Une salle de répétition, 4 acteurs outillés chacun d’un smartphone, une liste de personnages à distribuer. Et le tour est joué ! C’est ainsi que Djibril, Laye, Ass et Ziapou ont interprété avant-hier au Goethe institut une pièce de théâtre interactive dénommée «Liking». Ecrite et mise en scène par Bérengère Brooks, elle interroge de façon humoristique les rapports de l’homme à l’internet et aux réseaux sociaux et met le doigt sur la place encore trop peu importante d’images positives de l’Afrique et plus spécifiquement des femmes africaines sur le net.
Aujourd’hui au Sénégal, l’accès au digital n’est plus un mirage. Bien au contraire, on retrouve partout, dans les coins les plus reculés, des jeunes gens connectés aux gadgets numériques et autres outils digitaux. D’ailleurs, rares sont ceux qui n’ont pas de compte Facebook, ne sont pas sur Snapchat ou sur WhatsApp. Mais si l’accessibilité de l’internet n’est plus un défi, son utilisation et les contenus en ligne laissent parfois à désirer. Et pis encore, l’image de l’Afrique et de la femme africaine sur le net et les réseaux sociaux est fortement dégradante. Forte de ce constat, Berengère Brooks s’est intéressée à la question dans sa pièce de théâtre intitulée Liking. Elle y met en scène 4 comédiens sénégalais, Djibril, Laye, Ass, Ziapou, plus Bastien Defives, et a pourvu chacun d’un téléphone portable. Pour un spectacle qui dure 75 minutes, les acteurs ont passé 1h, scotchés sur leur téléphone.
Pour Mme Brooks, c’est fait exprès. «Le spectacle utilise le prétexte des téléphones portables. Les acteurs ont leurs téléphones sur scène et passent beaucoup de temps sur eux. On demande aussi au public de garder leurs téléphones allumés. Ce qu’on ne fait pas normalement au théâtre, mais on le leur demande pour permettre les interactions entre le public et les acteurs», renseigne-t-elle. Sur scène, les comédiens miment presqu’à la perfection le comportement des Sénégalais, surtout des Sénégalaises, qui passent le clair de leur temps connectés à des gadgets numériques entre Facebook, Snapchat, Messenger, Viber, Imo,… à s’envoyer des selfies, à commenter des posts, ou encore à liker. D’ailleurs, Liking tire même son nom de ce dernier mot : «Liking parce que c’est ce qu’on fait toute la journée sur nos téléphones portables. On like des vidéos, des photos de nos amis. Liking c’est un jeu de mots», explique Mme Brooks, la metteuse en scène, par ailleurs directrice de la maison Brrr production.
Pour elle, il s’agit surtout de conscientiser à travers cette pièce qui mêle scènes d’humour et absurdités. Amener le public à s’interroger sur certaines pratiques, à revoir leur comportement sur les réseaux sociaux, internet… à voir comment l’accès à l’internet et aux réseaux sociaux influence tant notre perception du monde qu’il crée une uniformisation des connaissances et de la pensée loin des réalités locales à comprendre qu’«on est tous responsable»… Voilà entre autre les objectifs que se fixe la Française et auteure de Liking. Mais au-delà d’un simple constat et d’une sensibilisation sur l’utilisation du web et des réseaux sociaux, elle pose aussi le débat de l’image de l’Afrique sur le net. Dénonçant surtout celle rétrograde attachée à la femme noire, la femme sénégalaise. En allant sur Google et en tapant les mots clés «femme sénégalaise», le public est surpris de voir les suggestions qui lui sont faites : «Les secret des femmes sénégalaises au lit, trucs et astuces de femmes au Sénégal, Diongama les astuces des femmes sénégalaises…» Rien que des images peu valorisantes ! «Quand on cherche sur le net, on voit aussi que c’est l’image que Google véhicule. Cela veut dire qu’il y a très peu d’images positives de la femme noire. Déjà peu de l’Afrique et de la femme noire pratiquement pas», remarque Bérengère Brooks.
Grâce à ses scènes drôles et écœurantes, Liking a réussi à capter l’attention du public qui, au sortir, a compris qu’il fallait faire attention sur les réseaux sociaux (avec les données collectées) et essayer de renverser la tendance, surtout par rapport à l’image malsaine de la femme sénégalaise véhiculée sur le net. «Les dernières images qu’on a vues du Sénégal sont choquantes. Des gens qui ne connaissent pas le pays, quand ils vont faire des recherches sur Google et qu’ils voient que c’est ça la femme sénégalaise, ils peuvent s’arrêter sur ça. Alors que ce n’est la réalité», alerte la réalisatrice Khadidiatou Sow qui, après avoir suivi la pièce de bout en bout, note qu’elle est intéressante. Pour d’autres, Liking l’est parce qu’elle sensibilise sur les dangers du web, pose de vrais débats et initie le public à l’argot du web. Avec l’explication de certaines notions : mots dièse ou hastag, filtre, algorithme… comment peut-on ne pas «liker» dans l’univers du Liking ?
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