Du 18 au 21 avril prochain, Dakar abrite la 12e Université du notariat d’Afrique. En prélude à cet événement, le secrétaire général de la Chambre des notaires du Sénégal (Cnds), Me Alioune Ka, revient sur les enjeux de la profession qui constitue, selon lui, une garantie dans les litiges fonciers. Selon Me Ka, 90% des litiges fonciers surviennent parce que les gens ne vont pas chez le notaire.

Parlez-nous de cet événement que vous préparez…
Nous organisons du 18 au 21 avril la 12e Université du notariat d’Afrique. Cette université est l’occasion d’une formation de renouvellement des connaissances et une formation continue pour les notaires d’Afrique. Elle se déroule chaque année dans un pays différent et l’Union internationale du notariat, qui regroupe 87 pays dans le monde, a une Commission des affaires africaines qui regroupe 19 pays d’Afrique. Et ce sont ces pays d’Afrique qui organisent chaque année dans un des pays une université qui est l’occasion de faire une formation continue. Cette année, les thèmes qui ont été choisis portent sur «les techniques d’acquisition immobilière, le notaire dans la vie de l’entreprise et la gestion d’une étude de notaire».

Qu’est-ce qu’il y a comme enjeu autour de ces rencontres ?
C’est surtout la formation continue. La pratique notariale et le droit sont évolutifs. Le droit n’est jamais figé et les notaires africains ont l’obligation de se mettre à jour des réformes qui sont faites et de la pratique. Parce que la pratique est différente d’un pays à un autre. On peut s’enorgueillir au Sénégal d’être un des plus anciens notariats d’Afrique puisque dans quelques jours, on va célébrer le bicentenaire du premier acte notarié du Sénégal qui a été fait en 1817. C’est quand même une expérience qu’on a capitalisée et qu’on doit partager avec nos confrères africains.
Vous restez quand même une corporation assez peu connue…
C’est une fausse idée quand on dit que c’est une profession mal connue et fermée. Cela ne correspond pas à la réalité parce que c’est une profession très ouverte. On a aujourd’hui 51 notaires et plus de 1 000 employés. Et on a une frange extrêmement jeune. Facilement, on peut avoir 75% de jeunes qui ont entre 30 et 40 ans. Et vous verrez rarement des notaires qui ont plus de 70 ans. C’est une profession qui est jeune, ouverte et qui s’élargit. On a 40 charges dans toutes les régions du Sénégal. Et cela va se poursuivre. L’exercice se faisait de manière individuelle, mais maintenant on a des sociétés de notaires. Il y a 7 sociétés de notaires où on a, à chaque fois, deux notaires au moins. Et on est une des seules professions où la parité est quasiment respectée. Sur 51 notaires, il y a 26 hommes et 25 femmes. Ce n’est pas une profession fermée.

Est-ce que les ratios sont respectés ? 51 notaires pour 14 millions de personnes…  
La bonne question, c’est est-ce que l’activité économique permet d’avoir le bon ratio ? Malheu­reusement, la majorité de l’activité économique se trouve à Dakar. On a 30 notaires à Dakar et 21 dans les régions. Aujourd’hui, c’est une complainte vis-à-vis de l’Etat du Sénégal. On a créé des charges dans toutes les régions, ce qui est normal et nécessaire puisqu’on est dans un service public. Il faut savoir que les notaires ne sont pas une profession libérale au sens strict. Ce sont des officiers publics qui exercent une profession à titre libéral. Ils ont le sceau de la République ; donc c’est un service public. Quand vous allez dans des régions comme Kolda, Tamba­counda, Matam ou Fatick, il n’y a quasiment pas d’activités économiques. C’est le désert. Les notaires se tournent les pouces et c’est dangereux même à la limite pour la profession. Parce qu’il peut y avoir des sinistres si le notaire n’arrive pas à gagner sa vie. Il risque de toucher à l’argent des clients. Il y a quand même obligation de mettre ces notaires de région dans les conditions de pouvoir exercer leur métier. Soit en les subventionnant pour qu’il y ait un équilibre dans l’exploitation et qu’ils puissent payer leurs charges ou alors les aider à avoir plus de matière. Parce que la matière première du notaire, c’est la terre. Et dans les régions, toutes les terres ne sont pas immatriculées. Et il n’y a pas obligation de passer par le notaire quand les terres ne sont pas immatriculées, si ce n’est pas un titre foncier ou un bail. Si ce sont des délibérations, on n’a pas besoin du notaire. Même chose quand il s’agit d’actes administratifs dans les communes. La personne qui est là-bas n’exerce pas d’activités. Si on parle de Dakar, il n’y a pas l’activité économique rayonnante qu’ont d’autres pays. Même si on n’a pas atteint le seuil critique, les notaires ne roulent plus sur l’or comme les gens le pensent. On essaie de diversifier nos activités pour équilibrer nos charges. Mais il y a une réflexion d’ensemble à faire pour que l’Etat du Sénégal accompagne ce mouvement pour qu’il y ait plus de notaires dans les régions et que ces charges restent viables.

Est-ce que ce n’est pas parce que vos prestations sont un peu trop chères pour le commun des Sénégalais ?
Pour parler des prestations, il faut prendre la mesure des choses. Le notaire, en plus d’être rémunéré, est également un collecteur d’impôts. Dans les frais qu’on réclame chez le notaire, il y a une grosse part qui constitue des taxes et des droits qu’on doit payer à l’Etat du Sénégal et qui sont répertoriés dans le Code général des impôts. C’est ce qui entretient la fausse idée que le notaire est riche et gagne beaucoup d’argent. Mais pour donner un exemple, quand vous prenez une vente à dix millions, vous avez des frais de taxes d’1 million 500 mille qu’on vous réclame. Mais dans cette somme, vous avez au moins 1 million 100 mille de taxes qui reviennent à l’Etat et le reste au notaire. Cela, les Sénégalais ne le savent que quand ils viennent chez le notaire et qu’on leur explique. Mais c’est comme ça dans tous les pays puisque les impôts et taxes servent à alimenter le budget de l’Etat. Et l’Etat a fait depuis quelque temps un effort très important de réduction de ces taxes, en tout cas pour ce qui est des transactions immobilières. Avant la dévaluation, la taxe d’enregistrement était de 20%. Elle est de 5% maintenant. Il y a un effort qui est fait et qui doit être poursuivi, compte tenu du pouvoir d’achat des Sénégalais et de la situation économique.
 
Avec tous les problèmes qu’on constate autour du foncier, quel rôle peuvent jouer les notaires ?
Les 90% des litiges qui sont traités dans les tribunaux le sont parce que les Sénégalais ne vont pas chez le notaire. Il y a très peu d’opérations qui ont été faites chez le notaire et qui ont atterri devant les tribunaux. C’est surtout parce que des citoyens sont allés faire leurs opérations à part et qu’ils se sont retrouvés dans un contentieux. Comme je dis, ces 1,5 million de francs Cfa que vous rechignez à payer, vous allez les payer. Tout simplement parce que quand il y a un contentieux, la première chose à faire, c’est de prendre un avocat qui ne travaille pas gratuitement, il y a des frais de procédure, des va-et-vient dans les tribunaux. Vous allez perdre énormément de temps avant de faire reconnaître votre droit s’il est reconnu. Au bout de 5 ans, 10 ans, vous pouvez encore être là à attendre un jugement qui ne vient pas. En plus du préjudice moral. C’est des taxes, c’est difficile, mais il faut les payer. C’est comme les assurances. Quand vous achetez un véhicule, vous vous assurez. Mais vous pouvez conduire toute votre vie sans faire d’accident. Et vous vous dites que vous avez perdu votre argent pour rien. Mais le jour où vous avez un accident, vous êtes heureux d’avoir payé une assurance. De la même manière, quand quelqu’un vient contester votre titre de propriété, vous êtes heureux d’avoir un acte notarié. C’est ça le plus important.