«Présence Africaine», fondée par Alioune Diop, a joué un rôle fondamental dans la déconstruction du discours colonial. Selon le Pr Ibrahima Silla, cette maison a permis de «raconter la véritable histoire de l’Afrique».

L’enseignant-chercheur en sciences politiques à l’uni­versité Gaston Berger de Saint-Louis, Ibrahima Silla, a souli­gné, samedi, l’impact de l’an­cienne revue Présence Afri­caine, devenue maison d’édi­tion, sur la «déconstruction d’un certain nombre de savoirs hérités de la colonisation». «Présence Africaine a nourri une ambition auprès de nom­breux intellectuels et d’auteurs africains qui ont écrit des œuvres sur différents thèmes, participant ainsi à décons­truire un certain nombre de savoirs hérités de la coloni­sation», a analysé M. Silla. Il s’exprimait à Dakar à l’occasion du lancement du festival initié par le laboratoire de recherche Kimpavita sur le thème : «Présence Africaine, une revue et maison d’édition au cœur de la pensée noire.» L’enseignant-chercheur se réjouit du fait que «Présence Africaine ait par­ticipé aussi à déconstruire l’idée selon laquelle l’Afrique est le continent de l’oralité». «Cette structure a permis de repenser…les pensées», a insisté M. Silla. «Il y avait des pensées sur l’Afrique. Des pensées qui ne reflétaient pas la réalité. On avait le sen­timent que ces pensées étaient des produits d’importation avec leur part de contra­diction, de mensonges, de préjugés et de généralisations hâtives», a fait remarquer le cher­cheur. L’universitaire es­time qu’avec toutes ces consi­dérations, il importait pour Présence Africaine et son fondateur, Alioune Diop, de «déconstruire et de repenser l’Afrique à travers la science sociale en s’appuyant sur toutes les thématiques qui touchent le continent». «Il ne s’agissait pas de se lamenter de la condition des noirs en Afrique ou d’embellir une his­toire de l’Afrique qui n’aurait pas existé. Mais plutôt de raconter la véritable histoire de l’Afrique de manière rigou­reuse et scientifique», a fait savoir Ibrahima Silla.

Lotte Arndt, chercheuse et curatrice spécialisée sur les musées et les problématiques postcoloniales, est revenue, au cours d’un panel, sur le contexte historique entourant la création de Présence Afri­caine en 1947 à Paris. «Pré­sence Africaine a été créée à un moment où les pays européens sortaient de la deuxième guerre mondiale et que les indépendances n’étaient pas encore éminentes», a-t-elle rappelé. C’est dans ce contexte que Alioune Diop arrive à réunir autour de lui un groupe d’auteurs et d’autrices qui souhaitent faire entendre leur voix à travers la revue et la mai­son d’édition Présence Afri­caine, a expliqué Mme Arndt. Elle considère cette struc­ture à l’époque de sa naissance comme «un moyen et un moment de regroupement, de discussion, de positionnement et d’orientation pour les noirs». «L’une des forces de la revue c’était cette polyphonie des voix qui se croisait et qui faisait que les positions ne restent pas au même endroit», a souligné Mme Arndt. «Pré­sence Africaine était comme un mouvement multiforme de prise de parole, qui s’opposait à la négation coloniale et à cette forme d’assimilationniste contre la colonisation», a ajouté la chercheuse.

Pour la fille de Alioune Diop, Marie Aïda Diop Wane, «le mérite de son père était non seulement de permettre aux Africains de penser l’Afrique, mais également de penser la diaspora africaine». Elle a rappelé les «obstacles mul­tiples» rencontrés à la création de la revue et de la maison de son père. «Ce n’était pas du tout facile quand Présence Africaine fut créée parce que l’idée d’une telle création était jugée subversive par les autorités françaises», a dit Marie Aïda Diop Wane.
Aps