mamadou Badio Camara a voulu voir le verre à moitié rempli. «Le président de la République et son gouvernement, tout comme l’Assemblée nationale, ont toujours accepté de se soumettre à nos décisions. C’est dire qu’il n’y a pas une crise institutionnelle, mais une volonté commune de ne jamais sortir du cadre délimité par la Constitution», affirmait-il.
Procureur général et Premier président de la Cour suprême
Pour lui, cet épisode, à la fois anxiogène et inédit, a permis à tout un pays de puiser dans ses ressorts pour montrer toute sa grandeur. Alors que tout le monde redoutait le pire pour le Sénégal dont les fondations tiennent grâce à sa réputation démocratique et sa tolérance légendaires. Oui, O pays, mon beau Peuple, avait écrit Sembène Ousmane. «Chaque fois que le pire est prédit au Sénégal en raison de fortes tensions et d’animosités exacerbées, les Sénégalais arrivent toujours à retomber sur leurs pieds, comme si de rien n’était (…) le secret est dans le bulletin de vote», encensait le président du Conseil constitutionnel, qui a demandé aux Sénégalais d’avoir confiance en leur pays.
Le 2 avril 2024 a permis à Mamadou Badio… de promener sa «Camara» personnelle au cœur du Conseil constitutionnel, moqué souvent pour son «incompétence».
Ce poste est un extra pour sa carrière, car il devient juge constitutionnel après sa retraire dans la Magistrature.
Décédé hier à l’âge de 73 ans, Mamadou Badio Camara sera inhumé au Cimetière musulman de Yoff ce vendredi. C’est la fin d’une vie à servir la Magistrature pour le président du Conseil constitutionnel. Son ombre a traversé la Justice sénégalaise pendant plusieurs décennies en atteignant le sommet de la pyramide à deux reprises : la Cour suprême et le Conseil constitutionnel.
Mamadou Badio Camara… suivit ainsi les traces de Pape Oumar Sakho. Après lui avoir succédé à la tête de la Cour suprême, il le remplaça à la présidence du Conseil constitutionnel au sein duquel il devient membre en juillet 2021.
Dans ce pays, il est l’un des rares magistrats à avoir occupé autant de hautes fonctions dans la pyramide judiciaire. En accédant à la tête du Comité des 7 «Sages», il parachève ainsi sa carrière dans la Magistrature, après avoir été Procureur général près la Cour suprême et plus tard Premier président de la haute juridiction, avant d’être remplacé par Cheikh Tidiane Coulibaly. Le juge Camara a été Substitut du procureur, Premier substitut au Parquet de Dakar, procureur de la République à Kaolack, puis à Ziguinchor… Ce n’était que le début d’une carrière fournie. De la Cour d’appel de Dakar, il rejoint les hautes juridictions déjà avec la Cour de cassation et la Cour suprême où il devient Procureur général, puis Premier président en avril 2015.
Mamadou Badio Camara est aussi un ancien expert des Nations unies, membre de la Commission d’enquête sur la situation des prisonniers politiques au Burundi, ancien expert de l’Oif, Projet Justice, Haïti, ancien vice-président du Comité des Nations unies contre les disparitions forcées, vice-président de l’Association des hautes juridictions de cassation des pays ayant en partage l’usage du français (Ahjucaf).
Avec ce pedigree, il a tenté d’incarner la sagesse d’un membre du Conseil constitutionnel. «C’est le serment qui fait du juriste un juge, quelle que soit par ailleurs sa compétence. Le juge n’est en effet admis à assumer sa mission qu’après la prestation d’un serment qui l’oblige et qui l’engage. Un serment à compter duquel ses opinions cessent d’être de simples points de vue doctrinaux pour devenir des décisions», conseillait-il à Me Awa Dièye, devenue aussi «Sage» en septembre 2022, lors de sa prestation de serment.
bsakho@lequotidien.sn