«Le but de la discussion ne doit pas être la victoire, mais l’amélioration»
Joseph Joubert

Il est difficile de débattre dans notre pays. Les Sénégalais n’ont pas la culture du débat contradictoire, de la critique scientifique. Ils n’ont pas l’œil critique et aiment se flatter ou se jeter des fleurs au lieu de discuter sérieusement et rigoureusement, sans haine ni mépris, de sujets essentiels concernant la bonne marche de notre société.

L’esprit critique est différent de l’esprit de critique. Critiquer signifie faire le discernement, remettre en cause les évidences premières. Critiquer veut dire éprouver la vérité, se garantir effectivement de sa véracité. Nous avons donc besoin de l’esprit critique pour avancer dans le domaine de la science et de la quête de la vérité. Mais pour cela, il nous faut comprendre et appliquer l’éthique de la discussion.

L’éthique de la discussion, c’est le respect de son vis-à-vis. Car pour dialoguer, il faut être deux.

L’éthique de la discussion, c’est la capacité d’écoute qui garantit la compréhension des émotions et des idées de son interlocuteur.

L’éthique de la discussion part du postulat que c’est l’autre qui a peut-être raison et que c’est nous qui avons tort.

L’éthique de la discussion signifie aussi l’ouverture d’esprit et l’objectivité qui doivent nous pousser à abandonner notre position et à nous ranger derrière celle d’autrui s’il est avéré qu’elle est plus conforme à la vérité.

Je comprends davantage le doyen Amady Aly Dieng qui s’est fait beaucoup d’ennemis de son vivant à cause de sa liberté de penser et son esprit critique. Mais c’est cela qui faisait sa singularité et pour lui, un intellectuel doit être singulier. Il ne doit pas avoir peur de la solitude et de la marginalité.

Malheureusement au Sénégal, on raisonne toujours ainsi : tu m’approuves, tu es de mon côté. Tu me critiques, tu es mon adversaire, et pire mon ennemi.

Partout, dans les émissions de télé, de radio et même lors d’exposés et de conférences, on prend souvent la critique comme une attaque personnelle. On essaie toujours d’humilier son co-débatteur. On essaie toujours de chercher la petite bête. Or la témérité dans le débat ne signifie pas l’indiscipline, l’insolence et l’insulte à la bouche. Et un intellectuel doit parler et non pas crier. Le cri est réservé aux animaux qui n’ont pas un langage articulé par la pensée et autour de la pensée.

Avec de telles considérations, comment voulez-vous que la science dont l’objet est la quête de l’absolu, c’est-à-dire de la vérité, progresse dans notre pays ? En réalité, la majeure partie de nos élites ont peur de la critique. Une bonne partie de nos intellectuels ne supportent pas la contradiction.

Dans une récente discussion que j’ai eue avec le Pr Alassane Kitane, connu pour son esprit libre, il me disait ceci : «Les intellectuels sont devenus frileux. La carrière l’a emporté sur la carrure.» C’est ce qui explique, en partie, le pourquoi ils ont presque tous déserté l’espace public sénégalais, y laissant un vide qu’occupe maintenant une nouvelle race de chroniqueurs qui ne comprennent même pas que ce métier demande une vaste culture générale et une grande capacité de conceptualisation et d’analyse.

L’éthique de la discussion, c’est l’acceptation de la différence voire de la divergence ; la différence étant l’identité, nous devons dire non à la mêmeté.
L’éthique de la discussion, c’est aussi l’esprit de tolérance et de compréhension. Et le Roi Hassane II disait, dans une interview, que «la tolérance est la fille de l’indulgence».

L’éthique de la discussion, c’est ces longs silences qui ponctuent parfois nos échanges, le silence étant toujours bruissant de paroles, de sagesse aussi…
L’éthique de la discussion, ce n’est pas le monologue, mais le dialogue, un dialogue sincère, fructueux et constructif.

Nul n’a le monopole de la vérité. En réalité, la vérité de chacun est une facette de la vérité et pas l’absolu dans toutes ses manifestations. C’est pourquoi, nous devons tous être modestes et avoir l’esprit d’ouverture dans notre rapport avec la vérité. Car nos convictions ne sont pas toujours la vérité, mais parfois de simples vues de notre esprit.

Dans le domaine de la création littéraire, la quasi-inexistence du travail de critique littéraire risque de faire reculer la production littéraire dans notre pays, du moins du point de vue de la qualité des livres publiés. Dans ce monde, presque tout le monde est hostile à la critique. On se contente et se satisfait seulement des «Félicitations».

L’éthique de la discussion, en résumé, c’est le respect de soi et de l’autre. C’est l’élégance intellectuelle et l’esprit de dépassement quand on ne parvient pas à s’accorder sur l’essentiel.

L’éthique de la discussion enfin, c’est quand on s’approprie cette citation apocryphe de Voltaire : «Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire.»
Ngor DIENG
Psychologue-conseiller
ngordieng@gmail.com