Le Sénégal, autrefois considéré comme un bastion de la liberté de la presse en Afrique de l’Ouest, est aujourd’hui à la croisée des chemins. C’est ce qu’a révélé hier, le rapport de Reporters sans frontières (Rsf) intitulé «Sénégal : Le journalisme à la croisée des chemins». Publié hier, le rapport dresse un sombre tableau des conditions d’exercice des journalistes dans le pays entre 2021 et 2024. Dans ce nouveau rapport, Rsf met en exergue plus de 70 entraves au travail des reporters et propose en 30 recommandations, des perspectives concrètes pour la protection des journalistes, le pluralisme des médias et la lutte contre la désinformation.Par Ousmane SOW – 

Pendant longtemps, le Sénégal a été une locomotive de la liberté de la presse en Afrique de l’Ouest, et même sur le continent africain dans son ensemble. Mais, une détérioration notable a été observée ces dernières années. Hier, à l’occasion du lancement de son nouveau rapport intitulé «Sénégal : Le journalisme à la croisée des chemins», Re­porters sans frontières (Rsf) révèle qu’en trois ans, de 2021 à 2024, plus de 60 journalistes ont été arrêtés, agressés, interpellés ou détenus. Pire encore, estime l’Ong, la polarisation, les ingérences politiques et la désinformation se sont accentuées. Alors, face à ce tableau «inquiétant», souligne Rsf, l’arrivée au pouvoir de nouvelles autorités au Sénégal est une opportunité pour que le visage «balafré» des médias cicatrise, et que le pays redevienne moteur dans la défense du droit à l’information dans l’ensemble de la région et en Afrique.

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Selon Sadibou Marong, directeur du Bureau Afrique subsaharienne de Rsf, le Sénégal a été une locomotive de la liberté de la presse en Afrique, mais dans le monitoring fait par Rsf, entre 2021 et 2024, le Sénégal a enregistré environ 70 entraves au travail des journalistes. Dans le détail, il s’agit d’interpellations, d’arrestations, de vagues de cyber-harcèlement et de violences policières. «Entre 2021 et 2024, il y a effectivement une succession de violences que nous appelons des atteintes. Au moins 70 entraves au travail des journalistes en termes d’interpellation de journalistes et d’arrestation, une bonne quinzaine, des violences policières contre des journalistes dans l’exercice de leur fonction pour environ une bonne trentaine et également la question des troubles socio-politiques qui avaient impacté un peu la sécurité des journalistes», explique Sadibou Marong, rappelant que le Sénégal, qui occupait la 49e place au Classement mondial de la liberté de la presse de Rsf en 2021, a dégringolé à la 94e position en 2024. Ce recul drastique de 35 places, entre 2021 et 2024, illustre l’ampleur des entraves au droit à l’information. «Après trois années de chute libre, il est grand temps que le Sénégal reparte de l’avant en matière de liberté de la presse», déclare Sadibou Marong.

Des violences policières récurrentes
Le rapport de Rsf fait état de 34 attaques perpétrées par les Forces de sécurité, visant principalement les journalistes couvrant les manifestations sociopolitiques. Pour l’Ong, la confiscation de matériel professionnel et les agressions physiques sont devenues monnaie courante. De plus, estime M. Marong, les autorités précédentes n’ont pas hésité à couper l’accès à Internet à quatre reprises en l’espace de neuf mois, créant ainsi un dangereux précédent.

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Rsf, dans son rapport, étale également les arrestations et interpellations de journalistes critiques du pouvoir d’alors, mais aussi le cyber-harcèlement qui, selon eux, constitue une autre menace «sérieuse», avec des campagnes souvent orchestrées par des militants politiques, laissant les journalistes sans protection efficace. Autre illustration inquiétante de l’impunité et des types d’attaques contre les journalistes que révèle Rsf, c’est le mode opératoire baptisé «72h Pastef». Une stratégie coordonnée de harcèlement sur les réseaux sociaux de personnes qu’ils identifient comme critiques des agissements de l’ancien parti d’opposition.

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Outre les attaques perpétrées par les Forces de sécurité, le rapport souligne également les ingérences politiques et la propagation de la désinformation. «L’une des campagnes de désinformation les plus importantes est celle menée par les anciennes autorités pour faire passer des civils armés par les Forces de l’ordre dans des manifestations en individus menaçant l’Etat de Droit. Un narratif déconstruit par la rédaction de France 24», explique Anne Bocandé, Directrice éditoriale de Rsf, soulignant dans le rapport que la proximité entre patrons de presse et personnalités politiques a favorisé la polarisation de l’écosystème médiatique, exacerbée en période électorale.

Une lueur d’espoir
Aujourd’hui, l’arrivée au pouvoir du Président Bassirou Diomaye Faye représente une lueur d’espoir, d’après Rsf. «L’arrivée du Président Bassirou Diomaye Faye, qui avait promis notamment de supprimer les peines d’emprisonnement pour les infractions de presse et de protéger le travail des journalistes, est une opportunité pour mener des réformes de fond pour garantir le droit à l’information au Sénégal. Nous avons estimé qu’il est important, dans le Code de la presse tel qu’il est configuré actuellement, que le Sénégal dépasse tout ce qu’on appelle les peines privatives de liberté», estime Sadibou Marong.

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Rsf a, dans son rapport, présenté 30 recommandations pour revitaliser le paysage médiatique sénégalais. Parmi elles, protéger les journalistes et le journalisme, favoriser le pluralisme pour la soutenabilité des médias et pour la promotion du journalisme fiable et indépendant, mais aussi la protection des lanceurs d’alerte comme sources journalistiques. Et d’après Sadibou Marong, le ministre de la Communication, Alioune Sall, a affirmé «être à l’écoute pour mener les chantiers nécessaires», après avoir reçu le rapport de Rsf.