Parrain de la Journée du tirailleur, Lamine Senghor a été soldat, intellectuel et combattant pour l’émancipation des peuples noirs opprimés. Il est décédé le 25 novembre 1927, en France. A seulement 38 ans.Par Ousmane SOW
– La tragédie de Thiaroye 44 ne peut s’absoudre dans le temps. Hier, la Journée du tirailleur a été célébrée avec faste par l’Armée, pour rendre hommage à ces soldats tués froidement chez eux, par l’Armée coloniale. «Cette cérémonie a pour objectif, la réhabilitation de la mémoire des tirailleurs sénégalais, en mettant en exergue leur contribution lors de la première et la seconde guerre mondiale», note Sidiki Kaba. Il s’empresse cependant de préciser : «Il ne s’agit pas de nous complaire dans une quelconque gloriole, mais de permettre, à travers la connaissance de leurs faits d’armes, de leurs souffrances, de leurs sacrifices, la transmission des nobles valeurs et vertus, plusieurs fois séculaires, qu’ils ont portées en bandoulière sur les champs de bataille des deux guerres mondiales.»
Cette commémoration permet «de mieux faire connaître quelques pages de leur histoire, que l’on ne trouve ni dans les manuels scolaires, ni dans les ouvrages de vulgarisation, encore moins dans les documentaires». Lamine Senghor fait partie de ces hommes, dont la mémoire doit être entretenue. Tirailleur sénégalais de la Grande Guerre, «qui n’a pas failli à son devoir de combattant», c’est lui le parrain de cette journée. «Lamine Senghor, le combat pour l’égalité d’un tirailleur sénégalais de la Grande guerre» est l’intitulé de l’hommage. «Il s’agit encore de chercher, dans les replis de la mémoire de la Grande Guerre et de l’immédiat après-guerre, quelques pages occultées de ce pan de notre passé combattant», justifie Me Kaba.
Né le 15 septembre 1889 à Joal, Lamine Arfang Senghor a livré plusieurs batailles. Il participe à celle de la Somme, en 1916. Il fait partie, en 1917, des combattants du Chemin des Dames. Blessé, il sera évacué en juillet. Il connaîtra une suite de tragédies. «Plus tard, dans le secteur de Verdun, il est victime des gaz asphyxiants de l’ennemi. En fin novembre, son unité, le 67e Bataillon de tirailleurs sénégalais (Bts), se repose au camp d’hivernage de Fréjus», raconte le ministre des Forces armées. En 1918, il va retourner au front, avant d’être décoré de la Croix de guerre. «En 1919, une mutinerie éclate dans ce camp d’hivernage, durant laquelle le Sergent Lamine Senghor et ses camarades demandent leur rapatriement», poursuit Me Kaba. C’est la fin de sa carrière dans l’Armée. Il rentre chez lui, avant de repartir en France quelques temps plus tard, après avoir obtenu la nationalité française. Vétéran de l’Armée, il bénéficiera d’une pension d’invalidité avant de décrocher un job dans le civil, en devenant facteur aux Postes, télégraphes et téléphones (Ptt).
Lamine Senghor fait partie des avant-gardistes. A une période de la domination raciale, il sera marié à une Française. «Il tente, en vain, de rentrer au Sénégal avec son épouse, car l’Administration coloniale s’y oppose. En effet, elle se méfie de la présence, en Afrique, de couples mixtes pouvant écorcher la suprématie blanche au plan local, mais également y diffuser les idées communistes. Avec la Grande Guerre, les combattants africains découvrent l’Europe, avec ses forces et faiblesses. Le Mythe de l’homme blanc s’en trouve fortement ébranlé», avance Me Kaba. «La prise de conscience, qui s’en suit, fait émerger en Métropole, chez ces vétérans de la Guerre 14-18, venus de tout l’empire, l’idée de combattre l’injustice raciale, l’impérialisme, le colonialisme. Face aux promesses non tenues, telles : «En versant le même sang, vous gagnerez les mêmes droits», le courant indépendantiste va progressivement supplanter celui assimilationniste», enchaîne Me Sidiki Kaba.
A cette époque, les luttes émancipatrices sont balbutiantes. Lamine Senghor n’est pas en reste. «Sous l’influence des communistes, des ressortissants asiatiques, africains, antillais sont initiés à la lutte révolutionnaire, par une formation marxiste de base. En 1924, Lamine Senghor devient militant de l’Union intercoloniale, créée par le Parti communiste français, depuis 1921», revisite le ministre des Forces armées. Quelques années plus tard, il démissionne de cette structure, considérant «que les communistes français ne prenaient pas assez en compte l’émancipation des peuples noirs et la défense de leur race». Il crée en 1926, le Comité de défense de la race nègre. «Il s’éloigne définitivement des assimilationnistes pour épouser les thèses indépendantistes, avec ses camarades, Kojo Tovalou Houenou, Tiémokho Garan Kouyaté, entre autres. Ils sont en contact avec des célébrités de l’époque, telles que : George Padmore, Du Bois, Marcus Garvey, Messali Hadj, etc.», liste Sidiki Kaba.
Bien intégré dans les instances de lutte, Lamine Senghor voit son aura grandir. «Au congrès constitutif de la Ligue contre l’impérialisme à Bruxelles, en février 1927, il y côtoie Nehru de l’Inde, Gumede de l’Anc de l’Afrique du Sud, la veuve du Chinois Sun Yat Sen, le physicien Albert Einstein, entre autres personnalités. Son discours retentissant, du haut de cette tribune, fut traduit en anglais et diffusé, outre-Atlantique, par la presse américaine. Il fut arrêté, quelques jours après ce célèbre discours, et emprisonné quelques semaines à Draguignan», raconte-t-il.
Décédé à l’âge de 38 ans
Au milieu de cette bataille idéologique, il sera rattrapé par des problèmes de santé. Car, la guerre ne l’a pas laissé intacte. Ce qui marque le début de la fin. «Souffrant des séquelles des gaz asphyxiants de la Première Guerre mondiale et atteint de tuberculose, il voit sa santé se dégrader de jour en jour. Il quitte alors Paris, pour retrouver un climat plus clément dans le Var, à Fréjus, dans le sud de la France. Abandonné par son épouse, le mouvement qu’il a créé commence à perdre de son aura et connaît des difficultés», détaille le ministre des Forces armées. Physiquement affaibli, il décède le 25 novembre 1927. A seulement 38 ans. «Lamine Arfang Senghor a été un grand homme. Précurseur et pionnier du mouvement anticolonialiste, dont il a été l’un des militants noirs les plus influents, en France, et de la prise de conscience du monde noir, sa contribution historique se dilue, plus tard, dans les mouvements d’indépendance qui prennent de l’importance après la Seconde Guerre mondiale. Le souvenir de son action est progressivement éclipsé par de nouveaux acteurs, qui ont pour noms : Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, Frantz Fanon, etc. Celui qui consacra la dernière partie de sa vie à se battre pour des causes justes, devient un oublié de l’histoire», note Me Kaba.
Malgré cette brève existence, Lamine Senghor continue à être célébré. Même si son œuvre s’étiole avec le temps. «Dans les trois premières décennies de l’indépendance du Sénégal, quelques partis politiques de gauche tentèrent, tant bien que mal, d’entretenir sa mémoire. Désormais, cette mémoire est officiellement réhabilitée ici et maintenant, devant ce Mémorial de Thiaroye. Ses excellentes qualités de soldat, son humanisme, son esprit de justice et d’équité, les valeurs qu’il incarnait dans les luttes politiques qu’il a menées, pour le monde noir et les peuples opprimés, seront, un jour, dans les programmes d’enseignement, afin de servir d’exemple aux générations présentes et futures», espère Me Kaba.
Stagiaire