Rfi-Théâtre 2019 : La Libanaise Valérie Cachard primée

C’est un projet au long cours qui reçoit ce dimanche 29
septembre le Prix Rfi-Théâtre. La Libanaise Valérie Cachard, née en 1979, a travaillé sur sa ville natale Beyrouth pendant sept ans sous des formes multiples, avant d’écrire pendant deux ans le texte aujourd’hui distingué dans le cadre du Festival des Francophonies, les zébrures d’automne, à Limoges. «Victoria K, Delphine Seyrig et moi ou la petite chaise jaune» exhume des histoires enfouies par la guerre et les destructions. C’est le récit de deux femmes et d’une ville, «un jour coupée en deux comme une pomme».
«Je pense, je serai très émue…» Sa voix sautillante laisse apercevoir sa joie de recevoir ce dimanche à Limoges le Prix Rfi-Théâtre. Sa pièce, Victoria K, Delphine Seyrig et moi ou la petite chaise jaune, écrite dans un style très inspiré et inspirant, est une descente littéraire dans les profondeurs abyssales des douleurs subies par les habitants d’une capitale meurtrie.
La pièce nous surprend par sa structure et son rythme, une sorte de mise en scène improvisée de visites d’habitations abandonnées, à l’instar de la maison de Victoria. C’est là où l’auteure-narratrice trouve un agenda à clic qui veut bien révéler ses secrets : «Sur la première page, il y avait l’identité de cette femme.» Peu à peu, nous entrons dans son intimité, découvrons qu’elle est dyslexique, qu’elle écrit joliment en français, mais «pourquoi elle écrit en arabe de manière désordonnée» ?
Une ville et des femmes détruites et reconstruites
A travers des photos de filles dans des ruines, des lettres reçues, des notes aussi banales que mystérieuses comme «le 16 novembre 1962, Victoria achète des batteries, de l’alcool et du savon» ou des objets personnels comme «une tape-mouche», on s’approche d’une certaine vérité du passé de cette personne, restée jusqu’ici anonyme. Devant nos yeux se déploie alors l’histoire d’une ville et de femmes détruites et reconstruites. Leurs âmes se transforment en revenantes dont les esprits hantent les maisons désertées de Beyrouth. «C’est surtout l’histoire d’une ville qui a été détruite et reconstruite et des êtres qui l’habitent. Ici je parle d’êtres féminins, même s’il y a des allusions à d’autres êtres masculins. Et c’est autour de la manière comment ces êtres humains essaient de se reconstruire dans un environnement qui change tous les jours et qui a subi des destructions massives», précise Valérie Cachard. La terreur se mêle au texte comme des raisins dans du pain perdu. Victoria note «Bombe dans le tram à Nasra des morts et des blessés grièvement atteints. 16 amputations». Etes-vous intrigué par la liberté prise avec la ponctuation dans cette phrase ? Sachez que Valérie Cachard est aussi comédienne. Quand elle écrit, elle semble déjà penser à la respiration, aux hésitations et à la fluidité d’un mouvement qui ne se laissent pas enfermer entre deux signes de ponctuation. «Je pense que cela doit être lié. C’est le premier texte sur lequel j’ai pris beaucoup plus de temps à écrire que d’habitude. Au moment où je me suis vraiment assise pour le faire, il y avait des choses de l’ordre de l’évidence par rapport à la respiration du texte. »
«Derrière une voix, il y en a toujours d’autres»
Visiblement attirée par les contrastes forts, l’auteure a choisi la forme du monologue pour relater l’éclatement des points de vue. «Le premier texte de théâtre que j’ai écrit et rendu publique et aussi monté et joué, c’était aussi un monologue. Je pense que c’est une forme qui m’attire parce que derrière une voix, il y en a toujours d’autres.» Derrière le titre-fleuve se cachent des îles composées de phrases courtes, d’observations arrachées à l’oubli, de souvenirs à contre-courant de la vie d’aujourd’hui. Toutes mises ensemble, ces bribes de vestiges et de souvenirs, entremêlées d’événements historiques du Liban, reconstituent une partie de l’existence de Victoria K. A l’image de cette fouille archéologique littéraire qui n’est pas structurée en chapitres, mais en fragments et en archives. «C’est totalement une fouille archéologique littéraire. Cette pièce liée à un plus grand projet sur lequel j’ai travaillé pendant sept ans, un projet de sociologie et d’histoire autour de la ville. A travers ce projet, on a ressorti énormément de documents. On a essayé de comprendre l’histoire du Liban et de Beyrouth. Cette pièce est fragmentée, parce qu’elle raconte une histoire fragmentée. Elle raconte aussi plusieurs vies qui, à un moment donné, finissent par ne plus faire qu’une seule», confirme Valérie Cachard.
«Le journal d’un combattant palestinien»
Cette originalité concernant la structure du texte se retrouve également dans une œuvre qui a marqué Valérie Cachard, La chute, roman découpé en six parties non numérotées de Albert Camus. «C’est l’un de mes romans préférés et que je relis de temps en temps. Je l’aime pour ce qu’il raconte, son ton… Et il a aussi quelque chose de très théâtral qui me plaît énormément.» La chose la plus surprenante découverte par Valérie Cachard lors de ses explorations d’habitations abandonnées à Beyrouth ? Un petit carnet doté d’un mode d’emploi pour les armes. «C’était le journal d’un combattant palestinien. Dans ce journal, il expliquait comment manipuler les armes, comment les monter et démonter. Il avait fait des petits dessins à l’appui, donc il y avait quelque chose d’extrêmement naïf et extrêmement inquiétant dans ce document».
«Beyrouth se cherche»
Née à Beyrouth en 1979, Valérie Cachard a distribué à sa ville natale le rôle principal de cette pièce, racontant une vie de guerres et de destructions subies. Est-ce le récit d’un paradis perdu ? «Totalement et définitivement, c’est un paradis perdu. Aujourd’hui, Beyrouth se cherche. Et on la cherche aussi. On a du mal à la retrouver… Déjà il y a vingt ans, on a eu du mal à retrouver ce que nos parents racontaient sur Beyrouth. Aujourd’hui, les gens de ma génération, nous avons le même rapport avec cette ville. Ce que nous avons connu il y a vingt ans n’existe pratiquement plus.»
Du Prix Rfi-Théâtre, elle en a entendu «il y a quelques années. C’est quelque chose qui a circulé sur Facebook». En 2015, elle participe pour la première fois. A l’époque, son texte figure même parmi les douze textes sélectionnés. Elle ne décroche pas le prix, mais continue à croire en elle. Quatre ans (et quelques interventions artistiques dans des lycées français en Angola et Ethiopie) plus tard, sa persévérance a payé. Après Hala Moughanie, Valérie Cachard devient la deuxième lauréate libanaise du Prix Rfi-Théâtre.
«La langue française m’a fait grandir»
Remis à Limoges dans le cadre du Festival des Francophonies, les zébrures d’automne, ce prix souligne aussi son lien avec la Francophonie. En 2005, celle qui vit avec un nom de famille francisé avait déjà reçu le Prix du jeune écrivain francophone. Et les mots de sa pièce actuelle, Victoria K, Delphine Seyrig et moi ou la petite chaise jaune, elle les a trouvés et écrits à Beyrouth, mais aussi à Paris et à Antalya. «La Francophonie, pour moi, c’est une manière de vivre, de faire du lien. C’est grâce à la Francophonie et aux structures francophones – même si quelquefois on leur reproche d’être des ghettos et de ne rassembler qu’un type particulier d’artistes – que j’ai fait des rencontres où j’ai pu grandir. La langue française m’a fait grandir.»
Rfi