Le gouvernement du Premier ministre Ousmane Sonko a décidé de jeter de la table le Plan Sénégal émergent qui, depuis 2014, a guidé les politiques publiques dans ce pays. Plus encore, le chef du gouvernement a indiqué que les chiffres de l’économie, tels que présentés par ses prédécesseurs, ont été tout simplement «maquillés» pour embellir une situation économique qui n’était pas loin de la catastrophe. Pour imager la situation telle qu’il l’a trouvée, il a dit à la face du monde : «Nous avions pensé accéder au rez-de-chaussée de la maison, alors que nous étions au quatrième sous-sol.» Sans expliquer le besoin qu’il a ressenti, avec des membres de son gouvernement, de présenter un tableau aussi sombre de la situation du pays, il a déclaré que la Cour des comptes allait certainement confirmer les chiffres indiqués dans ce «Rapport sur la situation des finances publiques» pour la période 2019-2023. Une bonne partie de ce travail a été réalisé par les membres de l’Inspection générale des finances (Igf). On se rappelle -juste une petite digression- qu’un autre travail de l’Igf, le fameux rapport qui avait servi à incriminer l’ancien ministre Mame Mbaye Niang dans le «scandale» du Prodac, et qui a, in fine, abouti à faire condamner Ousmane Sonko pour diffamation, ce fameux rapport, dit-on, avait été à un moment renié par ses initiateurs. Or, il semble qu’il doive incessamment être ressuscité, pour sans doute, aider à reprendre le procès de Sonko. Cette Igf semble, depuis un certain moment, vouée à être à la base de grandes controverses de l’Etat.
Lire la chronique – Le «Projet» au pays des Bisounours
C’est la seule institution vers laquelle le gouvernement s’est tourné pour conforter des chiffres qu’il voulait pour asseoir sa polémique avec l’ancien régime du Président Macky Sall. Ni l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd) ni la Direction de la prévision et des études économiques (Dpee), entre autres services d’études économiques et financières de l’Etat, ne se sont aventurées à conforter les déclarations de M. Sonko et de ses ministres. Pire encore, même son document appelé à remplacer le Pse, à savoir le nouveau référentiel, «Sénégal 2050 ; Agenda national de transformation systémique», ne semblent donner crédit à ces chiffres.
Lire la chronique – Finances publiques : Au-delà des chiffres
Ce document se donne pour ambition, d’ici 2050, d’atteindre un taux de croissance de 6 ou 7% du Pib. Et grâce à cela, il compte tripler le revenu par habitant, de 1500 Us dollars à 4500 Usd. Il compte également «réduire la pauvreté de manière significative, et améliorer l’inclusion sociale et territoriale». C’est cela sa vision d’un «Sénégal souverain, juste et prospère». Le Premier ministre nous a assuré que c’est la voie pour sortir des paradigmes anciens de croissance sans développement, à cause d’une économie tournée vers l’extérieur, qui exporte des produits bruts à l’extérieur, et importe également toute sa consommation de l’étranger.
Lire la chronique – Une bonne nouvelle du Large
Il est assez extraordinaire, avec cette vision si ambitieuse, de ne se donner que de si faibles perspectives pour la période 2025-2029. L’une des rares choses où le gouvernement se veut dynamique est la réduction du déficit. Dans le référentiel, il est dit que «le déficit budgétaire est ramené à 3% du Pib dès 2025 et maintenu à ce niveau durant toute la période 2025-2029». Ce qui sera une prouesse digne des livres de Guinness. Le Premier ministre Sonko a prétendu, avec son ministre de l’Economie, que «le déficit budgétaire a été annoncé à une moyenne de 5,5% du Pib sur la période 2019-2023. Mais en réalité, il a été en moyenne de 10,4 %, soit près du double». D’une année à l’autre, le réduire à 3% serait une prouesse jamais accomplie, même dans les systèmes économiques les plus encadrés. Ce serait même assez inattendu, en ce que le Fonds monétaire international, lors de sa dernière revue trimestrielle, qui prédit une détérioration de l’économie, voit le déficit budgétaire passer des «3,9% prévus dans le budget initial, à plus de 7,5». Les services de Bassirou Diomaye et Ousmane Sonko, qui nous déclarent que le déficit est actuellement à plus de 10% du Pib, au-delà des déclarations les plus pessimistes du Fmi, nous assurent pouvoir le réduire en claquant les doigts, en quelques mois. Cela, dans un environnement économique des plus atones. Le bon côté avec les chiffres, c’est que, quoi que l’on puisse leur faire dire, ils restent des chiffres et affichent la vérité qu’ils indiquent. Le Premier ministre devra nous dire alors, comment avec son Agenda de transformation dont le manque d’ambition ou le «réalisme», comme l’on veut, peut, in fine, obtenir des meilleurs résultats que le Pse de Macky Sall.
Lire la chronique – Nourrir les Sénégalais, leur donner du travail
Il faut rappeler que ce dernier, dans son Pap3 affichait que sa vision est «celle d’un «Sénégal émergent en 2035, avec une société solidaire, dans un Etat de Droit». Elle reflète un futur souhaité défini sur la base des préoccupations et aspirations des populations. Cette vision postule une plus grande efficacité économique, tout en promouvant le respect des principes de durabilité, la Bonne gouvernance – avec un accent particulier sur l’éthique et la vertu dans la gestion des affaires publiques et dans les attitudes et comportements». Il prévoyait un taux de Pib de 9,8%, avant de passer à deux chiffres durant les 5 prochaines années.
La vision du Sénégal juste et prospère à venir est lui de «promouvoir un développement endogène et durable, porté par des territoires responsabilisés, viables et compétitifs, et jetant les bases de la souveraineté économique». Un programme qui se décline en 4 axes stratégiques dont on avait longuement parlé en son temps, et sur lesquels nous reviendrons sans doute bientôt.
La question pour l’heure, est de chercher à comprendre, comment, en disposant de plus de moyens, Ousmane Sonko et Diomaye Faye peuvent-ils faire montre de si peu d’ambitions pour leur pays, surtout par rapport à quelqu’un à qui ils promettaient naguère, le poteau d’exécution pour manque d’ambition ?
Par Mohamed GUEYE – mgueye@lequotidien.sn