Après l’annonce de la suspension des travaux au niveau de la corniche-Ouest et de la Bande des filaos, entre autres localités ciblées par les autorités, les ouvriers et les promoteurs sont dans une attente fragile et se projettent avec anxiété sur l’avenir. Par Abdou Latif MANSARAY –

Les autorités ont-elles cédé aux pressions des «livers» ? Depuis le début de la nouvelle alternance, des vidéos sur les supposés biens immobiliers, qui appartiendraient à des privés et des investisseurs, font le tour la toile. Depuis vendredi, le Président Bassirou Diomaye Faye a pris la décision d’arrêter toutes les constructions sur la Corniche de Dakar et d’autres zones du pays. Et c’est pour une vérification de documents qui permettent à ces propriétaires d’hôtels, d’immeubles et villas de luxe de construire. Si la corniche-Ouest commence au Cap Manuel, s’étend sur Terrou-bi, la mosquée de la Divinité, l’hôtel King Fahd Palace, la plage de la Bceao jusqu’à celle de Diamalaye, la corniche-Est s’étend du Cap Manuel jusqu’à la plage longeant la route de Rufisque, en passant par la résidence de l’ambassade de France, le Palais présidentiel et le Port. Alors que la Bande de filaos s’étend de la zone de Malibu jusqu’à Malika, en passant par le rond-point Gadaye.

Sur place, les ouvriers sont au pied des murs. Au lendemain de l’annonce de la mesure, les maçons sont présents, en pleine manœuvre au niveau des différents chantiers où poussent des bâtiments à usage d’habitation, des infrastructures publiques comme le nouveau Palais de justice de Pikine-Guédiawaye niché sur la Vdn 3, où les lampadaires sont en train d’être installés par les techniciens. «C’est un site bien loti et la distance règlementaire des 100 m est bien respectée. C’était sur la demande des goorgoorlous, des pères de famille qui habitent dans les 5 communes de Guédiawaye. Il y a aussi des conseillers qui avaient sollicité un déclassement de cette bande, d’autant plus qu’il y avait toujours des agressions et des meurtres. Même les maisons environnantes étaient dans une insécurité totale. Ce site nous revient, c’est notre patrimoine. La majeure partie des gens vulnérables sont propriétaires d’une parcelle ici sur le littoral de la Vdn 3. Il ne faut pas oublier que la ville grandit et que Guédiawaye regorge du monde», renseigne le vieux Assane Diop, trouvé sur le site. A propos de la déclassification de cette Bande de filaos, les avis sont partagés. «Ce qui nous fatigue c’est qu’il y a des activistes mécontents qui ne sont pas bénéficiaires, qui cherchent avec ce nouveau régime à faire des règlements de comptes. Parce qu’ils savent qu’actuellement le régime en place est sensible aux problèmes et veut plaire à tout le monde. Ce qui n’est pas possible. Et nous osons croire que l’Etat va diligenter ce problème avec prudence. Car vouloir arracher un bien pour le donner à un autre est injuste parce qu’il y a beaucoup de personnes qui sont en train de se prononcer sur le littoral alors qu’elles ne maîtrisent même pas ce dossier», renseigne Pape Hann, trouvé sur le site de Gadaye. Selon lui, «ce littoral doit être animé parce qu’il s’étend jusqu’à Saint-Louis. Des infrastructures sont prévues. Il doit être animé et éclairé. Malheureusement, il y a des activistes qui veulent tout diaboliser en demandant à ce que ce que l’occupation du littoral de la Vdn 3 soit annulée. Quelle méchanceté».

Il faut savoir que toute cette zone fait partie du programme du Plan d’urbanisme de détails (Pud) approuvé et rendu exécutoire par un décret de l’ancien chef de l’Etat Macky Sall qui a été réparti pour un espace (150, 58 ha) comme suit : «43, 92% de la superficie totale du Pud sont réservés à l’habitat, 21, 01% aux voiries et réseaux divers, 35% aux équipements.»

Sur place, quelques filaos dansent sous l’effet du vent. Alors que les ouvriers poursuivent leurs corvées. A Malika, la situation est la même où l’occupation du foncier divise les différentes parties. Les jeunes de la commune, à travers une association locale, réclament 1500 parcelles à l’Etat. En plus d’exiger que le décret qui affecte la zone à certaines personnalités soit annulé, ils demandent au Président Faye l’octroi de ces parcelles à usage… sur le même site. «On ne demande pas de détruire tout ce qui est en train d’être fait ici avec le programme Pud. Ce n’est pas sérieux que les gens le fassent. Mais nous voulons que notre terre nous revienne parce que qu’elle est occupée par des gens qui n’habitent même pas la localité et qui bénéficient des ha. Tout le monde a droit à une parcelle. L’Etat devra faciliter l’octroi d’une parcelle aux enfants de la localité», explique Bachir Paye, détenteur d’une buvette de café Touba au niveau de la plage de Malika.

«J’espère que les autorités savent ce qu’elles font…»
Au niveau de la corniche-Ouest de Dakar où poussent des immeubles, des hôtels, des sites en situation de terrassement, les travaux se poursuivaient hier. Les ouvriers mettent la dernière main sur certaines finitions pour embellir leurs chantiers. Si certains n’ont pas le temps de disserter sur les lendemains qui risquent d’être moins enchanteurs à cause de l’arrêt des travaux, d’autres ont du mal à imaginer la suspension de leurs «contrats» de travail le temps que les audits soient achevés par les services domaniaux et cadastraux. «Que voulez-vous que je vous dise. Nous sommes venus travailler, mais je ne sais pas si demain (aujourd’hui) il sera possible de le faire. Du jour au lendemain, on va se retrouver dans la précarité», note un ouvrier, accroché au pied d’un immeuble. «J’espère que les autorités savent ce qu’elles font, surtout que Diomaye et Sonko sont des inspecteurs des impôts. On ne peut rien obtenir ici sans autorisation», ajoute un autre, qui hume cet effluve marin envoyé par la grande bleue qui gronde à quelques mètres de son lieu de travail. De l’hôtel Azalai, ouvert il y a quelques mois, jusqu’aux Mamelles, les interrogations et les inquiétudes se superposent sur les visages des travailleurs et des promoteurs après cette décision de suspension des procédures domaniales et foncières prise par Faye et Sonko.
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