Chef du Bureau de coordination pour la société civile au 14e Forum mondial sur la migration et le développement (Gfmd) de Genève, Stéphane Jacquemet s’est entretenu avec Le Quotidien en marge du pré-forum organisé par la Société civile. Dans cet entretien, il revient sur la tenue de la rencontre de la Société civile à Genève et le processus qui l’a mené, avant de jeter un regard critique sur l’état de la migration et des droits humains. Ce dernier est convaincu qu’il est plus que jamais nécessaire de revoir le discours européen autour de la migration et parler des véritables problèmes. Selon lui, «l’Europe n’arrive pas à produire ses propres travailleurs» et aurait «besoin des autres continents». Il n’a pas manqué de revenir sur la situation en Palestine, estimant qu’on «assiste à une entreprise de destruction de la part d’Israël» au regard de sa réponse qu’il qualifie de «disproportionnée».
 Pré-forum de la Société civile, état de la migration et des droits humains à Genève

«C’est peut-être l’évènement le plus visible de la Société civile. Mais, c’est un processus qui est très long puisqu’on se réunit depuis presque une année pour préparer ce forum. A cet effet, je dois dire que tout a commencé avec la Société civile africaine, qui s’est rencontrée à Abuja (Nigeria) en janvier 2023. Ce sont nos collègues africains qui ont donné le ton. Parce qu’ils ont dit qu’il fallait à tout prix que la Société civile africaine se réunisse. C’était à l’époque où l’on pensait que le Sénégal aurait la coprésidence du 14e Forum mondial sur la migration et le développement.

Malheureusement, ça n’a pas été le cas. Cependant, cela n’a pas pour autant changé l’engagement de la Société civile africaine et de l’ensemble de la Société civile. Je dirais que dans ce forum, les collègues africains ont vraiment pris les devants en nous donnant l’exemple.

Il y a six thématiques. Il y en a trois qui sortent du lot. Il s’agit du changement climatique et son impact sur la migration, la question du droit. Parce qu’on ne peut pas parler de la migration en oubliant que les migrants ont des droits.
Malheureusement, on le constate pour s’en offusquer. Beaucoup de gouvernements violent ces droits. Cependant, on veut le placer dans un contexte de protection des droits des migrants. Le troisième thème est consacré à la diaspora. Il s’agit pour nous d’interroger le rôle des diasporas, et en cela, il y a une diaspora sénégalaise très active qui fait partie de nos discussions et de nos débats.

Revenant sur la thématique abordée par la Société civile, notamment l’état de la migration et des droits humains, on s’aperçoit de plusieurs choses à la fois. Premièrement, il y a un discours sur la migration, notamment au sein des pays européens, soutenu par des propos xénophobes. Il faut bien le dire. Un discours qui voit les migrants comme un problème, en oubliant complètement que les migrants, c’est un énorme potentiel. Aussi, la vérité est que les pays européens ont besoin de main-d’œuvre, de travailleurs, et que ces derniers viennent d’ailleurs. L’Europe n’arrive pas à produire ses propres travailleurs. Elle a énormément besoin des autres continents. Au-delà de tout l’enrichissement que cela représente avec les échanges d’un continent à un autre, il y a un pur intérêt économique à avoir une migration saine, dans la légalité et dans laquelle les droits des migrants sont respectés et protégés.

Attentes de la Société civile au sortir du Forum mondial de Genève 
Alors, ce qu’il faudrait savoir à ce niveau, c’est qu’ont fait un gros plaidoyer. Il faut savoir si on est écouté ou pas. Je crois que c’est ça la frustration la plus grande qu’il y a actuellement au sein de la Société civile. C’est de s’apercevoir qu’on répète les mêmes choses. On vient avec des exemples et on a au sein de la Société civile énormément de migrants qui sont représentés. On ne parle pas théoriquement. On parle en se basant sur quelque chose de solide, de concret. Il y a aussi les migrants qui nous inspirent au jour le jour, qui sont nos partenaires, nos membres. On va vers les Etats en leur disant voici la réalité. Peut-être que vous ne la voyez pas, mais voilà la réalité de la migration.

On parle maintenant d’une crise majeure de la migration en Europe alors qu’on est à ¼ des chiffres de 2015. On parle d’une crise. C’est un paradoxe. De quoi parle-t-on réellement ? C’est une question à se poser. On a un discours qui est complètement disproportionné en faisant de la migration le problème numéro 1 en Europe. Alors que ce n’est pas le cas. On a des problèmes au niveau de la santé, des soins, l’accès à l’éducation, l’emploi des jeunes, entre autres. Voilà les problèmes réels. Pourquoi vouloir tout centrer autour de la migration ? D’ailleurs aujourd’hui, il semblerait qu’on gagne ou qu’on perde des élections à partir des migrations.

Dans ce climat-là, qu’est-ce qu’on peut obtenir ? Est-ce qu’on doit être très ambitieux ? Ou est-ce qu’on doit se dire qu’on doit sauver le minimum ? Ensuite, à titre d’exemple, ces dernières années, les gouvernements européens ont réduit leur budget pour secourir les gens en mer. Cela veut dire qu’ils acceptent de laisser les gens mourir en mer. On en est à revenir sur des choses aussi essentielles que la primauté de la vie humaine. C’est très triste que le débat soit ramené à ce niveau-là alors qu’on devrait être à un niveau supérieur, pour parler des services sociaux de base par exemple.

Une jeune Palestinienne interpelle la société sur la situation à Gaza 
Ce qui se passe à Gaza est horrible. C’est clair que ce que le Hamas a fait en octobre, d’aller massacrer des civils, était totalement inacceptable. En tant que Société civile, nous le condamnons. Pour autant, ce n’est pas parce qu’il y a eu des violations très gaves que ça doit justifier une réponse totalement disproportionnée. Malheureusement, c’est ce à quoi on assiste aujourd’hui. Il suffit de regarder le nombre de morts dont des enfants, des femmes, en Palestine. Finalement, on en arrive à une situation où on affame les gens, parce que tout simplement l’aide humanitaire ne rentre pas.

Pourtant, on continue cette guerre qui n’a aucune justification militaire. Ce qui veut dire qu’on accepte en réalité de massacrer des populations civiles au nom de quels intérêts ? Je ne crois pas qu’il s’agisse là de la défense de la sécurité d’Israël. On a bien dépassé ce stade-là. Ce à quoi on assiste, c’est une entreprise de destruction, et ça c’est très grave. En tant que Société civile, on ne doit pas être insensible à la situation que traverse le Peuple palestinien, on doit parler.»
Par Pape Moussa DIALLO (Envoyé spécial à Genève)