C’est un documentaire, un hommage, mais aussi, un focus. Focus sur un événement crucial dans l’œuvre de Serigne Mansour Sy. Le documentaire propose la découverte de l’épisode de la mosquée de Niafoulène à Ziguinchor. Un conflit qui n’avait que trop duré et auquel «Boroom daara ji» a trouvé une solution. Avec la manière…Par Moussa SECK

– Il a imploré l’indulgence de l’assistance, avant la projection de sa réalisation. Car il se dit amateur. Le travail qui a abouti au documentaire qu’il a présenté, lui a cependant pris six ans. La dimension du personnage en a sûrement valu la peine. Feu Serigne Mansour Sy, anciennement Khalife général des Tidianes (de 1997 à 2012), a été à l’honneur. Ou, du moins, sa mémoire. Hommes, femmes, de tous les âges, sont venus se remémorer celui qu’on surnommait «Boroom daara ji» au centre Yennenga de Grand-Dakar. Boroom darara ji, un titre qui en dit long sur l’érudition du saint homme. Un titre, en plus de celui de khalife, et qui ne l’a pas poussé à s’enfermer tels les ermites des autres temps. Serigne Mansour, c’était le statut de savant, le rôle spirituel de khalife mais, encore, celui de régulateur social.
Le documentaire de Cheikh Oumar Sy embrassant toutes ces dimensions, tourne cependant autour du rôle de régulateur social dont les autorités religieuses sont souvent investies au Sénégal. Ce, parce qu’ «ils sont des leaders et en tant que leaders, ils donnent des orientations», ainsi qu’en a témoigné le professeur Mamadou Diouf, historien à l’université de Columbia. Et prétexte n’aurait pas été mieux choisi que le conflit entre Socés et Diolas, autour de la mosquée de Niafoulène (Ziguinchor). Le lieu de culte s’est vu, pendant des décennies, fermé, puisque les deux ethnies ne s’entendaient pas, quant à celui qui en aurait l’imamat. Une mésentente des plus profondes naît ainsi dans un contexte social casamançais traversé par une crise qui n’aide malheureusement pas à facilement trouver le chemin de la paix. Il a fallu attendre le quinzième jour du dernier mois de l’an 2006 pour qu’enfin la mosquée s’ouvre. La scène qui l’illustre est des plus émouvantes : les imams représentant les deux ethnies s’y donnent la main, avant de tomber l’un dans les bras de l’autre. Et dans la salle de projection, on donne de la main. Cheikh Oumar Sy a sûrement réussi, si véhiculer des sentiments a été son objectif. Les foules en liesse aperçues dans le documentaire ont communié avec le silence de l’assistance du centre Yennenga. Un silence ponctué de hochements de tête, de claquements de doigts et de fredonnements, qui accompagnent les chants de Doudou Kenda Mbaye ou encore Ablaye Mbaye. Claquement de doigts…pour dire, en chœur avec les témoignages des intervenants dans le film, qu’il y a du miracle dans l’ouverture de la mosquée de Niafoulène.

Héritier des anciens, «classique» et «intellectuel organique»
Le miracle s’explique pourtant. Après la projection, le débat, et pour l’animer, le professeur Abdoul Aziz Kébé. Ce dernier est revenu sur la personne de Serigne Mansour, en tant qu’héritier de trois grands noms de la Tidianiya au Sénégal. «Boroom daara ji» est à la croisée des influences, entre El Haji Oumar Tall, son grand-père, Seydil Hadji Malick Sy, et son père, Serigne Babacar. Héritier mystique mais aussi, héritier de leur philosophie. A El Hadji Oumar, M. Kébé attribue l’idée selon laquelle toute âme humaine est un sanctuaire, inviolable. Serigne Babacar a, selon lui, forgé un concept de co-implication dans la gestion des affaires publiques, au moment où Mame Maodo utilise le soft-power avant l’heure. L’illustration de cela, le fait qu’il ait pu vivre avec le colonisateur en paix tout en menant sa mission d’éducateur. Les fruits de ces philosophies seront perçus dans le tact dont Serigne Mansour a fait preuve, pour régler le problème de la mosquée de Niafoulène.
Enfin, l’assistance aura appris de la projection du documentaire de Cheikh Oumar Sy que Serigne Mansour est un «classique» dans le sens des poètes de référence tels que Bouchayri. Le prof Kébé parlera d’archéologue de la langue, qui manie à merveille la langue arabe. Ses écrits en témoignent et vont au-delà car, le défunt khalife est de ces poètes du pays qui, de par leur maîtrise des cultures wolof et arabe, produisent des écrits qui alternent les deux langues. Mounirou Sy le qualifiera d’ «intellectuel organique», et non moins engagé, lorsqu’il s’agit de défendre l’islam. La preuve, son poème adressé aux caricaturistes du prophète (Psl). Pour sa part, cheikh Oumar Sy annonce un autre documentaire. Il sera consacré à Serigne Cheikh Ahmad Tidiane Sy Al Maktoum, et son engagement sur le plan politique.