Dans cette affaire des 94 milliards, le curseur de la communication a apparemment changé de point. Ousmane Sonko qui menait l’offensive se retrouve dans une position défensive.
Jusqu’ici, Sonko avait le curseur sur la communication. Accusations sur accusations. Contre le pouvoir, l’Administration, la justice… Bref, le «système» comme il le dit. Mais cette affaire de 94 milliards qu’il a lui-même soulevée s’est retournée contre lui. Aujourd’hui, le candidat de la coalition Sonko Président subit, comme c’était le cas avec cette sortie grossière appelant à «fusiller tous ceux qui ont eu à diriger le pays». Lui qui faisait réagir hier le pouvoir est aujourd’hui dans l’obligation de réagir. L’épreuve de la communication commence. Et dans un contexte plus sensible : le dernier virage de la Présidentielle. Parce qu’en politique, philosophent certains, «tous les coups sont permis». Et à l’approche d’une élection présidentielle, il y a plus que des coups. Ce sont des armes politiques conventionnelles, parfois non conventionnelles.
La réputation du «Monsieur propre» à l’épreuve
Ousmane Sonko est crédité d’une bonne opinion et a commencé à s’imposer et à imposer son style devant des mammouths politiques. Comme dans le sport, on dira qu’il est un challenger, sur le papier, du candidat sortant. Mais ça, c’est encore le terrain médiatique. Il a su vendre son image de «Monsieur propre» autoproclamé et, à bien des égards, accepté comme tel par certains. Mais le voilà qui se retrouve dans une peau entachée de révélations qui sentent une mauvaise odeur. Vrai ou faux ? Il lui appartient de gérer ce qui est devenu une communication de crise.
Retombées électorales des 94 milliards
Le leader de Pastef a du pain sur la planche. Il s’agit d’abord d’une communication à forte dose à laquelle il doit s’habituer, mais surtout apporter des réponses claires pour convaincre son monde. La politique a cela de cruel qu’elle n’est pas une affaire d’émotion ou d’amateurisme. François Fillon a vu son monde s’effondrer dans l’affaire dite «Penelopegate» qui avait mis en cause son épouse, accusée d’avoir perçu des rémunérations pendant huit ans comme attachée parlementaire de son mari. «Les obstacles mis sur ma route étaient trop nombreux, trop cruels», avait dit l’ancien Premier ministre français qui avait pourtant confiance à son «cuir épais» pour résister aux révélations. Pourtant, il avait avec brio dompté le favori de la droite, Alain Juppé, et surclassé Nicolas Sarkozy. C’est que la Présidentielle est davantage une affaire d’hommes de maturité, non pas par l’âge, mais par la capacité à savoir encaisser les coups. Et à en rendre aussi. Intelligemment. Tout est dans l’art de gérer les situations de crise, au sens de l’impact que des accusations peuvent avoir sur la perception ou le comportement de l’électorat. Une petite étincelle peut allumer un feu que l’intéressé ne saurait éteindre par des démentis. Il faudra donc à Sonko savoir souffler sur ces flammes à temps. Avec des arguments valables et sans possibilité de faire douter. Seulement, le Sénégal n’est pas la France, les Etats-Unis ou d’autres grandes démocraties. Là où un seul mot de trop peut faire dégringoler un candidat. Ou pousser un pic dans les sondages. Là où un scandale peut tout plier. Au Sénégal, «l’opinion», ce sont les opinions. Les électeurs n’ont pas la même réaction. C’est à juste titre que l’économiste Cheikh Ahmed Bamba Diagne s’est demandé «Comment votent les Sénégalais ?» dans un livre, il faut le dire, plus sociologique qu’économique. Mais à qui profiteront les retombées politiques ou électorales de ces 94 milliards ?
Idy-Macky en 2012
Le Sénégal n’est pas entré dans l’air des petites phrases ou accusations assassines qu’en 2019 ? En 2012, Idrissa Seck et Macky Sall s’étaient livrés à une guerre sans merci. «Toutes les personnes impliquées dans les affaires financières non élucidées, y compris l’affaire des fonds taïwanais, doivent rendre compte aux Sénégalais. Je demande à Macky de quel compte il a reçu cet argent et dans quel compte il a gardé l’argent qu’il a distribué à des ministères», avait déclaré le leader de Rewmi. Diène Farba Sarr avait répliqué dans une contribution. «Curieusement, ce montant (7 milliards) rappelle étrangement au bon souvenir des Sénégalais le reliquat des fonds émanant du Protocole de Rebeuss», avait-il écrit. Et Macky Sall lui-même d’ajouter : «Cette histoire de Taïwan est drôle. Si (Idrissa Seck) a des éléments compromettants, la justice sénégalaise est là. Je lui demande de les déposer et je répondrai allégrement à la justice. Je n’ai rien à me reprocher», avait répondu le candidat de Macky2012. Les deux candidats se disputaient en effet une éventuelle 2ème place pour affronter Abdoulaye Wade, le Président sortant. On ne peut affirmer que ces accusations ont pesé sur la balance. En tous les cas, dans cette affaire, il y a aussi un résultat attendu : l’électorat.
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