Un curieux pays, le Sénégal, où il est aujourd’hui acquis, pour peu qu’on soit plus ou moins attentif à ce qui se passe, que le credo pour se donner les allures d’un politicien, c’est de tirer sur tout ce qui bouge dès lors qu’on peut le relier au nom Macky Sall. Et le fait extraordinaire, c’est que dans ces attaques, le terme Président est employé pour désigner ceux qui ne le sont plus et ceux qui espèrent le devenir, mais jamais celui qui l’est et qui exerce la fonction. Si cela n’est pas en avoir après quelqu’un parce c’est lui, ça y ressemble. En d’autres termes, si ce n’est pas de l’«opposition crypto-personnelle», il faudrait certainement une redéfinition de ce concept.
Un pays étrange, le Sénégal, où la politique n’est pour ceux qui s’autoproclament politiciens qu’une affaire de pexe, une affaire d’astuce et de roublardise. On comprend donc pourquoi la minorité qui développe des idées et défend un programme remporte le suffrage des Sénégalais, même si elle remorque inévitablement des opportunistes notoires qui se cachent derrière la victoire d’un candidat pour revendiquer un strapontin à grands coups de folklore.
Un pays étrange, le Sénégal. Chacun réclame le droit de s’exprimer et paradoxalement dénie à chacun ce droit. C’est certainement pourquoi, même dans l’instance judiciaire garante de cette liberté d’expression, on refuse à certains de s’exprimer. Lorsque des avocats tiennent des conférences ou points de presse, les journaux répercutent et semblent s’en prendre au procureur qui fait la même chose. Mais ce qui rend perplexe, c’est le sentiment que les problèmes juridiques ne se règlent plus à coups d’articles tirés des textes juridiques mais par l’adresse dans la communication. Les philosophes ont probablement dans ce fait une occasion d’étendre dans la sphère judiciaire la réflexion sur la problématique du charisme : s’il est acquis, peut-il l’être en réussissant à convaincre le grand nombre par la parole esthétique ou bien par la parole éthique ou encore par la parole technique ?
Un pays quand même étrange que le Sénégal, où le journalisme s’investit d’un pouvoir incarné par des individus qui cherchent à nous dire ce que nous devons penser et non à nous faire réfléchir. Car, comment comprendre que dans des formats de confrontation, il y ait face à face l’invité et… le journaliste, chacun défendant un point de vue ? Dès lors, on serait tenté de se demander : En quoi le point de vue d’un journaliste est-il plus pertinent que le nôtre ? Ne devrait-il pas plutôt, par l’opportunité de ses questions, amener l’invité à se dévoiler et ainsi informer le public de l’opinion de dernier sur tel ou tel problème qui intéresse la nation ? A ce moment on pourrait certainement parler de confrontation des idées entre nous, Peuple, et l’invité qui cherche, par exemple, à obtenir nos suffrages. Encore que l’information n’est pas dans les questions mais dans les réponses. Heureusement qu’ils sont nombreux, ceux des journalistes qui inspirent confiance par leur savoir et leur culture.
Un étrange pays, ce Sénégal où l’on affectionne de recommencer à zéro, et où beaucoup de ceux qui ont la prétention d’être nos chefs veulent en réalité être nos maîtres en cherchant à nous imposer de répéter après eux que le pays est au point mort, que les gens meurent de faim, que l’insécurité nous empêche de dormir, que les richesses nationales sont dévolues aux étrangers, alors qu’ils veulent franchir le palier qui les mène à la présidence de la République (donc, eux, ils avancent dans un pays au point mort) ; que leur embonpoint détone sous la lumière (faudrait qu’on sache s’ils mangent à leur faim) ; qu’ils se proposent de faire le tour du Sénégal, encadrés par une cohorte qui crie, qui rit, qui applaudit (à se demander si l’insécurité ne serait pas une incitation au défoulement) ; qu’ils font partie des milliers de millionnaires que compte le Sénégal (ils sont peut-être d’une autre nationalité ).
Ce qu’il nous faut, c’est cesser de prendre les Sénégalais pour des moins-que-rien. C’est aussi avoir le courage d’accepter qu’il ne peut pas y avoir de programme alternatif de gestion du pays, pour la simple raison que depuis l’Alternance, un programme viable pour le Sénégal s’inscrit forcément dans la continuité de ce qui a été fait de 2000 à 2011, et de ce qui est en train d’être fait depuis 2012. En ce sens, il est clair que toute volonté d’orienter la marche du pays dans une autre direction ne peut être qu’une simple incitation à recommencer à zéro, à la limite à nous faire faire un pas en avant puis deux en arrière. Ce qui peut être nouveau, c’est le tempérament de celui ou celle devant inciter à l’action, et non le dénigrement au point de nier que le pays, depuis 2000, a progressé par le fait de deux hommes : Ablaye Wade, puis Macky Sall. L’hypocrisie a été de dire que Wade n’avait pas fait grand-chose et de se gausser de son atterrissage à l’Aibd ; aujourd’hui, l’hypocrisie est de dire que le Président Macky n’a rien fait, et l’inculture, c’est de se convaincre que parce qu’il est devenu Président, n’importe qui peut le devenir. D’abord, le Sénégal est loin d’être un pays où n’importe qui peut être président de la République, et le croire est la pire insulte qu’on puisse nous faire. Ensuite, au regard de son cursus universitaire et politique, il n’est pas certain que ceux qui veulent le remplacer puissent se prévaloir d’un tel itinéraire. Cependant, là n’est pas le plus significatif car pour avoir la prétention de diriger un Etat, il n’est pas insignifiant d’avoir de la détermination, de l’opiniâtreté, de la hardiesse et de l’empathie en plus d’être un excellent coordonnateur, de fait et non par procuration.
Miin nit taxul ngeen toloo xam-xam. Avoir milité avec quelqu’un dans un même parti politique n’a jamais signifié être de la même trempe, sinon Wade les aurait tous désignés pour être coordonnateur de la Cellule initiative et stratégie (plus de 700 intellectuels, militants actifs), directeur de Pétrosen, ministre des Mines, ministre de l’Intérieur, Premier ministre, directeur de campagne électorale, président de l’Assemblée nationale, mais surtout homme de confiance par qui ses projets ont pris corps. On est loin de ceux qui se sont battus pour ne pas fournir 58 000 voix potentielles en leur faveur et qui ont la prétention de diriger 14 millions de Sénégalais. Soyons sérieux !
Le sérieux, c’est aussi de comprendre les besoins du Peuple et non de lui en créer de farfelus face aux exigences d’un développement social qui requiert que jeunes et moins jeunes s’activent dans tous les domaines, y compris le sport ; car aujourd’hui, il n’y a pas d’activité, physique ou intellectuelle, qui ne soit capable de promouvoir socialement l’individu (les lutteurs ne vivent pas, pour l’essentiel, dans la misère et ne sont pas les derniers de la classe). C’est pourquoi on est ébahi devant ceux-là qui cherchent à ranger l’Arène nationale dans la rubrique du superflu, avec comme argument que la Chine a construit au Rwanda une université pendant que le Sénégal se satisfait d’un espace ludique. Avant de débiter de telles inepties, ils auraient dû d’abord s’informer de ce qu’est l’espace universitaire dans ce pays ami, dont plusieurs étudiants depuis les années 1970 se sont formés au Sénégal, et où la plus grande université compte un peu plus de trente mille (30 000) étudiants. Voilà comment, en instrumentalisant à tout va, on sème la zizanie entre des pays qui ont lié leur destin depuis 1962. Et de ce pays, nous devons plutôt apprendre comment amener nos concitoyens à plus de civisme, à plus de respect des lois et règlements.
Etre sérieux, c’est encore s’apprêter à recevoir comme legs la poursuite de la réalisation de projets tels que (nous l’espérons), le rétablissement de la ligne ferroviaire Dakar-Saint Louis et Dakar-Kaolack, le réaménagement de toute la baie de Hann, la construction de l’autoroute Touba-Tambacounda-Ziguinchor, et la restructuration des quartiers de Grand-Dakar, Niary Tally, Bène Tally pour en faire des Sicap et des Maristes, et définitivement rayer de la carte des rues sablonneuses de 200m où sont coincées, sur deux rangées, 30 ou 50 maisons en bandes, avec seulement une entrée et une sortie, vestiges d’une volonté coloniale de confinement des nègres.
C’est clair, celui qui sera Président en 2024, parce qu’il aura compris ce qui est en train d’être élaboré pour une gestion profitable des ressources du gaz et du pétrole, aura les moyens de continuer l’exécution de ces projets et d’autres qu’il inscrira dans le sens de la marche inéluctable du pays vers le développement intégral. Aussi son action devra forcément épouser les contours du plan Sénégal émergent, car le Peuple, qui en a assez des concepts flous, a opté une fois pour toutes pour ce plan qui a au moins le mérite de nous dire où on va, pour qu’on n’éprouve pas le besoin de retourner d’où on vient.
Mamadou DEMBELE
Professeur
mamadembelle@yahoo.fr