Projection du film de Alune Wade : «Tukki», une odyssée musicale et mémorielle

Mettre en lumière les traditions culturelles et musicales africaines et leurs traversées vers la Louisiane, tel est l’un des objectifs que s’est fixés le musicien sénégalais Alune Wade, qui a présenté, jeudi au Cinéma Pathé Dakar, son documentaire Tukki, des racines au Bayou, réalisé en collaboration avec Vincent Le Gal. Projeté en avant-première mondiale à Dakar, Tukki, qui signifie «voyage» en wolof, raconte et retrace la transmission des traditions musicales du continent africain au continent américain et l’influence des cuivres et du jazz, cet art noir né dans la douleur de l’exil. Et le projet est double. D’abord, un album, New African Orléans, et un film documentaire, Tukki, des racines au Bayou. Tous deux sont indissociables. «Il me fallait des images pour mieux expliquer cet album. Il me fallait aussi du son, des mélodies, des harmonies pour mieux expliquer ce film. Donc, avoir les images sur ma musique dans ce film était aussi l’une des meilleures manières de pouvoir exprimer ce que j’avais dans mes tripes», confie Alune Wade après la projection. Pour lui, Tukki n’est pas seulement un documentaire musical, c’est aussi une reconquête narrative. «On est allés au Ghana, au Nigeria, au Sénégal, à la Nouvelle-Orléans et en France pour la réalisation de ce projet. Souvent, notre histoire est racontée par les autres qui nous ont causé ces torts. Et là, je m’étais dit, maintenant, avec cette nouvelle génération africaine, c’est à nous de prendre les choses en main et d’essayer de raconter notre histoire nous-mêmes, avec nos propres moyens», a expliqué Alune Wade.
D’une durée d’environ une heure, le film présente des performances musicales en studio, ainsi que des entrevues avec des historiens, des musiciens et des spécialistes de la musique. Il offre un aperçu de l’histoire du jazz et de son origine noire, mais aussi de la façon dont ce courant musical influence aujourd’hui la musique africaine. Le documentaire bouscule l’imaginaire dominant du jazz. Exit l’appropriation occidentale. Aussi, Alune Wade replace le continent africain au centre de la genèse musicale afro-américaine. «L’Afrique est la base de toute cette musique ou bien de toutes ces musiques qui se jouent et qui ont réussi à conquérir la planète entière, et qui ont débuté en Amérique», affirme-t-il. Et de souligner que l’Afrique ne partage pas que la musique avec l’Amérique. «Il y a aussi un volet culinaire, comme il y a aussi un volet spirituel que nous partageons avec eux. Parce que tout vient d’ici», a-t-il laissé entendre. Cependant, loin d’un folklore nostalgique, Tukki agit comme une réappropriation esthétique et politique. Il rend hommage à ceux qui ont été arrachés à leur terre sans retour. «Moi, j’ai eu la possibilité de partir et de revenir. Mais ceux qui sont à la base de cette histoire n’ont pas eu cette possibilité. Ils sont partis, ils sont restés», insiste-t-il. «Enregistrer avec des musiciens qui ont les mêmes racines que moi mais avec leurs propres cultures, cela me permet de mieux connaître ce qu’est le jazz et son histoire», dit-il dans le film. Alors, plus qu’un film, plus qu’un album, Tukki est une mission. Une manière sans doute pour Alune Wade de réaffirmer l’universalité de l’histoire africaine. «Le jazz, c’est un mouvement, un concept. Une façon de mettre la lumière sur ce qu’on partage avec l’Amérique, le monde entier. Parce que l’histoire de l’Afrique, c’est l’histoire universelle aussi», justifie Alune Wade, qui livre un film qui nous prend par la main, nous fait entendre que toute musique est mémoire. Et toute mémoire mérite d’être chantée par ceux qui en sont les héritiers. Après un concert à l’Institut français de Dakar vendredi, Alune Wade est à l’affiche du Saint-Louis Jazz.
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