Roland Freisler va encore regarder ailleurs

A sa sortie de prison, mon ami Moustapha Diakhaté, faisant face à la presse, a encore sonné la charge contre le pouvoir et le procureur de la République. «(Ibrahima) Ndoye est un parquetier à double standard : tendre avec le pouvoir, sévère avec l’opposition. Il s’est autosaisi parce que j’ai dit que certains étaient des gougnafiers, mais il ne l’a pas fait quand Ousmane Sonko a traité le chef de l’Etat de faible.» Il ajoute : «Ces gens sont pires que des gougnafiers, ils sont ignorants.»
Pour quelqu’un qui a été condamné pour «offense au chef de l’Etat» du fait d’avoir utilisé le mot «gougnafier», je m’attendais à une nouvelle autosaisine du procureur, car Diakhaté en a rajouté une couche. Mais déjà la première arrestation était des plus ridicules, l’on peut aisément comprendre que Roland Freisler mette le frein pour ne pas se rendre davantage plus ridicule.
Et il risque de se couvrir de honte en regardant ailleurs après la dernière sortie du déshonorable Guy Marius Sagna. «Vous allez devoir souffrir. Vous avez volé les Sénégalais et vous voulez critiquer le plan des patriotes pour nous sortir de vos crimes économiques. Vous avez empêché illégalement le président de Pastef, Ousmane Sonko, d’être candidat. Nous contournons vos plans pour empêcher Pastef d’avoir un candidat et on se retrouve par votre faute -pour cela, vous avez assassiné plus de 80 Sénégalais- dans une situation inédite où nous avons un Président légal et un Président légitime. Walay, vous êtes condamnés à souffrir des conséquences de cette situation dont vous êtes responsables», écrit l’activiste politicien sur sa page Facebook.
Disons-le tout de suite et sans ambages : ces propos de Sagna sont d’une extrême gravité. Car évoquer un «Président légal» et un «Président légitime» en référence au président de la République Bassirou Diomaye Diakhar Faye (Pr légal) et au Premier ministre Ousmane Sonko (Pr légitime), c’est remettre en cause la forme républicaine de l’Etat, de ses institutions et de ses fondamentaux. C’est une offense au chef de l’Etat élu par 54% des électeurs, dans un scrutin libre, démocratique et transparent. Du coup, ces propos du député ne sont pas seulement une atteinte à la dignité présidentielle, mais également une insulte au Peuple souverain du Sénégal dont le choix démocratique doit être respecté sans équivoque.
Pour moins que cela, Roland Freisler s’est autosaisi et a mis des citoyens en prison. Mais je gage qu’il ne fera rien à Guy Marius Sagna, car il va détourner le regard et confirmer cette déclaration de Djiby Ndiaye, coordonnateur du Nouveau front force alternative (Nffa) : nous avons un procureur de Pastef qui est très sévère contre les opposants à son parti et très docile face aux graves dérives de son camp. Donc inutile d’exiger du procureur de la République, une autosaisine immédiate afin que les propos du député soient examinés à la lumière du Droit et que les institutions soient protégées contre toute tentative de déstabilisation. Freisler va regarder ailleurs, et même se boucher le nez.
Que l’on ne s’y trompe guère, les propos de Guy Marius Sagna foulent aux pieds les institutions de la République et sèment à dessein la confusion dans l’esprit des citoyens, pour mieux asseoir le parti-Etat dont rêve son leader.
En d’autres termes, il y a, par ces propos, une intention calculée de placer la primauté de la légitimité incarnée par Ousmane Sonko sur la légalité du président de la République. Dans la perspective de la bataille larvée et parfois ouverte au sommet de l’Etat, cette ligne de pensée anticonstitutionnelle n’est que la suite logique des propos du leader de Pastef. Nous sommes le seul pays au monde où le Premier ministre remet ouvertement et publiquement en cause l’autorité du président de la République. Dans un Etat où le Premier ministre dit que le pays souffre de «crise d’autorité», normal qu’on veuille placer la légitimité au-dessus de la légalité. L’objectif, dans le sillage de cette bataille au sommet, est de discréditer Bassirou Diomaye Diakhar Faye, le réduire à sa plus simple expression. C’est-à-dire un vaurien.
Cette démarche méthodique vise à créer dans la conscience collective, une dualité au sommet pour fragiliser le président de la République par des intimidations sur sa légitimité. Ousmane Sonko est le premier à agiter cette intimidation en parlant de la majorité parlementaire qui lui appartient, tout seul. Il est le premier à demander au président de la République de lui céder la place pour gouverner.
D’un autre côté également, Guy Marius Sagna est toujours dans la négation du Sénégal. Une négation qui l’avait poussé en 2012, dans un post Facebook, à réclamer «un référendum d’autodétermination de la Casamance en accord avec le Mfdc». Mais une évidence doit lui être rappelée : le Sénégal n’a qu’un seul Président, à la fois légal et légitime, en la personne de Bassirou Diomaye Faye, élu par le suffrage universel et investi par le Conseil constitutionnel. De Senghor à nos jours, c’est par des élections libres, démocratiques et transparentes que le Peuple sénégalais choisit sans ambiguïté son Président. Et ce choix doit être respecté avec Bassirou Diomaye Faye. Qu’il ait été désigné par un Ousmane Sonko inéligible n’enlève rien à sa légitimité.
Le Sénégal n’est pas une République à géométrie variable. Le Peuple a élu un Président, et c’est à lui seul que revient la charge de conduire la Nation, de garantir l’unité et de faire respecter les institutions. Il est donc impératif que le président de la République siffle la fin de la récréation, en réaffirmant son autorité et en rappelant que la légitimité découle du suffrage universel, et non d’une popularité militante.
Par ailleurs, il est un devoir de rappeler à Mohamed Sagna que c’est insulter les Turcs que de comparer son chef au leader révolutionnaire turc Mustafa Kemal Atatürk. «En Turquie, Ousmane Sonko, le grand leader de la lutte pour la souveraineté du Sénégal et de l’Afrique, est allé au mausolée de Mustafa Kemal Atatürk, leader de la guerre d’indépendance nationale. Ils ont leur Mustafa Kemal Atatürk. Le Sénégal a son Ousmane Sonko», a écrit le parlementaire. Sagna suit les pas de Dr Khadim Bamba Diagne, qui a osé affirmer que Ousmane Sonko dépassait Nelson Mandela. Dans une vidéo racontant son voyage en Afrique du Sud, il disait : «J’étais en Afrique du Sud pour une conférence et les Sud-africains m’ont dit : «Parlez-nous de votre leader qui dépasse Mandela.».»
Après Nelson Mandela, Thomas Sankara et tous les grands panafricanistes, maintenant c’est Moustapha Kemal. Il ne leur reste qu’à dire que le Client de Sweet Beauté est envoyé par Dieu pour sauver le Sénégal et l’Afrique. Yérim Seck nous avait pourtant prévenus : «Ils vont passer tout leur premier et unique mandat à parler, mais ne changeront rien aux conditions de vie des Sénégalais.» Juste rappeler à cet inculte que Moustapha Kemal a supprimé l’islam en tant que religion officielle et a copié la laïcité française. Il a interdit la polygamie, remplacé le calendrier musulman par le calendrier grégorien. Certains disent même que le «Gaulois turc» (surnom donné à Moustapha Kemal) serait un franc-maçon.
Néanmoins, M. Sagna a l’excuse de suivre les traces de son leader. Ce dernier est allé s’incliner au mausolée de Atatürk, celui que son hôte Erdogan ne rêve que «d’effacer», pour rétablir l’Empire Ottoman qu’il a disloqué. Sonko avait commis le même impair à Beijing, en allant rendre hommage à Mao Zedong, le Timonier de la Révolution culturelle et du Grand Bond En Avant, que les Chinois d’aujourd’hui, à la suite de leurs dirigeants, placent parmi les causes de leur retard actuel sur l’Occident. Il ne faudrait pas être surpris si, lors d’un séjour à Téhéran, notre «leader visionnaire» allait rendre hommage à la dynastie de Kadjar dont les rois ont combattu les Ayatollah en leur temps…
Par Bachir FOFANA