Elle n’est pas la première dame de feu Cheikh Béthio Thioune, mais elle est la plus visible. Elle détient une grande partie de l’héritage «spirituel» (?) du fondateur du «thiantacounisme», cette branche affiliée au Mouridisme parce que faisant acte d’allégeance à Serigne Saliou Mbacké, cinquième khalife de Cheikh Ahmadou Bamba. De la première rencontre, entre les deux hommes, le 17 avril 1946, jusqu’au 28 décembre 2007, date du rappel à Dieu de Serigne Saliou, Cheikh Béthio lui est resté foncièrement fidèle. Il n’a presque pas failli. En 2008, lors de la récolte annuelle de Khelcom, la première après la disparition de son guide spirituel, Cheikh Béthio était bien présent. A la fin des travaux, l’heure était aux questions. «Comment vivez-vous cette première récolte à Khelcom après le décès de votre guide Serigne Saliou ?» «Serigne Saliou n’est pas mort», avait-il répondu. Le verbe et la verve au rendez-vous. Il l’a répété à trois reprises devant des disciples surexcités. Réponse qui renseigne sur l’engagement sans faille et la fidélité entière d’un guide à la démarche contestée et décriée par une partie de l’opinion.
N’empêche, il fait son petit bonhomme de chemin et devient de plus en plus influent dans le landerneau politique. On se souvient de son soutien affirmé et affiché au Président Abdoulaye Wade à l’occasion du méga meeting de novembre 2006 dans la Capitale du rail, et de ses «doukate» mémorables à la «Promenade des Thiessois». Cheikh Béthio était également un personnage excentrique. Les taches noires d’un règne : l’attaque sanglante du cortège du parti Rewmi à Dakar en 2007 par ses disciples, les mariages scellés entre «Thiantacoune» sans l’accord parental des conjoints, les conflits familiaux nés entre ses disciples et leurs parents…
La chute de Wade en 2012 a presque entraîné celle du «Cheikh», sonnant le début d’un déclin inattendu. L’affaire du double meurtre de Médinatoul Salam est passée par là. Sa vie bascule. Prison, liberté provisoire, évacuation sanitaire et une condamnation, le 6 mai 2019, à 10 ans de travaux forcés pour «non-dénonciation de crime et complicité de meurtre». Un verdict nul et sans effet. Le lendemain, 7 mai, il passe de vie à trépas. Le «Cheikh» tient son ultime «thiant» loin des «Thianta», à Bordeaux (France).
Vendredi 10 mai 2019. C’est l’arrivée de la dépouille. Une arrivée très attendue du fait du flou qui entourait le lieu d’inhumation du défunt «Cheikh». Médinatoul Salam ou Touba ? Après quelques tiraillements à l’aéroport de Diass, Touba a fini par imposer son diktat. Des disciples «thiantacoune», déçus, se soumettent finalement à la volonté des hautes autorités mourides. Médinatoul Salam ne verra pas une dernière fois son guide et ne constituera non plus un site de pèlerinage avec comme attraction le mausolée de Cheikh Béthio. L’objectif était d’éviter l’émergence d’un nouveau pôle du Mouridisme incontrôlable et aux antipodes des préceptes de l’orthodoxie mouridique. C’est la fin d’une époque. Le début d’une nouvelle ère ?

L’héritage du «Cheikh» en question
L’ordre de succession au khalifat des «Thiantacoune» est-il le même constaté dans les confréries existantes ? Cette question était-elle déjà tranchée par le «Cheikh» de son vivant ? L’une des rares sources disponibles où Cheikh Béthio l’a évoqué en partie, c’est quand il encensait devant ses disciples Sokhna Aïda, en disant qu’elle était plus que son alter ego, une guide (?). Et puis plus rien. Les anti-Sokhna Aïda soutiennent le contraire et affirment que le successeur désigné est bien Serigne Saliou «Ndiguël».
Après la disparition du «Cheikh» et son enterrement à Touba, Sokhna Aïda ne voulait pas être «enterrée» à son tour, a fortiori de son vivant. Elle est déterminée à perpétuer l’œuvre de son époux et guide. Une femme ? Elle n’en a cure. Elle n’a pas besoin d’être une exégète. L’essentiel, c’est de tenir les «thiant», recevoir les «adiya» et accompagner les disciples «thiantacoune». Pas compliqué ! Ce qui n’était pas vu d’un bon œil par Touba. Une femme à la tête d’une forte communauté spirituelle, ce serait une première. Le vénéré khalife des Mourides, Serigne Mountakha Bassirou Mbacké, conseille, sermonne et réprimande. Sokhna Aïda ne change pas d’attitude. Face à l’entêtement de la dame à succéder à son époux et de conserver le trône des «Thianta», il l’a presque menacé d’une excommunication. Sokhna Aïda continue ses «thiant» avec une partie des disciples du «Cheikh», tandis que l’autre partie fait acte d’allégeance à Serigne Saliou Thioune, le fils aîné du fondateur de la branche «thiantacoune» et reconnu par Touba. Un héritage éclaté et partagé entre Touba Ndiouroul et Médinatoul Salam, un fils et une veuve. Durant presque cinq ans, 2019-2024, la dame-khalife, interdite de séjourner à Ngabou, s’était retranchée à Médinatoul Salam avec sa cour, jusqu’à la grande mobilisation de Dakar Arena, le samedi 31 mai 2025.

Sokhna Aïda Diallo rétablie dans ses droits ?
Le 16 avril 2025, veille de la célébration annuelle de la rencontre historique entre Cheikh Béthio et son guide Serigne Saliou Mbacké, pour la première fois (?), le gouvernement a dépêché une délégation, conduite par le ministre en charge des Collectivités territoriales, chez Serigne Saliou «Ndiguël». Une rupture ? Cet acte de bienveillance serait-il le même observé par l’Etat à l’égard du gourou préféré d’une bonne partie des «Thiantacoune» ? Une posture équidistante qui a visiblement libéré Sokhna Aïda de son «confinement» de cinq ans.
Un Dakar Arena archi-comble, une sécurité assurée par la Gendarmerie nationale, des sapeurs-pompiers à disposition et une organisation presque parfaite, Sokhna Aïda, visiblement aux anges, fait reluire son trône, escortée par deux autres veuves du «Cheikh» et un public acquis à sa cause. Elle brille de mille feux avec beaucoup de charisme pour un speech aux allures de règlement de comptes. D’une voix limpide et d’un ton calme, elle déclare : «Je suis patriote. (…) J’ai été privée de mes droits de 2019 à 2024 (…) aucune autorisation ne m’a été accordée durant cette période. (…) Je suis rétablie dans mes droits entre 2024 et 2025, notamment la liberté de culte. (…) Je me considère, désormais, comme la plus fervente des patriotes (…).» La messe est dite. Une sortie qui a provoqué l’ire d’une partie des disciples mourides. Une nouvelle défiance à l’autorité de Touba ? Une détermination à perpétuer l’œuvre spirituelle du «Cheikh» malgré la ferme opposition de Touba ? Comment Touba va-t-il apprécier ce supposé «rétablissement des droits» de Sokhna Aïda par l’autorité publique ? Sokhna Aïda retrouvera-t-elle la plénitude de ses droits, y compris son retour à Ngabou à l’occasion de la célébration du grand Magal de Touba ? Des questions sans réponse pour le moment. Ce qui est constant, c’est que la dame-khalife n’a pas l’intention de céder. Malgré la forte pression de Touba, elle résiste.
Une brillante résistance en solo, qui met en lumière la curieuse absence des associations de défense des droits de la femme et le silence bruyant des féministes activistes des réseaux sociaux. Pour ce «combat», elles ont encore opté pour l’omerta. Comme en 2021 où elles avaient bouché leurs oreilles pour rester insensibles aux échos de l’affaire «Sweet Beauté». Pour des questions relatives à la politique et à la religion, le constat est qu’elles adoptent le profil bas, le temps de laisser la tempête passer, pour repasser, afin de revendiquer, indûment, des acquis jamais plaidés.
Papa Moctar SELANE